Politique

Pour en finir avec le mythe des soi-disant oubliés de la gauche ralliés à l’extrême droite

Publié le 04/09/2024 à 07:03 | Écrit par La Rédac' | Temps de lecture : 04m38s

(NDLR: Cet article a été rédigé au lendemain des élections et a été publié en juillet dans l’édition papier de l’été. La photo d'illustration a été prise en 2023 à Calais lors de la fermeture de l'usine Meccano.)

Hier encore, un collègue enseignant répétait ce lieu commun, battu en brèche par les médias : les ouvriers du Nord qui votaient jadis communiste, votent aujourd’hui FN-RN. Effaré, une autre collègue déplorait : « ils sont passés directement de gauche à l’extrême droite, d’un seul coup ! ». Hop, un tour de magie et le FN-RN est repeint en défenseur des prolétaires… Bravo les journalistes et éditorialistes à la petite semelle, vous avez bien fait votre travail, en répandant des contre-vérités crasses, teintées de prolo-phobie (et nous le démontrerons). On pourrait rire de cette plaisanterie, si, elle n’avait pas participé à dédiaboliser le FN-RN.  

Il est plus que temps d’entreprendre la démarche inverse : combattons le RN-FN, re-diabolisons ce parti fondé par des Waffen-SS, des collabos et autres tortionnaires. Rétablissons les faits : dans le département du Pas-de-Calais, le RN-FN est né et a prospéré en absorbant toujours plus d’électeurs radicalisés de la droite classique.

Prouvons-le partout autour de nous :

La première poussée du RN-FN aux présidentielles au Pas-de-Calais s’est produite entre 1974 et 1989. Entre ces deux élections, le Front national gagne près de 90 000 électeurs dans le département au premier tour des présidentielles, passant de 0,49 % à 11,40 %. N’accusons pas le pauvre ouvrier communiste : il n’y est pour rien ! Le total gauche, extrême gauche, écologistes est passé de 55,93 % à 60,14 % durant cet intervalle. Par contre à droite, commence l’hémorragie : en 1974, Valéry Giscard d'Estaing (Républicains indépendants) fait 25,36 % des suffrages, Jacques Chaban-Delmas (UDR) 15,21 %, et Jean Royer (divers droite) 2,08  % soit un total de 44,73 % des suffrages exprimés. 15 ans plus tard, lors de la première percée du RN-FN, les deux candidats de droite, Jacques Chirac (RPR) et Raymond Barre (UDF), font respectivement 118 599 (14,51%) et 114 054 voix (13,95 %) dans le département, soit un total de 28,46 % des suffrages exprimés.

Dans ce département, la droite perd encore 12 points entre les présidentielles de 1995 et 2002, passant de 32,88 % à 20,38 %, tandis que l’extrême droite (FN, Chasse, pêche, nature et traditions et Bruno Maigret) gagnent 7 points, passant de 19,47 % à 27,03 %.

Au XXIe siècle, après la bref parenthèse Sarkozy, l’hécatombe reprend. L’UMP/Les Républicains passent de 21,86 % en 2012, à 14,29 % en 2017, avant de tomber à  3,20 % en 2022 dans le département. Pendant ce temps, l’extrême droite (FN, Dupont-Aignant, Asselineau, Zemmour) passe de 27,19 % en 2012, à  39,98 % en 2017, à 45,61 % en 2022.

Évidemment, le Parti socialiste a une responsabilité historique dans le développement de l’extrême droite. Nombre d’électeurs déçus, désœuvrés, sans repères idéologiques et sans conscience de classe se sont perdus dans le vote d’extrême droite. Mais, là encore, ne faisons pas croire que l’ouvrier syndiqué en lutte contre la fermeture de son usine s’est mis à voter extrême droite du jour au lendemain. A chaque fois, que la gauche socialiste a trahi, la gauche radicale/l’extrême gauche a gagné des voix : 28 364 voix sont gagnées par le PC et LO entre les élections de 1988 et 1995 et entre 2012 et 2017, toujours uniquement dans le département du Pas de Calais, Mélenchon gagne 61 368 voix.

Le même raisonnement est valable pour les départements ruraux. La France périphérique ne vote pas extrême droite, parce qu’elle a été abandonnée par la gauche, mais bien plutôt parce que la droite rurale, s’est radicalisée à l’extrême droite. Ainsi, dans un département comme la Haute Saône, au premier tour des présidentielles 1969, Georges Pompidou faisait 44,50 %, l’extrême droite était inexistante ; en 1989, Jacques Chirac réunissait 20,12 % et Raymond Barre 15,49 %, soit 35,61 % des suffrages pour la droite, contre 13,85 % pour Jean-Marie Le Pen ; en 2012, Nicolas Sarkozy faisait 25,23 % et Marine Le Pen 25,12 % ; en 2017, François Fillon faisait 18,05 % et Marine Le Pen 31,36 % ; en 2022, Valérie Pécresse faisait 5,01 % des suffrages exprimés et Le Pen faisait 34,60 % auxquels ont peut ajouter les 7,18 % de Zemmour, soit 41,78  % des suffrages exprimés.

Évidemment, cette démonstration est partielle, évidemment, lorsqu’on s’intéresse aux étiquettes des élus, certaines villes, certains cantons, certaines circonscriptions législatives sont passées du PC au PS, du PC au FN-RN, du PS au FN-RN, de la droite au FN-RN, etc. Le vote est multidimensionnel, complexe à analyser, et, varie d’une élection à une autre, prend tantôt une coloration locale, tantôt nationale. Les ouvriers communistes des années 70’ sont parfois décédés dans les années 2020, et il se trouve aussi que les chômeurs-intérimaires et livreurs uber des années 2020, votant RN aujourd’hui, n’étaient pas en âge de voter au XXe siècle.

Non seulement partielle, cette analyse est en outre politique. Notre discours sur l’extrême droite et le vote RN est performatif, ne l’oublions pas. Considérer que les électeurs votent extrême droite pour des raisons sociales, c’est reconnaître en creux, que le FN-RN est plus convaincant que la gauche sur ces questions. C’est une absurdité, pire, c’est surtout un motif à de nombreuses engueulades et divisions à gauche.

La dure réalité, c’est qu’il sera extrêmement compliqué de récupérer les voix du FN-RN, parce qu’il s’agit essentiellement d’un vote de droite radicalisé, qui sans complexe vote désormais raciste. Quant à la minorité déçue par les multiples trahisons du parti socialiste votant aujourd’hui à l’extrême droite, pourront-il à nouveau nous faire confiance sur la base de simples promesses électorales ? Rien n’est moins sûr.

Aucun recul profond de l’extrême droite ne se fera sur la base de la trouvaille du bon discours, de la belle formule ou de la belle promesse. La victoire passera par un travail de fond, de longue haleine et une défense sans faille de nos valeurs : libertés (les droits humains), égalité, fraternité. Ne reculons sur aucun de nos combats.

« Les vaincus d'aujourd'hui sont les vainqueurs de demain ! » écrivait Bertold Bretch et demain arrive plus tôt qu’on ne le croit. Nous sommes l’avenir, nous sommes la jeunesse de ce pays ! Quand seulement 18 % des plus de 70 ans votaient Front populaire (selon un sondage Ipsos Talan), le 30 juin 2024, nous étions 48 % des 18-24 ans à le faire, votant pour un monde plus égalitaire, plus juste, plus tolérant et plus respectueux du vivant.

Max Bernier.




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