Politique

#etmaintenantonfaitquoi (2)

Publié le 03/09/2024 à 07:06 | Écrit par Un radis noir | Temps de lecture : 07m06s

(NDLR: Cet article a été publié dans l’édition papier de l’été. Au rythme où les choses avancent en France, il pourrait bien encore être d’actu l’an prochain.)

8 juillet 2024. Le peuple de gauche a serré les fesses pendant plusieurs semaines après l’annonce de la victoire historique du RN aux élections européennes, immédiatement suivie par la dissolution de l’Assemblée nationale pour le bon plaisir de l’architrouduc. On a bien senti le souffle du boulet, mais depuis hier soir, c’est le soulagement au vu des résultats inespérés du Nouveau Front Populaire. Ouf !

Ouf ? A-t-on vraiment le temps de dire ouf ?

Le soulagement compréhensible que peut ressentir la gauche ne doit pas nous faire perdre de vue que cette bonne surprise électorale n’est qu’un artéfact institutionnel. Le RN et ses électeurs n’ont pas disparu. C’est le système de scrutin uninominal majoritaire à deux tours combiné au mécanisme désormais bien rodé du “barrage républicain” qui a parfaitement fonctionné pour remplir son rôle historique de maintenir l’extrême-droite hors du pouvoir. Cette fois-ci encore. Mais combien de temps cette martingale plus que discutable fonctionnera-t-elle ? À trop tirer sur la corde…

Le revers de la médaille, c’est que les électeurs du RN ne manqueront pas de se sentir spoliés, et plutôt à raison si l’on considère le fait qu’ils constituent le groupe le plus important parmi les votants de cette élection en nombre de voix. Ils ne peuvent guère en tirer qu’un surcroît de ressentiment et d’antiparlementarisme. Ne manqueront pas d’objecter à la gauche qu’elle n’est pas démocratique et qu’elle collabore de fait avec la macronie. Ni de pointer l’incohérence à leurs yeux de “combattre” des Borne, des Darmanin, ou des Hollande pour mieux les faire élire par la suite.

Et contrairement à ses électeurs, il est probable que cette victoire électorale volée arrange bien les affaires de la direction de la PME lepéniste, qui pourra ainsi continuer de prospérer sur le terrain de l’opposition de façade perpétuelle, qui lui permet d’engranger moult avantages symboliques et financiers sans avoir à se cramer les doigts aux manettes du pouvoir. En effet, on peut s’interroger sur la volonté réelle du RN de l’emporter (du moins, pour cette élection) : étrange stratégie électorale que de renier une à une ses promesses juste avant le vote ; en général, c’est plutôt après avoir été élu qu’on fait ça. (Pas vrai Flamby ?)

Par ailleurs, le nombre de vedettes de la gauche institutionnelle qui jouent des coudes et s’affichent dans les médias en se disant tous capables de devenir Premier(e) Ministre devrait plutôt nous inquiéter, ou du moins nous maintenir en état d’alerte. Parce que ces gens ne semblent pas bien conscients du niveau de merde dans lequel on continue à barboter et semblent même suffisamment inconscients et inconséquents pour continuer à jouer à la guéguerre des places qui, entre autres, a contribué à nous embourber.

D’une manière générale, les principaux partis de gauche ont une part de responsabilité énorme dans la génèse de la situation actuelle. Présidentielle 2022 : chacun pour sa peau. Mais comme personne n’a pu passer la barre fatidique des 5% à part LFI, virage à 180° pour les législatives suivantes : tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais ! Quelques mois plus tard, pas question de faire l’union pour les européennes : les stratèges des bacs à sable à la Tondelier ou à la Roussel pensent pouvoir se refaire la cerise en la jouant perso. Résultat : le PCF fait 2% et EELV sauve ses miches de justesse avec 5,5% (et avec près de 50% d’abstention). Là-dessus, dissolution 2024 : re-tous ensemble contre le fascisme ! Bonjour la lisibilité pour une population largement dépolitisée ! Et bon courage et bonne chance pour convaincre le populo que non, non, les partis de gauche ne pensent pas qu’à leur gueule et ne se foutent pas de celle du peuple.

Ces partis sont incapables de voir qu’ils tournent en rond dans un piège institutionnel mortifère. Ils en sont réduits à tapiner à toutes les élections pour obtenir du financement public, et à participer au cirque médiatique bourgeois qui les fait sauter dans des cerceaux enflammés au son du claquement du fouet. “Qu’est-ce que vous pensez de la dernière petite phrase de bidule ou machin ? Vous êtes sûr que vous êtes républicain ? Qu’est-ce qui prouve que vous n’êtes pas un antisémite ou un suppôt de Poutine ? Est-ce que vous condamnez ci ou ça ? Oui ou non ?! Répondez ! Tout de suite ! C’est un ordre !”

