Les promesses
Une campagne électorale est, dans la vie politique, le moment des promesses. Les candidats s’efforcent de séduire les électeurs en présentant des cadeaux et des pistes pour un avenir que leurs programmes rendront meilleur. Louis se souvient de « la lutte contre la fracture sociale », grand projet de Chirac en 1995, ou de l’envolée de Hollande, en 2012 : « Mon ennemi, c’est la finance ». Promesses qui, hier autant qu’aujourd’hui, sont, ou des illusions, ou des mensonges. Louis penche plutôt pour les mensonges. Ce qui l’étonne cependant, c’est que malgré leur répétition, les gens continuent à se laisser avoir, à y croire, à penser que les candidats pourraient tenir leurs promesses et que les choses pourraient s’améliorer. En fait, n’est-ce pas autre chose qu’il faudrait dévoiler, au-delà de la dénonciation de la mauvaise foi des politiques, au-delà de leurs invraisemblables tromperies - Macron candidat parlant de « Révolution » ! -, au-delà des affirmations honteuses sur l’immigration, ou, des : On-ne-peut-pas-augmenter-le-smic-plus-que-l’inflation-ça-mettrait-l’équilibre-des-entreprises-en-péril ?
Quel est cet au-delà, sinon le principe même de l’élection comme possibilité du changement ? N’est-ce pas l’élection elle-même qui est la première des promesses, la mère des promesses, la promesse matricielle, transcendantale, disent les philosophes, qu’il faut dénoncer comme le mensonge suprême et/ou l’illusion primordiale ?
Celles et ceux qui croient qu’une élection peut changer quelque chose au système capitaliste néolibéral se trompent absolument. L’élection n’est pas un acte inaugural ou un événement métapolitique qui permettrait de remettre les compteurs à zéro et d’être un (re)-commencement, elle n’est pas l’aube d’un temps neuf, ni le grand soir pacifique auxquels certains aspirent. Elle est dans le système, en est un rouage, en fait partie, intrinsèquement, le conforte et le pérennise. Louis n’oublie pas que l’élection a été le moyen inventé par la bourgeoisie pour se défaire de la transmission héréditaire du pouvoir de la noblesse. Désormais, elle est le moyen chéri des dominants pour que leur domination ne soit pas remise en question.
Dans les démocraties actuelles, les promesses des candidats, sincères ou non, ne mettent pas en cause les structures profondes du monde capitaliste : l’exploitation salariale, les déterminismes sociaux implacables, le renouvellement et le creusement des inégalités, elles ne font que réitérer sans cesse la promesse fondamentale : nous ne toucherons pas au système marchand et financier. Il y aura des aménagements, différents chez l’un(e) ou l’autre, mais rien de bien méchant pour les puissants et les possédants. Les élections ne sont pas, ou plus, un nœud politique, au sens où la politique était un outil d’émancipation, au moins possible, pour l’humanité.
La crise de la démocratie, dont on nous rebat tant les oreilles aujourd’hui, n’est pas une crise des mécanismes démocratiques qu’il conviendrait de ripoliner pour les rajeunir, et hop, ce serait reparti pour un tour, mais c’est une crise du cœur même du régime. La face positive et révolutionnaire de la théorie démocratique tenait dans l’originalité de son principe : les citoyens se donnaient leurs propres règles et ils en étaient les dépositaires, ce qui impliquait qu’ils pouvaient en changer si telle était leur volonté. Rappelons ce que disait Rousseau, à propos du système démocratique : « Il n’y a dans l’Etat aucune loi fondamentale qui ne se puisse révoquer ». Toute loi peut être abolie par ceux-là mêmes qui l’ont instituée. Cela est une conséquence qui découle logiquement des principes démocratiques : Gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Le système électoral est donc, selon ce schéma, un des effets de la volonté du peuple. Les puissants ont accepté ces principes tant qu’ils furent conformes à leurs intérêts, ou tant qu’ils leur permirent de sublimer la lutte des classes en réformes politiques, en concédant au peuple des droits électoraux de plus en plus étendus.
Mais nous n’en sommes plus là. Le rouleau compresseur du libéralisme ne rencontre plus guère d’obstacles à sa domination, sauf ceux qu’il produit lui-même dans son productivisme démesuré – mais dont il saura probablement se prémunir, grâce à une écologie bien comprise -, en conséquence de quoi les modèles électoraux, dont il a parfaitement mesuré l’efficacité pour la préservation de ses intérêts, ne sauraient être transformés ou réformés. E. Macron, qui devait bousculer les vieilles institutions, a vite remisé son manuel de révolutionnaire dans sa poche pour asseoir son autorité sur les fameux principes. Il a vu, et tout le monde avec lui, que les élections, telles qu’elles sont organisées aujourd’hui, favorisaient son maintien au pouvoir et il compte en tirer les bénéfices en avril 2022.
Louis sait que l’imaginaire démocratique inclut le respect sacré du suffrage universel et c’est pourquoi toute critique adressée à celui-ci est soupçonnée de transgresser un tabou majeur. En même temps, la montée de l’abstention exprime clairement la méfiance que les élections suscitent désormais chez beaucoup de Français, qui n’en attendent plus rien. Ne votent plus que ceux auxquels le système néolibéral ne pèse pas, ou qui ont besoin qu’il se perpétue pour le maintien de leur position favorable. Pourquoi les politiques ne font-ils rien, strictement rien, pour corriger les défaillances de ce système ? Louis leur suggère deux réformes : 1) favoriser le contrôle des élus en rendant possible une révocation à mi-mandat, si les promesses de la campagne ne sont pas tenues et, 2) ouvrir la voie à un tirage au sort parmi les citoyens, ce que pratiquaient les inventeurs de la démocratie, à Athènes. Ces deux hypothèses ne sont jamais sérieusement soulevées tellement le système, tel qu’il est, convient à nos « représentants », puisque c’est ainsi qu’ils s’auto-désignent.
Ainsi chantait l’ami Léo (Ferré) : « Ils ont voté…, et puis après ? ».
Bonne année…
À propos de l'auteur(e) :
Stéphane Haslé
Convaincu que l’universalisme est une particularité nationale, je me considère comme un citoyen français du monde (intellectuel), définition possible du philosophe. Agressé chaque jour par les broyeurs à idées qui nous environnent, je pense que la résistance, même désespérée, ne doit pas être désespérante.
Philosophe
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