Mode sombre

Ce texte est initalement paru dans la version papier de Libres Commères début octobre.

Les boutiques Camaïeu vont fermer, 2600 personnes se retrouvent au chômage. Le gouvernement considère que les 70 millions d’euros nécessaires à la continuation de l’activité de l’entreprise ne sont pas justifiables économiquement. Le ministre délégué chargé de l’industrie, Roland Lescure, affirme que l’État ne peut pas se substituer aux actionnaires et « n’est pas capable », dit-il, d’accorder cette somme pour maintenir la société à flots.

Louis est effrayé par ce discours, il repense à la formule de Nietzsche : « L’État est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment froidement ». Le mensonge, ici, n’est pas dans le constat économique, qui est probablement juste, dans un cadre capitalistique, cette entreprise a, apparemment, été mal gérée et n’a pas su résister à la concurrence des ventes sur internet, entre autres. Non, le mensonge est de dire que l’État ne peut pas agir, qu’il n’est pas capable de sortir l’argent demandé. Evidemment, c’est faux. L’État ne veut pas agir, il choisit d’obéir à la loi du marché et de laisser la logique brutale (pour les salariés) du profit décider pour lui. Nous sommes bien plongés, pour reprendre Marx cette fois, « dans les eaux glacées du calcul égoïste ». 

La rhétorique néolibérale du ministre Lescure est devenue la doxa de notre temps. C’est toujours de ce point de vue, le point de vue du capital, jamais celui du travail, que les décideurs décident et que les analystes patentés déploient leurs arguments et développent leurs visions du monde. Ce qui sert les intérêts du capital est présenté comme l’effet inéluctable des lois économiques et toute déviation, toute remise en question, de ce paradigme, est désormais dénoncé comme une impéritie, un raisonnement d’idéaliste, ou pire, comme une atteinte à l’équilibre – fragile - du monde. Les promoteurs du néolibéralisme et leurs penseurs affidés, omniprésents dans les médias, nous disent que chercher à intervenir dans le cours « naturel » du marché provoquerait un chaos irrémédiable, comme si ce n’était pas le monde même produit par ce système qui était le chaos, comme si le chaos n’était pas l’état permanent de ce monde.

Il y a tout de même une nuance, semble-t-il, et qui n’est pas mince. L’État est désormais sommé de lutter contre le dérèglement climatique, ce qui doit le conduire à, cette fois, vouloir investir des milliards d’euros dans la lutte contre le réchauffement climatique et à être capable d’ouvrir des lignes budgétaires pour les énergies renouvelables. Les belles âmes d’aujourd’hui voient en cette politique pro-écologique la preuve d’une sagesse politique retrouvée, en cela qu’elle manifesterait la capacité à penser et à agir au nom des intérêts supérieurs de tous et non plus de quelques-uns.

Louis n’y croit pas. Sauver la planète, et l’humanité par la même occasion, est une noble cause, mais c’est d’abord la condition pour permettre au capitalisme de se perpétuer. L’humanité n’est pas une entité abstraite, uniforme ou partout identique à elle-même. La planète qu’il s’agit de sauver est celle qui est gouvernée par la logique qui envoie 2600 employés de Camaïeu au chômage, qui nous prépare une retraite à 65, 66, ou 67 ans, qui refuse d’augmenter les salaires malgré l’inflation. La planète qu’il s’agit de sauver est la planète dominée par ceux-là mêmes qui ont produit la catastrophe écologique. 

L’État macronisé ne met nullement en question les principes et les mécanismes du capitalisme prédateur, au contraire, il se fait l’outil politique des fins celui-ci. Quoi qu’il en coûte, le capitalisme doit survivre.


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À propos de l'auteur(e) :

Stéphane Haslé

Convaincu que l’universalisme est une particularité nationale, je me considère comme un citoyen français du monde (intellectuel), définition possible du philosophe. Agressé chaque jour par les broyeurs à idées qui nous environnent, je pense que la résistance, même désespérée, ne doit pas être désespérante.


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