Mode sombre

Pourquoi les discours et interventions diverses de Macron sont-ils si creux et si décevants, pourquoi n’en retenons-nous que l’anecdotique et le trivial, (ainsi, la « bagnole » vantée récemment lors d’un 20h00 commun à TF1 et France2), pourquoi aucune perspective globale n’y apparaît-elle jamais, bref, pourquoi le souffle de l’Histoire n’est-il jamais au rendez-vous ?

Louis n’en accuse pas le seul Emmanuel Macron qui n’est que le symptôme de ce phénomène et qui endosse, sans le savoir, le rôle de porte-parole d’une vision du monde répétée par la plupart des politiciens du moment, ici et ailleurs.

Cette vision du monde repose sur le postulat selon lequel l’humanité a péché en ne pensant qu’à elle à travers les siècles. L’humanité dont il est question dans une telle représentation est celle qui est le produit de la civilisation européenne : antiquité gréco-latine, moyen-âge chrétien et modernité républicaine. Le reproche commun adressé aujourd’hui à toutes ces époques, c’est qu’elles auraient développé des visions anthropocentrées, posant l’Homme, alpha et oméga de la réalité,  au centre de tout. Interprétation parfaitement défendable : Les Anciens faisaient de l’homme le seul être capable de vérité, pour le christianisme, il était à l’image de Dieu et pour les modernes, sa supériorité tenait en sa capacité à donner un sens à son existence et  à toute existence en général. Dans tous les cas, sa position centrale l’aurait conduit à dévaloriser et mépriser le monde alentour, la nature, les vivants non humains, le cosmos en son entier. L’humanisme, dans lequel Louis inclut les philosophies antiques et la théologie chrétienne, ne serait alors qu’une autopromotion de l’humanité, aveuglée par le culte d’elle-même, oublieuse de ses dettes à l’égard de son environnement. L’ultime avatar de cette philosophie, jugée égoïste, étant l’idée de progrès, progrès défini comme l’actualisation des capacités de l’Homme au cours du temps, idée dont le socialisme fut la pointe avancée pendant quelques décennies.

Louis ne parvient pas à adhérer à la doxa à la mode, son passé et son éducation l’ont probablement enchaîné irrémédiablement à l’idéalisme associé à l’eschatologie païenne (ou marxiste, si l’on préfère) : la lutte pour la  justice et la liberté demeurent pour lui les objectifs les plus hauts de nos vies.

Quoi qu’il en soit, son refus de jeter les acquis des combats passés dans les poubelles de l’histoire lui permet, au moins, de comprendre certaines des conséquences du positionnement actuel.

Le progrès (technique, mais aussi social et politique) était conçu comme un mouvement global, dont allait tirer bénéfice l’ensemble des êtres humains. Il y avait l’idée, explicite, que l’humanité visait un but partagé par tous, qu’il existait une parenté entre les attentes humaines, aussi variées fussent-elles, et qu’un projet collectif pouvait donc avoir un sens. Cela fondait  l’espoir d’une émancipation valable pour toutes et tous, réunis autour de valeurs et idéaux universel, ou universalisables. La notion d’humanité se concrétisait dans des œuvres et des réalisations, fruits des efforts d’individus ou de groupes, mises  au service de tous les autres. Dans les arts, les sciences, au travail, les hommes agissaient et créaient et leurs productions les enrichissaient mutuellement. L’évolution n’était certes pas rectiligne et des régressions restaient possibles, mais l’idée d’une « histoire universelle » du genre humain, selon la formule de Kant, était valide. Chacun, dès lors, pouvait penser que, à la mesure de ses moyens, il apportait sa pierre à l’édifice et contribuait à l’amélioration de l’espèce.

Cet optimisme est nié aujourd’hui. Non seulement l’hypothèse d’un monde possiblement partagé et harmonieux est abandonnée, mais elle passe pour un idéal totalitaire, liberticide. Chacun a droit à son idée du Bien et du Bonheur  et aucune ne vaut mieux qu’une autre. Ensuite, les efforts consentis par nos prédécesseurs, au nom de l’espérance humaniste, sont considérés comme la cause des maux actuels, les moyens (essentiellement technologiques) mis en œuvre  pour que nous vivions mieux sont accusés d’être les responsables de la dévastation de la nature, de la disparition de la biodiversité, etc. Louis veut bien admettre le diagnostic, mais il en aperçoit également des conséquences rarement évoquées.

La première aboutit à la disparition de l’homme en tant que sujet historique. L’avenir est désormais du côté de la nature, c’est depuis elle que les lignes sont tracées et que sont déterminées les actions à conduire, ce sont ses nécessités qui donnent les fins à poursuivre en priorité. Or, depuis les Grecs, la politique avait été vue comme le lieu où un monde propre aux volontés et désirs humains se construisait, autour des paroles mises en débat sur l’agora, dans un espace à l’abri des puissances naturelles et divines. La politique était considérée, par les philosophes, comme « le royaume de la liberté réalisée », pour reprendre une magnifique formule de Hegel. On nous dit que c’est terminé et l’homme doit apprendre la modestie en se faisant simple élément de processus qui le dépassent et l’englobent (ou l’engloutissent).

Une deuxième conséquence (parmi d’autres) est que ce nouveau paradigme, auquel nous sommes sommés d’obéir, est parfaitement compatible avec les matrices du néo-libéralisme et rend même plus puissantes les forces qui le constituent. Louis  continue à penser que l’incontournable syntagme,  « transition écologique », désigne, en fait, la période dont a besoin le capitalisme pour s’adapter aux exigences de la préservation de la nature. Un « capitalisme  vert » est parfaitement possible, tout autant que l’a été le « capitalisme rouge » mis en place en Chine. Nous aurons des entreprises qui tourneront à plein régime pour produire les éoliennes, les batteries électriques, les avions à hydrogène, tout en sauvegardant l’essentiel, la raison d’être du Capital : dégager les profits les plus élevés possible en exploitant le travail humain. Cette perspective, elle, n’a pas à être remise en question, et ne le sera pas, d’autant plus que, dans ce monde futur où nous serons réconciliés avec la nature, les individus n’auront plus aucune raison de s’associer en vue d’un idéal commun à construire, à imposer, à défendre, celui-ci est déjà là, indiscutable et absolu.

Nous n’en avons pas fini des discours lénifiants.


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À propos de l'auteur(e) :

Stéphane Haslé

Convaincu que l’universalisme est une particularité nationale, je me considère comme un citoyen français du monde (intellectuel), définition possible du philosophe. Agressé chaque jour par les broyeurs à idées qui nous environnent, je pense que la résistance, même désespérée, ne doit pas être désespérante.


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