Le mépris

Publié le 06/05/2022 à 10:26 | Écrit par Stéphane Haslé | Temps de lecture : 05m56s

La campagne électorale, sans surprise, n’apporte aucune nouveauté sur le plan théorique, Louis, en tant que philosophe, s’en désole un peu. On connaît à l’avance les positions des candidats et l’on n’imagine pas Marine Le Pen décider d’accueillir tous les immigrés de Méditerranée, ni Mélenchon accepter les licenciements sans limites, au nom de l’efficacité économique. En 2017, un frémissement avait gagné un certain nombre de Français, peut-être parce que Macron était précisément celui qui pouvait surprendre, dont on attendait des propositions détonantes et, on s’en souvient, il en avait joué autant qu’il avait pu. Cette fois, l’affaire est réglée, nous savons qui il est, quel camp il représente, quels intérêts il défend : La droite libérale, dite (par elle-même) progressiste, soucieuse de préserver la propriété privée, les patrimoines, les privilèges de caste constitués depuis des décennies, celle qui ne veut rien lâcher de ce qu’elle a accumulé et qui considère ses biens comme un acquis définitif et intouchable, comme ce que la société lui doit (légitimement) du fait de son labeur (acharné), de ses investissements (risqués), du travail qu’elle fournit à tous et à toutes (les ingrats). Nous connaissons la chanson et la misère sociale pour beaucoup en conséquence de cette logique d’appropriation sans fin. 

L’un des rares intérêts d’une campagne présidentielle aujourd’hui est de permettre de mieux cerner la psychologie des candidats. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de la psychologie personnelle, de leurs goûts et de leurs hobbies, mais de repérer comment les thèses qu’ils promeuvent se marquent dans leur langages, percent dans leur propos, comment leur état d’esprit et l’état de leur esprit expriment leurs choix idéologiques. Parfois la rencontre entre leur psyché et leur discours leur est favorable, parfois non. Zemmour touche ses partisans quand il s’emballe sur la grandeur perdue de la France, il perd les autres quand il pleure sur Poutine, Le Pen émeut les classes populaires quand elle leur promet de lutter contre leur appauvrissement, elle inquiète quand on sent la violence latente dans ses propos sur l’immigration, Pécresse ne parvient plus à susciter l’adhésion tant l’on sent désormais qu’elle est aux abois, perdue, incapable de retrouver son âme et de croire à ses propres arguments, comme celles et ceux de son camp, prêts à déserter LR dès le soir du premier tour, (que dire de Jadot et Hidalgo !), le lyrisme suranné de Mélenchon fait encore rêver, quand ses emportements le ramènent aux temps du Politburo.

Louis ne se faisait aucune illusion sur les intentions de Macron pour les cinq années à venir. Le programme proposé par le Président sortant confirme sa prédiction : retraite à 65 ans, allégement des droits de succession, obligation d’un travail (ou plutôt d’une activité) pour celles et ceux recevant le RSA, etc. C’est toujours la même chose avec les politiques de droite, ce sont des mesures dont on peut penser, chacune prise isolément, qu’elles sont nécessaires, que la situation économique les justifie (plus ou moins), et quand on les prend toutes ensemble, l’on constate qu’elles dessinent un projet favorable aux dominants et hostiles aux dominés. On est dans la continuité de la formule de Warren Buffet, énoncée depuis le camp des 0,01 % des plus fortunés : « Bien sûr que la lutte des classes existe, et c’est nous qui l’avons gagnée ! ».

En revanche, Louis s’étonne de la désinvolture avec laquelle Macron mène sa campagne, pas de débat, peu de meetings, aucune initiative un tant soit peu originale, comme si ça ne l’intéressait pas. Il laisse courir les polémiques, sur le cabinet Mc Kinsey, par exemple, il contre Zemmour avec des blagues douteuses, mal préparées, il ne propose rien de neuf, en particulier dans le domaine écologique, pourtant central pour son électorat « éclairé » de classes moyennes et supérieures. On a l’impression, disons-le carrément, qu’il s’en fout. Ce je-m’en-foutisme signifie plusieurs choses. 

