A l’école de Bernard Friot
On en a fait notre une du mois dernier : Bernard Friot était à Dole le 14 mars dernier. Les jours ont passé mais pas le sourire aux lèvres ni la niaque au coeur qu’ils nous a laissés. Au-delà des idées qu’on développera les mois prochains dans ces colonnes, Bernard nous a donné l’occasion de vivre un vrai moment de fraternité. Pour une fois, le terme n’est pas relégué au bout de la devise nationale : il était au centre de ce séjour dolois. Tel que je le conçois, le communisme se fonde sur une conception fraternelle d’un être humain fondamentalement social et Bernard l’incarne à merveille. Alors que les pires spécimens du capitalisme haineux nous polluent les ondes, il fait le pari d’une humanité capable de se serrer les coudes pour un monde meilleur et une semaine par mois, à 78 ans, il sillonne la France en infatigable militant-pélerin pour semer des graines sur tout le territoire, et cela sans demander un seul rouble pour ses interventions vu qu’il touche chaque mois sa pension de la fonction publique. Je suis admiratif : rien qu’à Dole, il a comptabilisé plus de cinq heures de conférence sans rechigner et avec à chaque fois la même énergie oratoire. Chapeau, Bernard !
Si avoir foi en l’humain est indispensable pour proposer un horizon politique qui soit autre chose que de la magouille électorale, il faut une envie profonde de pourfendre le système capitaliste pour s’attaquer toujours et encore aux mêmes contre-vérités mensongères que sa propagande insidieuse et vénéneuse distille jusque dans les manuels scolaires. On a pu le constater à plusieurs reprises : quand Bernard Friot s’emporte et s’empourpre, l’assistance n’ose pas broncher. Léon Bloy, un autre grand chrétien, avait lui aussi cette faculté fulgurante de fustiger l’hypocrisie bourgeoise mais sur un terrain plus moral. Car c’est bien l’exploitation de notre travail par la bourgeoisie qui demeure la cible des attaques de Bernard Friot et tous les moyens rhétoriques lui sont bons pour déciller nos yeux. Le coup de gueule en est un et on a pu constater que son efficacité sur un public non averti est redoutable.
Mais, me direz-vous, n’y a-t-il pas là une contradiction entre cette bienveillante fraternité et la critique virulente de la bourgeoisie qu’il s’agit en fin de compte de dézinguer avec les dommages collatéraux que cela risque d’entrainer?
Soit. Pour le Grand Soir, c’est mort mais comme le dit Lordon, le capital ne va pas nous donner les clefs du camion. Cependant le dépassement de la contradiction apparente est l’essence même de la dialectique marxiste dont Bernard Friot est un tenant virtuose. Croire en un avenir meilleur pour l’humanité et pourfendre la minorité dominante et, au passage, la désinvolture de la contestation gauchiste qui lui emboite le pas à l’insu de son plein gré, peuvent paraitre opposés mais cette contradiction est à dépasser. Et c’est là que Bernard Friot opère une révolution anthropologique majeure : au cours de l’histoire, les travailleurs unis ont à plusieurs reprises pris le pas sur la minorité dominante. Il a découvert cette réalité victorieuse notamment par l’étude approfondie des mouvements sociaux en France, une histoire écrite cette fois-ci du point de vue des véritables producteurs de la richesse nationale, plus souvent conquérants que le roman bourgeois veut bien nous l’avouer. Et c’est à l’école du mouvement ouvrier que le chercheur marxiste s’est mis avec une relecture radicalement différente de l’histoire du travail, du salariat et de la Sécurité sociale. Cette dernière est emblématique d’une véritable démarche communiste : la fraternité égalitariste contre le capital égoïste. La force inéluctable parce que fondée sur le nombre d’une classe de salariés qui se serrent les coudes et qui comprend ses intérêts communs s’est imposée à la Libération face à un patronat la queue entre les jambes pour cause de collaboration avec les nazis. On peut penser qu’une idée est bonne quand votre ennemi n’a de cesse de la détruire. Il n’y a qu’à voir comment Macron et sa clique atlantiste tape sur notre système social pour comprendre que c’est justement ces propositions de nos grands-parents qu’il y a lieu de garder au goût du jour, un déjà-là communiste qu’il s’agit de consolider, d’enrichir et de développer. Plus question d’être sur la défensive face à l’hégémonie de l’adversaire, on repasse à la manoeuvre avec des revendications radicales et un mouvement réel de sortie d’un cauchemar social, économique et écologique qui n’a que trop duré.
Si on se résume. Sur une conception fraternelle mais lucide de l’humanité, il nous faut reconquérir la souveraineté populaire sur la décision économique (ce qu’on produit et comment on s’y prend). On ne va pas y arriver tout seuls, on a besoin du nombre. Nous avons à entretenir un militantisme inventif et efficace pour renverser les idées reçues qui nous font aimer nos chaines, imaginer des actions vraiment inspirées de l’éducation populaire qu’on aura plaisir à mettre en oeuvre, ici et par nous-mêmes, vivre une souveraineté politique et une démocratie populaire à notre échelle, entrevoir un avenir lucide et décidé en commun et entretenir la foi dans un modèle de société française, plus juste, plus fière et enfin fraternelle. Que la force de Bernard Friot soit avec nous !
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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