Politique

L’heure des comptes

Publié le 05 avr. 2025 à 06:21 | Écrit par
Stéphane Haslé
| Temps de lecture : 04m20s

On compte - au sens mathématique - actuellement (environ) huit milliards d’êtres humains sur notre planète. Quand nous écoutons la radio ou regardons la télévision, nous avons l’impression que ne comptent - au sens moral et politique - que quelques individus, par lesquels passent le pouvoir, les décisions, la guerre et la paix, et dont l’avenir de tous les autres dépend. Ils se nomment Trump, Musk, Gates, Zuckerberg et quelques autres comme Poutine, Xi Jinping, etc. Cette lecture du moment présent, que les médias ressassent à l’envi, marque le triomphe de l’individualisme, cette pensée qui affirme que l’individu ne doit rien à personne, qu’il est maître absolu de lui-même et que la société qui l’entoure n’est qu’un moyen au service de ses intérêts et n’a pas de valeur hors de ce champ. On ajoutera : La vie est compétition, laissons la lutte se développer et ce seront  les meilleurs et les plus forts qui gouverneront. Ces hommes (peu de femmes accèdent à ce statut) sont offerts à nos yeux éblouis sur les écrans du monde entier. Nous pouvons les aimer ou les détester, il n’en demeure pas moins qu’ils apparaissent exceptionnels, extraordinaires et surpuissants. Trump en est la figure paradigmatique. Dès lors, si nous voulons « comprendre ce qui est », comme Hegel le demandait à la philosophie, il nous faut interroger d’abord leurs désirs, leur vie intime, leur passé, comme si, en les  comprenant, nous aurions des réponses à nos questions les plus pressantes : quel sens donner à la vie ?, de quoi demain sera-t-il fait ?, que pouvons-nous espérer ?

Les propos de ces individus peuvent être absurdes, incohérents, dérisoires, ils sont présentés comme les lieux où s’élabore l’avenir de l’humanité, où se jouent nos destins personnels et collectifs. Louis se demande : Et les autres, les sept milliards neuf cent quatre-vingt-dix-neuf millions neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mille autres ? Que comptent-ils, que valent-ils ? Quelle incroyable force devons-nous accorder à cette ultra-minorité de leaders pour penser qu’ils sont les causes premières de l’histoire humaine ? Dans les sociétés d’avant la démocratie, en Europe, les personnages importants étaient respectés parce que l’on croyait qu’ils étaient soutenus par Dieu, que Celui-ci leur avait transféré, au moins pour un temps, une part de sa divinité, c’était la seule explication plausible de leur nature supérieure aux communs des mortels. Mais aujourd’hui, dans des sociétés a-religieuses, comment pouvons-nous croire à la supériorité de tels individus ? Sur quoi la fondons-nous ? Comment pouvons-nous nous en remettre à eux (nous nous en remettons à eux puisque nous les laissons agir à leur guise) sans jamais douter de leurs capacités humaines, simplement humaines ?

En fait, la question est probablement mal posée. Il ne s’agit pas de savoir si ces hommes sont vraiment dotés de superpouvoirs, mais de comprendre pourquoi aucune autre explication n’est aujourd’hui audible et, en particulier, pourquoi aucune autre grille d’intelligibilité n’est développée, pourquoi aucun contre-pouvoir ne s’oppose plus à ce schème individualiste.

Nul ne semble capable de penser que huit milliards d’hommes et de femmes  représentent une force et une puissance incommensurablement supérieures à celle de ces potentats, nul ne semble capable de les considérer à leur juste place, de les renvoyer dans leurs foyers, de laisser les peuples décider pour eux-mêmes de ce qui leur convient ou pas. Là est le mystère et, peut-être, l’espoir : accorder crédit à l’intelligence de la masse, partir de ses besoins et renverser les logiques dominantes, entendons, les logiques de la classe dominante. Trump et consorts sont les incarnations d’un système qui méprise l’humanité, qui ne croît pas aux ressources et à l’inventivité de l’humain. Politiquement, ils incarnent la haine profonde des peuples, qu’ils jugent incapable de se diriger eux-mêmes et de saisir la marche du monde. La démocratie est désormais, pour cette – auto-désignée – « élite », une forme vide, un idéal obsolète, ils visent l’exercice du pouvoir au nom de leur réussite économique, occultant que leur réussite s’accompagne de l’écrasement des faibles et de la misère du plus grand nombre. Ils inventent des fictions pour justifier les conséquences de leur violence sociale : théories du ruissellement, des premiers de cordée, de la concurrence libre et non faussée. Tout cela est de la bouillie conceptuelle, n’y croient que ceux auxquels elle profite, y compris dans les cercles dits intellectuels et le milieu médiatique.

Les discours qui font de la réussite économique l’alpha et l’oméga de l’existence humaine exaltent la victoire du modèle néolibéral, en tout cas, ils sont la traduction de son omniprésence sur la scène médiatique et intellectuelle. Telle est la doxa du temps : Tout au Capital ! Les éditorialistes et les journalistes qui  déclinent ce slogan à longueur de journées sont ses prêtres et ses laquais, leurs idoles sont l’argent et le profit, devant lesquels tous se prosternent et pour la pérennisation desquels ils prient depuis les matines jusqu’aux complies.

Ainsi, l’angoisse, mise en scène ces derniers jours, après les sorties de Bernard Arnaud et d’autres patrons (Louis se refuse à dire « grands patrons », syntagme du discours dominant, en quoi méritent-ils d’être nommés grands ?), qui menacent d’aller faire leurs affaires à l’étranger et qu’il nous faudrait « retenir » à toute force en France – c’est-à-dire en acceptant leurs conditions sociales et leur logique économique –, cette angoisse est une sinistre fable, la fable d’un modèle de pensée construit uniquement pour défendre et promouvoir un mécanisme d’exploitation et un seul, le capitalisme. Pour en sortir, comptons-nous et comptons sur nous.



À propos de l'auteur(e) :

Stéphane Haslé

Convaincu que l’universalisme est une particularité nationale, je me considère comme un citoyen français du monde (intellectuel), définition possible du philosophe. Agressé chaque jour par les broyeurs à idées qui nous environnent, je pense que la résistance, même désespérée, ne doit pas être désespérante.

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