D’abord, il doit penser que sa réélection est quasiment assurée, le remake du second tour de 2017 ne fait plus guère de doutes et il suppose que les réflexes anti-RN fonctionneront à nouveau. Ensuite, il montre par-là combien le pouvoir l’intéresse davantage pour la jouissance qu’il éprouve à l’exercer que pour les réformes qu’il devrait engager. Les médias ne cessent de nous rebattre les oreilles autour de la difficulté qu’aurait notre Président de passer des discussions avec Biden, Scholz et Poutine à des considérations portant sur le prix de la baguette de pain ou sur les problèmes de chauffage des familles des quartiers populaires. Il aime les sommets internationaux, y jouer au chef d’Etat lui plaît assurément beaucoup, il y fait de grandes envolées sur l’avenir du monde et les enjeux futurs pour la planète, nous regardant, nous, les simples mortels, droit dans les yeux, farouche et déterminé. Tout cela révèle son indifférence à l’égard des gens ordinaires, de leurs soucis quotidiens, de leur détresse sociale. Pas un mot sur l’inflation, pas de réflexion sur les prix de l’énergie et leurs effets dans la vie de tous les jours, aucune perspective pour une amélioration des salaires, etc. Le mépris ressenti par une grande partie des Français vient de là, de l’impression d’être de trop pour ce Président, d’être des problèmes secondaires, prosaïques, indignes de sa munificence. Dans une démocratie, le peuple est pourtant censé être la raison d’être première de l’action politique et non un décor pour la galerie.

C’est là une psychologie de premier de cordée, pour reprendre une de ses expressions favorites. Il avance, aux autres de suivre, de s’accrocher, sans poser de questions. D’ailleurs, il n’y a pas de questions à poser dans le monde macronien. Il faut simplement se couler dans le mouvement du libéralisme effréné, du capitalisme absolu et se laisser porter par la loi du profit ininterrompu, par la logique de l’accumulation sans limites et tenir bon face aux tempêtes qui s’annoncent, tempêtes internes au capitalisme, notons-le. La sélection naturelle de la jungle économique a porté les meilleurs au pouvoir. Je suis au pouvoir, donc je suis le meilleur, tel est le ressort de la psychologie du candidat Macron.

Dans son logiciel, la politique, ce n’est plus l’affaire des peuples, elle se joue entre les multinationales mondialisées et les supers administrateurs locaux du capitalisme que sont les dirigeants politiques nationaux. Nous voyons bien que les entreprises qui sont installées en Russie ou qui font commerce avec elle ne sont pas pressées, c’est le moins que l’on puisse dire, de répondre aux demandes de départ ou de cessation de leurs activités qu’on leur adresse depuis les chancelleries européennes. Alors, le peuple français n’est pas le souci prioritaire de notre Directeur Général. Louis parie que, lorsque sa carrière politique s’achèvera, Macron rejoindra, à la suite des Schröder, Blair, Renzi et consorts, quelque grand groupe international pour y monnayer ses conseils et y faire jouer ses réseaux. Nous avons pu penser, au début du quinquennat, que les maladresses du Président novice : « ceux qui ne sont rien », « traverser la rue pour trouver du boulot », etc., étaient dues à son éducation, à son milieu, voire à une forme d’ignorance de ce qu’est le peuple, de ce qu’est la vie des gens ordinaires, en fait, la campagne actuelle nous fait comprendre que non, ce n’est pas cela, simplement, pour lui, le peuple ne compte pas, il n’est rien, politiquement, culturellement, il n’existe pas et les Gilets Jaunes ne lui ont rien appris. Le mépris qu’il ressent à son égard est insurmontable, il est constitutif de sa pensée, comme est constitutive de l’économie capitaliste mondialisée l’indifférence à l’égard de la condition des salariés.




À propos de l'auteur(e) :

Stéphane Haslé

Convaincu que l’universalisme est une particularité nationale, je me considère comme un citoyen français du monde (intellectuel), définition possible du philosophe. Agressé chaque jour par les broyeurs à idées qui nous environnent, je pense que la résistance, même désespérée, ne doit pas être désespérante.


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