Haute-couture, porte-manteaux et duplicité chez Kering
Le désert d’Agafay est à une petite trentaine de kilomètres au sud-ouest de Marrakech… et de son aéroport. Y a du sable et des cailloux, du soleil et des imbéciles fortunés qui font du quad et du buggy. Mais pas de train ni vraiment de route. Quant à l’eau… Mais c’est pas grave. Le délicieux Anthony Vaccarello, le génie inventif de la maison Saint-Laurent, y a invité 220 journalistes, influenceurs et vedettes en tout genre pour présenter sa collection homme. Les mannequins marchent autour d’un bassin artificiel creusé pour l’occasion. On est le 15 juillet: l’interdiction de laver ta carrosserie de bagnole ne t’a pas encore frappé, ami maniaco-Karcheriste. Quant au cercle de feu sur la photo, ami cordon bleu, n’y vois aucune allusion au brûleur de ta gazinière que tu n’auras peut être plus les moyens d’alimenter cet hiver parce que ce sera ou manger chaud ou faire sécher tes fringues sur le radiateur, mais pas les deux. Autour du fashion show, c’est la débauche d’agapes habituelle. Béatrice Dalle n’a pas pris le volant pour rentrer à l’hôtel et Catherine Deneuve a dégrafé sa blouse afin de s’engouffrer une dernière corne de gazelle pour la route. Même un peu serrés dans les 4x4, ça doit pas faire loin d’une flottille de 50 véhicules, rien que pour transbahuter les invités. Quant au matos, pas de souci: on le laisse à la population locale qui trouvera bien le moyen de le recycler (ces gens-là sont tellement ingénieux!) et l’eau du bassin sera généreusement reversée aux pieds des oliviers dans la région (il doit bien y en avoir dans un rayon de 10 kilomètres). C’est merveilleux, ce post-colonialisme assumé! On débarque avec du clinquant, on le fait briller pendant deux ou trois heures et zou, nous revoilà en Europe, loin de tous ces ploucs du bled qu’on n’a à peine eu le temps d’apercevoir à travers le nuage de poussière. « En 2022, le luxe n’a jamais été aussi extravagant, ni aussi conscient des conséquences de ses actes. » Cette ravissante antithèse n’est pas extraite d’une brochure du groupe Kering mais du très critique journal Le Monde sous la plume de leur envoyée spéciale Elvire von Bardeleben (a priori, ce n’est pas un pseudo, on n’est pas dans Libres Commères non plus!). Je cite Kering, le groupe de luxe des milliardaires Pinault, parce que c’est François-Henri qui est derrière tout ça. Parfum, cosmétique, montres, lunettes, mode, irrégularités fiscales, le luxe au grand complet. C’est chouette, comme le logo assez moche de la boite. On fraude avec les impôts mais la page Wikipédia comprend un gros article intitulé « Luxe responsable » qui se termine ainsi: « En 2022, l’entreprise ouvre son capital à l’actionnariat salarié ». C’est adorable, cette manière d’impliquer le petit personnel. Mais ce n’est pas tout, mais ce n’est pas tout. Voici le dernier paragraphe de la page d’accueil de Kering. François-Henri ne m’en voudra pas: on a fréquenté le même établissement scolaire il y a plus de quarante ans. Souviens-toi, François-Henri, tu tentais de dégommer des morceaux de la grande rosace de la chapelle dans la cour des secondes-quatrièmes du collège Saint-Vincent à Rennes en lançant une balle de tennis de toutes tes forces contre la malheureuse qui ne t’avait rien fait. Je te regardais faire en disant déjà: quel con! Mais revenons à notre site tout ce qu’il y a de plus officiel et langue de boite: « Agir pour un Luxe durable. Impossible aujourd’hui de concevoir un Luxe qui ne serait pas durable, attentif à la société et à l’environnement dans lequel il s’inscrit sur le long terme. Plus que jamais, Kering se préoccupe de l’impact de ses activités sur la planète, sur le changement climatique et sur les ressources naturelles ; s’engage pour le bien-être de ses collaborateurs, de ses fournisseurs et de ses clients ; imagine des solutions disruptives pour préserver un patrimoine riche et inspirer les générations futures. Ces trois piliers orientent la stratégie développement durable de Kering à horizon 2025 et engagent notre responsabilité à façonner le Luxe de demain. » Tiens, François-Henri, puisque je t’ai sous la main, tu vas pouvoir répondre à deux ou trois questions. Pourquoi tu mets une majuscule à luxe? Si tant est que le luxe, c’est ce dont on peut se passer, en quoi peut-il bien s’inscrire dans un programme de développement durable? La solution ne serait-elle pas de justement supprimer le luxe, inutile par définition? Ça pour le coup, ce serait une vraie solution disruptive et ça romprait pour de bon avec l’incroyable gaspillage dont toutes tes maisons de couture et de production de vent pailleté se rendent coupables? Et tu as beau faire affirmer par Le Monde que «ce défilé atteint la neutralité carbone : les émissions de gaz à effet de serre ont été calculés et sont compensés par des projets de préservation des forêts », on a tout de même l’impression que tu te fous de notre gueule. D’autant que le bilan carbone au niveau de ton avion personnel est déjà très lourd cette année: à l’heure du télétravail, ces vols intempestifs n’ont pas plus de sens que de financer la restauration d’une rosace qu’on aura démoli à coups de balle de tennis. Mais rassure-toi, sur ce dernier point, je n’ai pas souvenir que tu aies été terriblement performant. C’est pourquoi je ne me fais guère d’illusion quant à l’efficacité du « Fashion Pact » pour lequel le président Macron t’a mandaté. Vous devez tous avoir une bien mauvaise conscience pour vouloir faire ainsi du tape à l’oeil écolo-mon-cul et du beau geste médiatisé à tout prix (on se rappelle la surenchère de dons pour Notre-Dame avec LVMH). Quant à toi, ami smicard, tu n’es pas obligé d’acheter du Gucci pour passer l’hiver et je ne te ferai pas l’affront de te demander de boycotter des boutiques dont tu ne dois pas connaitre l’adresse. Sinon Pinault-Kering, c’est FNAC-Darty. A toi de voir, camarade.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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