Sur les bases d’une anthropologie saine
Ce texte est l’édito du numéro de janvier 2022.
Le régime néolibéral au pouvoir ne nous tient pas en haute estime. C’est le moins qu’on puisse dire. Il nous prend pour des ploucs stupides et agressifs, des « homo oeconomicus » seulement préoccupés par notre bien-être et uniquement motivés par l’appât du gain. Vu le portrait-robot que le pouvoir a de nous, pas étonnant que nos dirigeants ne nous fassent absolument pas confiance et administrent le pays d’une main de fer dans un gant de latex. Eh oui, c’est son nouveau truc au néolibéralisme dominant, la protection tous azimuts et au nom de notre santé et de notre sécurité à tous, vulnérables ou asymptomatiques (bien portant, quoi!), le pouvoir nous met sous clef, sous cloche, en sûreté, un vrai tour de force à coup de culpabilisation médiatique, de responsabilité sous contrôle numérique et de piquouze industrielle, avec QR code à la clé et amendes bien salées.
On ne peut pas lui donner totalement tort au gouvernement. Il est même assez logique si on s’en tient à la philosophie de Hobbes qui commence tout de même à dater un peu. Sans un LévI.A.than* à la manoeuvre, les abrutis sans cervelle que nous sommes n’arriveront jamais à rien. La foule est bête, c’est bien connu. Et qu’est-ce qu’un peuple sinon une foule en puissance? Vaut mieux qu’elle reste confinée chez elle devant la télé à passer le temps, qu’elle commande sur Internet des pizzas au silicone et qu’elle s’engueule par tweets à propos du changement de sexe chez les droïdes ou de l’intersectionnalité des chocolatines aux raisins.
Et quand le divertissement ne suffit pas, il reste la peur orchestrée, la dissuasion subliminale et le nudge** technologique : outil de contre-propagande chez les Gilets Jaunes, le smartphone est devenu la tombe numérique de notre dignité. Non seulement on plie mais en plus on arrive à se persuader que c’est pour notre bien et le salut du monde. Comme religion opiacée, on ne fait pas mieux.
Pris individuellement, on n’est tout de même pas si cons que ça. Bon, évidemment, dans les files d’attente, y a toujours un pro-machin pour nous casser les burnes (provax, progel, promasque, protection, prozac, protocole, proMacron, prothon, prorata, prothèse, prologue du tour de France…) mais d’une manière générale, l’humain est un brave type, surtout si on décolle les yeux du centre-ville de Dole pour les porter vers le Chili. Y a du bon dans l’humain, surtout quand il prend conscience qu’on est une foule, pas spécialement sentimentale, mais contente de se serrer les coudes contre les techno-fascistes du sérail.
Car depuis Hobbes, il y a eu de l’encre à couler sous les ponts. Et pour un Machiavel ou un Papacito qui font le buzz, y a au moins un Mauss, un Généreux, deux Friot et 10 000 Chiliens qui se lèvent. C’est donc le moment ou jamais de faire de la socio asymptomatique, non, je déconne de l’anthropologie saine. L’humain n’est ni foncièrement égoïste ni naturellement charitable. Comme je n’ai pas tout le journal à disposition, je vais vous la faire brève, quitte à revenir là-dessus et très en détails sur le site au cours des semaines à venir.
L’être humain est à la fois capable de se prendre pour le nombril du monde et de s’ouvrir aux autres. Il n’est même socialement fait que de cet aller-retour permanent entre la prise et le don, le repli sur soi et l’ouverture des bras, le doigt d’honneur et la main tendue. En bref, on appelle cela l’échange. Il est fait de service et d’obligation qui n’est jamais que l’a suspension d’un service en retour. Ça marche pour la reconnaissance, l’autorité, la communication, la collaboration et toute la vie en société. Même si animalement, nous sommes guidés par notre intérêt et notre désir de jouir, nous sommes également spontanément portés vers autrui, pas forcément pour abuser de lui, mais pour en faire un partenaire. Notre condition est donc soumise à une dialectique sans fin qui nous pousse à offrir des cadeaux à Noël sans trop savoir ce qu’on aura en échange si ce n’est déjà l’obligation d’un retour car celui qui donne est en droit d’attendre un contre-don. Même le député de la 3ème circo du Jura a répondu aux courriers insistants des anti-pass. Rares sont les mufles qui ne vous retournent pas votre bonjour dans la rue et vous avez toutes les peines du monde à ne pas renvoyer la balle quand on vous insulte. Le retour d’ascenseur est ce qui maintient Macron au pouvoir, même s’il a oublié qu’il ne reste sur le trône que parce qu’on n’est pas encore très nombreux à vouloir dézinguer l’État bourgeois, c’est à dire la bureaucratie autoritaire de la Vème république, grâce à laquelle il peut encore sortir en fourgon blindé de sa forteresse pour aller faire du ski. Car un jour ou l’autre, la foule lui rendra ce qu’il nous a offert : l’affront et la honte. On lui mettra la misère.
En attendant, je ne vous souhaite que ce que vous prendrez la peine de ne pas lâcher en 2022. On a beau être balloté par l’Histoire, les déterminismes sociaux, le capitalisme et ta mère, on n’en reste pas moins maitres d’une petite partie de notre destin. Veillons à ne pas laisser les cons nous le gâcher un peu plus encore. Notre heure viendra.
- * Mot valise entre Intelligence Artificielle et le Léviathan, monstre qui symbolise l’État contraignant dans la philosophie de Hobbes (voir notre article dans le journal)
** Le nudge, c’est le petit coup de coude incitatif à la limite du crétinisme. D’genre: « vous prendrez bien un cookie? » sur un site Internet.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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