Mode sombre

Tel était l’intitulé de la soirée-débat organisée par l’Union écologique & sociale (UES) le 16 novembre dernier à l’école des Commards à Dole, avec en invitées deux députées NUPES, Clémentine Autain (de La France insoumise) et Cyrielle Châtelain (de Europe-Écologie-Les Verts-Les écologistes : oui, c’est long, mais c’est comme ça), et deux médias audiovisuels pour prendre des images de l’événement : Radio BIP (Bisontine, indépendante et populaire, pionnière locale des radios libres, lancée en 1977 : http://radiobip.fr), mais également Quotidien, émission télé d’infodivertissement (tout un concept !) du groupe Bouygues qui a énormément fait pour convaincre la France entière que Mélenchon était bel et bien républicain en le montrant pendant des mois en train de brailler « La République, c’est moi ! », son équipe de parigots s’étant retrouvés par hasard au fin fond de la province en suivant Clémentine, leur vedette du moment.

La soirée a été scindée en deux parties : d’abord sur le conflit russo-ukrainien, puis sur le conflit israélo-palestinien. Les deux intervenantes ont pu faire leur exposé tour à tour. Sans grande surprise, nombre de points communs les rapprochent : attachées à l’internationalisme, à la paix, au droit à l’autodétermination des peuples, au respect du droit international tout en étant conscientes de ses défaillances ; opposées à la théorie de la guerre des civilisations de Huntington ; constatant les doubles standards de l’Occident et leur impact négatif sur sa crédibilité, sa légitimité et son influence dans le monde, et plus spécifiquement la marginalisation de la France sur la scène internationale avec les positions erratiques de ce qui lui tient actuellement lieu de chef d’État, et reconnaissant également l’insignifiance géopolitique actuelle de l’Union européenne indépendamment de l’OTAN.

Quelques nuances tout de même entre les deux. Cyrielle appelle de ses vœux une indépendance géopolitique de l’Europe, quand Clémentine constate que l’Europe a avant tout été construite pour le Marché sans véritable socle d’idées communes. LFI s’exprime en faveur de la sortie de l’alliance atlantiste, alors que EELVLE dit vouloir rester en son sein mais avec un rééquilibrage. Autain a pu aussi rapidement préciser le choix de ne pas utiliser le mot « terrorisme » pour éviter qu’un parallèle trompeur ne soit établi entre le Hamas et Daesh, tandis que Châtelain dit y recourir par compassion pour les victimes.

Si les Insoumis ne présentent pas vraiment de solutions pour s’émanciper du giron étatsuniens (sinon en disant qu’il faut réfléchir à d’autres formes d’alliances), au moins ont-ils le mérite de ne pas tenir des propos qui relèvent plus de la pensée magique que de la lucidité politique. En effet, comment croire que l’OTAN pourrait se « rééquilibrer », c’est-à-dire réduire le contrôle des USA sur l’organisation au bénéfice des autres membres, alors que sa raison d’être même plus de trente ans après la fin de la Guerre froide est de maintenir l’hégémonie yankee sur ses soi-disant « alliés » qui ne sont de fait rien d’autres que ses vassaux ? Comment présenter comme « factuel » l’idée que, dans l’hypothèse où une défense européenne existerait déjà, les dépenses militaires n’auraient pas autant augmenté dans les pays de l’UE par un bel effet de mutualisation, alors qu’on observe le phénomène opposé avec l’OTAN qui pousse chacun de ses membres à engager toujours plus d’argent dans les budgets d’armement ?

Les quelques échanges avec la salle ont montré que le public n’était pas là en simple spectateur passif et admiratif, contrairement à ce que semblait penser l’équipe parisienne de Quotidien qui abordait les gens avec une question adaptée aux groupies : « Qu’est-ce que Clémentine Autain représente pour vous ? ». Rien à faire du thème du débat et de l’importance des enjeux actuels : on est là pour entretenir l’image du showbiz politico-médiatique avec une plèbe réputée idiote et fascinée par des vedettes.

L’assistance, très probablement idéologiquement proche de la NUPES, n’en conservait pas moins un certain recul critique par rapport aux oratrices, qui ont pu quelquefois verser dans une rhétorique personnalisante et psychologisante de Poutine, ou un peu trop centrée sur l’Occident (en déplorant par exemple que l’ensemble des pays du Sud ne se soient pas alignés concernant les sanctions contre la Russie). Ainsi, le public a-t-il rappelé la main tendue par la Russie dès Gorbatchev, ou encore pointé le fait que les USA sont la principale clef pour faire cesser les bombardements d'Israël sur Gaza.

Soirée pas inintéressante, mais on ne peut que regretter que le discours des invitées en rapport direct avec le thème – « l'Europe face à la guerre » – en soit resté au stade des déplorations, constats d’impuissance et autres vœux pieux, et plus encore que certaines questions concrètes n’aient même pas été traitées. Qu’est-ce qui permet d’espérer quoi que ce soit d’une « euro-défense » quand l’UE s’aligne docilement et systématiquement sur la ligne de l’Oncle Sam ? Qu’est-ce qui permet de croire même en l’avènement d’une Europe de la défense indépendante, alors que nombre d’États membres (à commencer par le mastodonte économique allemand) se fournissent en armement américain ? Tout en relevant par ailleurs que cet état de fait ne fera que rendre de plus en plus difficile techniquement l’interopérabilité des matériels des armées européennes !

Même si la gauche française est pleine de bons sentiments et semble parfois capable d’une certaine lucidité, elle semble définitivement empêtrée dans ses contradictions sur les questions internationales, à tel point que l’on pourrait parfois se demander où s'arrête la médiocrité intellectuelle et où commence le déni pathologique, voire la duplicité politicarde (notamment sur l’atlantisme).

Quoi qu’il en soit, point n’est encore temps de compter sur l’Europe pour peser contre la guerre. Comme l’a rappelée la représentante du Réseau pour une paix juste au Proche-Orient ce soir-là, il ne reste aux peuples du monde guère que leurs mobilisations massives pour réclamer la justice et la paix, en espérant que cela suffise à faire bouger un tant soit peu dans le bon sens les équilibres géopolitiques actuels.

Tintin 21.


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