Nos sociétés face à la violence - Étoffe de philo du 6 octobre 2023

Publié le 19/10/2023 à 12:03 | Écrit par La Rédac' | Temps de lecture : 07m39s

Par Tournesol, envoyé spécial chez les intellos de la MJC (NDLR: Étoffe de Philosophes est un rendez-vous mensuel ouvert à tous)

L’actualité sanglante de cette rentrée philo inaugure octobre avec un thème qui ne fonctionne pas. L’ambiance était plombée d’entrée. Quand je lis « Nos sociétés face à la violence », j’avoue retenir que l’hostilité dans laquelle j’évolue chaque jour n’est pas prête à s’apaiser, même un vendredi soir.

D’abord, « nos sociétés », c’est vague. Des sociétés occidentales et contemporaines certainement, celles dans lesquelles nous vivons, seraient placées en face de la violence. Mais peuvent-elles tout aussi bien être productrices de violence? Quant à « la violence », c’est flou, passe-partout, angoissant.

  • - Mais dites-moi, Professeur, lequel d’entre vous trois a choisi le thème ?

L’étoffe d’Haslé est symétriquement ourlée du Dr Qui ? à sa droite et Anthony, de l’autre côté. La cérémonie a déjà démarré lorsque j’arrive avec deux minutes de retard. J’attrape un fauteuil au vol, me cale presque discrètement derrière l’assemblée bien étoffée, sur cette chaise de visiteur à l’assise noire et distendue. Bic quatre couleurs et cahier ligné sortis, c’est parti pour une heure de prise de notes soutenue. Cinq pages et une dizaine d’heures plus tard, voilà le rendu.

MC Haslé aux platines, le développement en deux parties savamment distribué à chacun des snipers. Entre nous, ils ne sont pas toujours d’accord avec le maître, check this out.

Le Dr Qui ? d’abord, contradicteur dissident du sage professeur, ouvre le sujet sous l’angle de l’étude de René Girard qui porte la thèse selon laquelle : « On ne peut pas s’en préserver car nos sociétés continuent de se fonder autour de la violence. » Un mythe originel selon Freud, un premier conflit fonde inexorablement la violence.

Si, pour Rousseau, l’homme est doux et bon par nature, pour Girard, il est indifférent. C’est sa culture qui va le façonner. L’être humain fonctionne par mimétisme, alors, ce que nous apprend Girard, c’est que dans toute situation de rivalité, il y a un objet. Mais un objet du désir, relégué au second plan, et donc à valeur illusoire. La rivalité est première, et c’est elle qui va conduire à la violence.

Le deuxième acolyte d’Haslé, quant à lui, répond à la question à travers l’étude d’« Ainsi parlait Zarathoustra » de Nietzsche. Juste avant, Anthony observe. L’homme est domestiqué par les modes du pouvoir, et s’il est réduit au vide, ne serait-ce pas là l’avènement de son déclin? Une marque de l’arrêt du progrès et de lutte pour ses libertés ?

La violence est omniprésente : dans le sport, à la TV, chez soi, dans les idées, la critique, les mauvaises pensées…

Rousseau nous dit que l’homme est bon par nature et corrompu par la société.

Pour Nietzsche, l’homme naturel possède empathie et amour de soi. Le basculement dans la violence a lieu à l’occasion de l’appropriation de la terre, autrement dit accéder à la propriété privée s’opère inexorablement dans la violence.

Dans nos sociétés, tout est organisé pour ceux qui possèdent des terres. Les conditions matérielles de l’existence sont exercées par un modèle capitaliste. Le prolétaire qui n’en possède pas est exploité. Alors le capitalisme produit de la violence. Et donc, pour sortir de la violence, il faut sortir du système qui la produit.

  • - La violence, c’est angoissant, nous apprend le professeur.
  • - Je suis d’accord, mais c’est aussi douloureux. Et puis, Mathéis (NDLR: Qui?) a prévu de développer l’angoisse au Détour la semaine d’après.

En réalité, poursuit MC Haslé, il conviendrait mieux d’exprimer la violence générique dans une énonciation plurielle : ce sont des violences : policières, sexuelles, face à la nature, envers soi-même, etc. Il n’est pas même acquis que toutes ces occurrences, différentes, permettent de définir un concept, une unité de sens.

Mais établir un concept est-ce seulement possible ? Former une unité qui permette de penser ce terme de violence limité à la question de nos sociétés. Parce qu’une question de société, c’est avant tout une question qui concerne l’existence de l’être humain. La violence serait donc circonscrite aux relations interhumaines.