Ce n’est pas un simple problème circonstanciel, causé par des popoliticiens à l’égo hypertrophiés, mais bien un problème structurel. Les partis politiques s’arrogent le monopole de la parole politique autorisée et des postes d’élus, et prennent en otage l’ensemble de la population élection après élection, factuellement plus préoccupés par leurs intérêts d’appareil que par l’intérêt général, alors même que leurs forces militantes sont dérisoires, leur pensée généralement indigente, et leur légitimité extrêmement réduite (rappelons que les partis politiques sont l’institution la plus détestée des français, juste devant les médias auxquels ils se soumettent pour obtenir la visibilité nécessaire à leur existence).

Outre les scores aux élections nationales, les partis sont également obnubilés par la constitution ou la conservation de fiefs locaux, pour des raisons partidaires, mais aussi pour des raisons d’ambitions individuelles. Est-ce que Ciotti nous aurait offert son show pathétique de ralliement au RN s’il n’avait pas été certain de perdre sa baronnie niçoise ? On ne citera pas d’exemples locaux plus cruels pour ne vexer personne… Pour le moment.

Simone Weil (la philosophe de gauche avec un “W”, pas la vache sacrée giscardienne avec un simple “V”) avait rédigé vers 1942 une “Note sur la suppression générale des partis politiques”. Elle y pointait trois tares essentielles des partis :

« Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective.

Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres.

La première fin, et, en dernière analyse, l’unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite. »

Et d’ajouter : « Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en aspiration. S’il ne l’est pas en fait, c’est seulement parce que ceux qui l’entourent ne le sont pas moins que lui. »

Les lecteurs intéressés trouveront en ligne ce texte d’une petite trentaine de pages afin de nourrir leur réflexion sur cette problématique aussi importante que négligée dans le débat public.

Ces quelques constats étant posés, revenons à cette éternelle question : et maintenant on fait quoi ?

Il serait bon que des discussions de fond aient lieu pour développer une pensée critique au sujet des partis politiques, des mécanismes institutionnels qui pré- et sur-déterminent leurs actions, du coût qu’ils représentent pour la gauche et la démocratie, à la part de responsabilité des militants non encartés quant à l’abandon de toute une partie du champ de bataille politique à ces partis…

Peut-être que les débâcles électorales à répétition du PCF et des Verts, notamment, pourraient les rendre plus enclin à davantage d’humilité et de coopération. Peut-être que les récentes fissures au sein de LFI pourraient permettre la constitution d’un nouveau groupe parlementaire transpartisan qui permettrait de conserver la radicalité et l’intégrité de LFI sans son verticalisme fort peu démocratique.

Concernant le ressentiment des électeurs du RN, une parade à leurs accusations de collaboration avec Macron pourrait consister à lancer une campagne en faveur d’une procédure de destitution du président en recourant – pour la première fois – à l’article 68 de la Constitution. L’Assemblée nationale étant protégée de toute nouvelle dissolution pendant un an, peut-être cela enhardira les députés les plus pleutres. La majorité qualifiée des deux tiers y semble accessible. Ce sera peut-être plus difficile au Sénat, mais cela permettra aussi de faire sortir les loups du bois.

Il conviendrait également d’envisager de changer de grille de lecture quant à ce qui sépare l’électorat lepéniste de celui de la gauche. Les électeurs du RN ne sont sans doute pas tant des fachos que des fâchés de la mondialisation. Quoi qu’il en soit, la gauche devrait urgemment se lancer dans des discussions honnêtes et sérieuses sur tout un ensemble de questions taboues : le bilan de la gauche de gouvernement depuis 1983, l’européisme, l’atlantisme, le “nationalisme”, le souverainisme… Faute de clarification intellectuelle, les chances de réconcilier au moins une partie des sympathisants RN avec la gauche, et donc de sortir la gauche de sa spirale infernale, sont à peu près nulles, n’en déplaise aux beaux esprits épris de pureté militante nappée de moraline dégoulinante.

Et pour finir, un mot sur la jeunesse. Les analyses ultérieures des résultats de ces législatives anticipées le préciseront sans doute, mais il semble évident que la mobilisation de la jeunesse nous a évité le désastre cette fois-ci. Cette même jeunesse qui implorait avec sagesse et intelligence les partis de gauche de faire campagne commune aux européennes et dont les espoirs se sont fracassés sur l’obstination imbécile des vieux caciques calculateurs des partis. Il serait bon que la gauche écoute et respecte cette jeunesse et ses angoisses face à un avenir qui s’assombrit chaque jour un peu plus.

À bons entendeurs…




À propos de l'auteur(e) :

Un radis noir

Être radical, ce n’est pas être extrémiste ni fanatique : c’est s’intéresser à la racine des choses… À la racine des mots, pour pouvoir aiguiser les idées et les concepts… À la racine des maux, pour pouvoir espérer y remédier.


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