Mode sombre

Depuis la publication de ce texte dans la version papier, l'équipe de France a eu le temps de perdre la finale et Emmanuel Macron de se comporter comme un golden boy défoncé.

Louis a bien entendu l’injonction du Président : « Il ne faut pas politiser le sport ». C’est pourquoi, quand celui-ci se rendra au Qatar, pendant la coupe du monde de football – si l’équipe de France atteint les demi-finales -, son acte sera uniquement sportif et n’aura aucune signification politique. Il viendra encourager les Bleus, joueurs de football et exclusivement joueurs de football, pas de brassard en soutien aux minorités sexuelles, pas de déclarations à propos, ni des ouvriers morts pendant la construction des stades, ni des conditions de travail insupportables, pas de considération sur l’aberration écologique de l’événement. Il reste cependant un point que le Président oublie, c’est que ces joueurs représentent la France, comme les joueurs allemands représentent l’Allemagne, comme les joueurs brésiliens représentent le Brésil, etc. N’est-ce pas un peu politique, cette mise en scène de la Nation, de la Patrie, du Pays ? Ne faudrait-il pas demander que les maillots soient uniformément blancs, que les équipes soient tirées au sort, comme Louis le faisait, enfant, avec ses potes du quartier, avant de commencer le match ? À moins que Macron ne considère que la Nation, aujourd’hui, à l’ère de la mondialisation, ce n‘est plus politique.

Qu’est-ce, alors, qui est politique ?

La limitation de la durée d’indemnisation des chômeurs, présentée par le ministre Dussopt, aile gauche du macronisme, ce n’est pas politique, c’est économique. Et aussi un peu psychologique, le chômeur sera ainsi “incité” à chercher du travail plus intensément.

La réforme des retraites, l’âge de départ repoussé à 65ans, ce n’est pas politique, c’est démographique et donc, mathématique. Le ratio actifs/retraités parle de lui-même.

L’abolition de la corrida, pas politique, une affaire de traditions. Comment renier, du jour au lendemain, une pratique locale ”enracinée“ ? Vous n’offririez pas, à votre grand-mère habituée à sa cuisinière à bois, un four multifonctions connecté, elle serait incapable de l’utiliser.

L’aide à mourir, ou l’assistance au suicide, pas politique, éthique, une affaire de conscience. Chacun doit juger, même si l’éthique, c’est personnel et ça prend du temps à accorder les avis divergents.

L’accueil des migrants, ce n’est pas politique, sauf pour ceux qui veulent instrumentaliser la détresse, dit le Ministre de l’Intérieur, c’est une affaire de police, de sécurité publique. Un État doit garantir la paix sociale, avant tout une question administrative.

Louis retrouve là l’obsession du macronisme, dépolitiser l’État, le transformer en une méthode de gestion, en gouvernance assise sur l’expertise et les données objectives, voire scientifiques. Il serait bon qu’il le dise enfin clairement et cesse d’avancer masqué, parce que, dans nos sociétés, l’État est, en son essence, démocratique et républicain. En tant que tel, sa politique est l’affaire de tous. Il s’agit de gouverner par le peuple et pour le peuple. C’est ce projet que révoque le macronisme, ignorant de ce qu’est le peuple, n’y comprenant rien, comme l’a clairement montré le mouvement des Gilets Jaunes.

S’il est légitime de parler d’un ”grand remplacement” aujourd’hui, c’est celui qui est à l’œuvre, dans les discours et les pratiques de nos dirigeants et de leurs affidés, pour remplacer, sinon effacer, le peuple. On le fait disparaître du discours, on substitue au signifiant “peuple“, la “population”, les ”classes défavorisées“, les “immigrés”, les ”habitants des quartiers périphériques“, la “ruralité”, etc., le vocabulaire médiatico-politique ne manque pas d’inventions pour effacer la catégorie ”peuple“ de notre vocabulaire commun. Or, cette catégorie valait comme symbole d’unité et d’identité pour celles et ceux qu’elle représentait, ou qui se reconnaissaient en elle, c’est pourquoi il importe de la faire éclater en ces multiples sous-catégories qui dispersent les expériences de vie des dominés en les réduisant à l’isolement de leurs cases sociologiques, en les séparant, idéologiquement, de leurs semblables. Le mot “peuple”, depuis la Révolution de 1789 portait en lui, à la fois l’inquiétante présence de celles et ceux toujours prêts à refaire corps sous la forme de la révolte, de l’insurrection, contre l’injustice sociale et, en même temps, soulignait une dignité politique éminente, puisqu’il désignait le fondement du Pouvoir, sa source et sa fin.

Le vocabulaire néolibéral de nos élites a réussi à détourner le ”peuple“ de ce sens politique positif et à en faire un signifiant presque obscène. On en revient à l’idée d’une masse grouillante, habitée de passions tristes, soucieuse exclusivement de plaisirs matériels et sans ambition autre que de consommer. On n’ose pas encore aller franchement au bout de la relégation ontologique du peuple, mais il suffit d’écouter ce que l’on dit du populisme pour comprendre que ce qui est attendu, c’est d’en finir avec le peuple, une fois pour toute. La haine du populisme, chez nos dirigeants, masque à peine leur haine du peuple. Louis voit bien que le populisme est un mot inventé pour les besoins de la cause, de la cause néolibérale, sur les dépouilles du socialisme et du communisme, pour donner le coup de grâce à l’espoir révolutionnaire.

Il pronostique la prochaine sortie de Macron : « Il ne faut pas politiser la politique »


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À propos de l'auteur(e) :

Stéphane Haslé

Convaincu que l’universalisme est une particularité nationale, je me considère comme un citoyen français du monde (intellectuel), définition possible du philosophe. Agressé chaque jour par les broyeurs à idées qui nous environnent, je pense que la résistance, même désespérée, ne doit pas être désespérante.


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