En même temps, il n’est même pas sûr que cette limitation soit réelle…

  • - Ah oui ?
  • - Ce qui est violent pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre.
  • - À propos, je lisais justement que Mazarine Pingeot posait une forme de question similaire, lors de sa rentrée littéraire concomitante, dans « Le salon de massage ». Entre récupération politique de la diffusion d’images à caractère privé usurpées au personnage principal et pression médiatique pour faire droit, « peut-on porter plainte pour réparer une injustice qu'on ne ressent pas ? Est-ce qu'on a le droit de ne pas ressentir une injustice dont tout le monde s'accorde à dire que c'est une injustice ? Dont on ne voit pas en quoi elle constitue une injustice ? »

La violence, c’est quelque chose de central dans la condition humaine parce qu’on a l’impression que la violence a toujours accompagné l’homme. Il est difficile de se représenter l’humanité sans violence, même latente, derrière une représentation pacifique.

Rousseau a tenté en 1755 de séparer l’homme de la violence. L’homme vit très simplement : il a quelques besoins, quelques sentiments, son intelligence est pauvre parce que sa pensée n’a pas l’occasion de s’exercer.

Ce que nous montre cette image, c’est que c’est la société qui rend l’homme humain et l’humanité, c’est la relation des hommes sans cesse répétée avec ses semblables. Il y a corrélation entre violence et vie sociale. En réalité, il est impossible de penser l’homme en dehors de la société.

Comment la violence est-elle liée à la vie sociale ? 

Dans les sociétés animales, la forme d’agressivité instinctive et intraspécifique des animaux se joue entre les mâles pour préserver la reproduction de l’espèce. Cette agressivité a pour but de sélectionner les meilleurs reproducteurs. La vie sociale permet aux animaux d’une même espèce de se reproduire. Une hiérarchie sociale se met en place par cette agressivité.

Si l’homme est aussi un animal, on peut penser que quelque chose relève d’une même dimension, son agressivité serait alors le corolaire de son animalité, si elle n’est pas réfrénée ni orientée autrement.

Freud avait avancé que la pulsion infrastructurelle exige d’être satisfaite quel qu’en soit le prix. Il va falloir canaliser cela vers quelque chose de compatible, tempérer ces processus animaux vers des buts acceptables. Le sport et l’art sont autant de formes d’expression de la violence de l’homme. À la différence des animaux, les hommes ont dû inventer des process pour humaniser la violence qui est au fond d’eux. Car l’homme porte en lui la pulsion de mort, qui continue de l’habiter.

La culture est un ensemble de process par lequel le régime de pulsion initial parvient à se convertir différemment et devient humain. La société humaine est un moyen de désanimaliser l’homme sans pour autant faire disparaitre l’animalité.

Chez les animaux, les mécanismes autorégulateurs de violence évitent qu’on aille jusqu’à la mort. Si la domination est établie, la plupart du temps, on s’arrête là. Pour l’homme, la société serait mise en place pour remédier à la violence originaire de l’être humain, et la forme actuelle de ces contrefeux, la machine la plus sophistiquée à ce jour, c’est l’État politique.

Toutes les sociétés avaient inventé des institutions pour empêcher la manifestation des phénomènes antisociaux. Selon Max Weber, l’État a le monopole de la violence physique légitime, avec les moyens d’interdire la violence qu’il n’estime pas légitime ou qui met en péril sa société. Les définitions de la violence vont donc être différentes en fonction des États. Qu’il s’agisse de lire le journal ou de porter un voile, c’est l’État qui va définir les contours d’une violence acceptable.

Mais alors, pourquoi l’État avait cette mission ?

Pour Hegel, ce qui caractérise l’homme par rapport à l’animal, c’est sa rationalité, c’est une faculté que n’ont pas les animaux. La raison, c’est la capacité de penser par-delà l’existence personnelle. En tant qu’homme capable de se dire ce qui est juste et comment bien se conduire dans une société civilisée.

Le rôle de l’État va être de rappeler les dimensions humaines de l’intérêt de l’homme, qui a plutôt tendance à l’individuation. L’État va être une structure et pour cela, utilise la raison, la raison qui s’exprime à travers des lois politiques, des lois pensées par l’ensemble des citoyens en tant qu’êtres d’exception. L’État, c’est le lieu où notre liberté va s’accomplir en tant qu’être raisonnable. 

Mais nos sociétés animales ne sont pas capables d’être régies par la raison. La vérité des sociétés humaines est dans ce qui dépasse la naturalité.

L’État vient lui-même de la violence. Il convient ici de distinguer l’origine du fondement : L’origine, c’est 1789 et le fondement, c’est ce qui est inclus dans l’être : la possibilité de parole chez l’enfant entre deux et trois ans, par exemple. À l’opposé il n’y a pas cette possibilité de parole chez le singe.

Ce qui fonde la société humaine, ce vers quoi elle veut se réaliser, c’est le droit, et le droit est un ensemble de lois rationnelles qui va permettre de faire coexister pacifiquement nos libertés. (Kant)

Finalement, la violence, c’est le moment où l’identité de l’autre est niée. Dès qu’il y a hiérarchie, il y a violence. À quel moment alors, apprend-on à considérer l’identité de l’autre ? L’amour n’est pas enseigné à l’école.

Et si l’amour est le contraire de la violence, il est temps qu’on en parle et de préférence, ensemble.




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