Le LévI.A.than, qu'est-ce que c'est ?
Pour ceux qui n'ont pas lu le philosophe Thomas Hobbes dans le texte et dont je fais partie, le Léviathan, c'est l'allégorie que ce penseur politique anglais du XVIIème siècle utilise pour faire comprendre à ses contemporains la puissance incommensurable et nécessaire de l’État pour la survie de chacun. Dans la Bible, le Léviathan est un monstre pas vraiment commode et doté d'une force que seul Dieu peut surpasser. Le message est donc clair. « La soumission de tous à la volonté d'un seul homme, ou d'une assemblée, s'appelle union. [...] L'union ainsi faite est appelée cité, ou société civile, et même personne civile ; car, comme la volonté de tous est devenue une, elle est devenue par là même une personne. » D'habitude, l'union fait la force. En l'occurrence, c'est la force qui fait l'union, le corps social ne se fait pas de lui-même : il faut contraindre les individus à ne pas se disperser.
Pour Hobbes, « l'homme est un loup pour l'homme » et c'est la peur de mourir qui peut l'obliger à bien se tenir. L’État-Léviathan est là pour le garder dans le droit chemin, faire respecter l'ordre sans lequel chacun n'en ferait qu'à sa tête et provoquerait le chaos. Hobbes publie « Léviathan » dans un siècle où l'Angleterre n'en finit pas de se déchirer. Les guerres de religion vont également diviser le Continent et Hobbes voit bien qu'on ne peut pas trop compter sur Dieu pour apaiser tout cela. Il a donc besoin d'un sérieux coup de pouce sous la forme d'une puissance qui utilise la peur et au besoin la force pour maintenir la paix et éviter un déferlement de violence. L’État émane donc de la volonté commune de vivre sans être emmerdé.
Ce que Hobbes ne disait pas, c'est que l’État pouvait lui-même devenir la source de nos emmerdes pour peu qu'il se mette au service de malfaiteurs ou malfaisants (ceux qui mal font), ce que sont les actuels néolibéraux qui nous font mal parce qu'ils font ce qui est profitable à une infime minorité de gros capitalistes qui, eux, ne pensent que par l'accumulation des profits, et par rien d'autre.
Faire intervenir l'I.A., c'est à dire l'intelligence artificielle au cœur de ce monstre ne résoudra rien à l'affaire. Il cachera derrière un écran de fumée numérique les choix délibérés de ceux qui sont aux commandes et qui ont donc le pouvoir de programmer l'I.A. et la puissance qu'elle peut mettre en branle.
Les ingénieurs qui ont fait le taylorisme n'ont sans doute pas eu l'impression de mal faire en volant le savoir-faire des artisans pour le faire faire par des machines dont les ex-oeuvriers sont devenus les ouvriers, puis en fin de compte des opérateurs sans grande qualification et interchangeables, statut qui attend pas mal d'entre nous si nous n'y prenons pas garde. Les ingénieurs et les techniciens n'étaient ni bons ni mauvais lorsqu'ils ont analysé les tâches, conçu des chaînes de machines pour les exécuter et demandé aux ouvriers de les installer pour ensuite n'être plus que des maillons dans la ligne de production. Leur mission leur a semblé neutre, seulement dirigée par un souci d'efficacité. Si les cadences ont augmenté, ce n'était pas de leur ressort mais de la responsabilité du propriétaire de l'outil conçu. L'intelligence artificielle ne saura pas plus décider de ce qui est bien ou mieux : elle visera le plus efficient. Pour que la Terre ne soit pas carbonisée, l'I.A. sait que l'extermination de la race humaine est la solution la plus efficace. Ce n'est même pas la peine de lui demander son avis : ça saute aux yeux, n'importe quel dodo vous le dira... sauf qu'il n'y en a plus. Mais ce n'est pas ce qu'on a de mieux à faire tout de même. Le paramètre humain est à prendre en compte dans toute sa diversité. Parce que la Terre, c'est aussi les êtres humains qu'il y a dessus et leur interaction avec le monde. Encore faudrait-il le dire à l'I.A.
Les technocrates qui nous gouvernent et servent les intérêts du capital croient à la puissance du numérique. Ils connaissent également celle du Léviathan étatique puisqu'ils l'ont mis au service d'un régime économique. Il leur suffirait d'informatiser totalement l'administration et tout ce qui peut l'être dans les pouvoirs régaliens, et le tour serait joué.
C'est ainsi que le robot-tueur, le drone de surveillance, Ameli, Parcours-Sup et le i-Manuel ont fait leur apparition. Officiellement, ces inventions techniques 2.0 sont là pour nous faciliter la vie et faire le meilleur choix possible à notre place. Dans la tête de ceux qui les commandent aux ingénieurs qui les conçoivent, c'est la réduction des coûts de fonctionnement qui est en ligne de mire car au final, c'est toujours l'humain qui freine le process. La justice est trop lente ? Mettez-y de l'I.A. et vous allez voir l’abattage.
Comme la machine et l'I.A., l’État n'est que le reflet de ceux qui le pilotent et ça se fait la plupart du temps à l'insu de ceux qui vont être lésés. Pas plus que l'ouvrier observé dans l'Organisation scientifique du travail ne s'est immédiatement senti dépossédé, vous n'avez l'impression que Dropbox, Facebook ou n'importe quelle boite à idées ne se servent de vous. Qui nous dit que demain la reconnaissance faciale ne sera utilisée que contre les contrevenants et non pas pour mesurer vos réactions émotionnelles de vos traits face à tel ou tel stimuli politique ? Le numérique servira celui qui le conçoit et le programme. L’État n'est lui-même qu'un outil du pouvoir, en soi ni bon ni mauvais, ça dépend du pouvoir. En démocratie, il est au service de la majorité, en aristocratie, au service des meilleurs, en oligarchie, de quelques-uns, en ploutocratie, des plus riches. A vous de vous demander où nous en sommes.
Tant que nous ne sommes pas propriétaires des moyens de production, tout ce que nous fournissons de bien (mais aussi de mal) pourra se retourner contre nous. Tant que nous déléguons le pouvoir dont nous, la multitude, sommes détenteurs a une flopée de serviteurs du capital financier, le LévI.A.than ne servira pas nos intérêts mais contrôlera nos velléités de révolution sous couvert de sécurité et de confort. Il faut bien se faire à l'idée que la paix sociale ne va pas dans le sens du communisme. Le numérique d’État non plus. L'I.A. se mettra toujours au service du plus offrant. C'est pourquoi il est urgent que le communisme attire à lui tous ceux qui n'ont pas le pouvoir de décision économique, les prolétaires, non seulement les ouvriers que l'automatisme dépossède de leur savoir-faire mais également les techniciens qui les dépossèdent au profit d'une toute petite minorité qui tire les ficelles. Ça vaut pour les ingénieurs comme pour les préfets, pour les employés de Pôle Emploi comme pour les ouvriers chez Solvay. La partie est loin d'être gagnée, elle pourra même être perdue mais elle n'est pas perdue d'avance. On ne risque rien à essayer. A ne rien faire, on sert les intérêts de ceux qui nous enterrent vivants.
Cet article vous-a-t-il été utile ? Ne répondez plus aux questions idiotes. Elles ne servent les intérêts que de ceux qui les posent et à nourrir le Big Data qui nous surveillent. C'est à nous de poser les questions pertinentes.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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