Politique

La lente agonie de l’ordre libéral

Publié le 10/09/2024 à 12:34 | Écrit par Jean-Luc Becquaert | Temps de lecture : 03m38s

La semaine dernière, nous croyions déjà au début d’un pouvoir fasciste, aujourd’hui, nous pouvons être tentés de croire au renouveau de la gauche, mais ne devrait-on pas chercher ailleurs ce qui se joue réellement ? Certes, les rodomontades lepénistes et bardelliennes ont fait flop, certes l’inespéré résultat du camp macroniste cache mal les fractures apparues après la décision de son gourou de dissoudre l’Assemblée Nationale, mais sommes-nous bien certains de la solidité du Nouveau Front Populaire, et surtout cette presque victoire servira-t-elle à quelque chose ?

La France n’est pas une ile isolée au milieu d’une Europe rêvée et d’un monde fantasmé. La planète craque de partout : dérèglement climatique bien sûr ; dérèglement économique et financier sous la pression d’un bloc mené par la Chine, la Russie et l’Inde ; explosion du statu-quo maintenu vaille que vaille au Moyen Orient ; dérive idéologique de l’Union européenne ; montée des extrêmes droites en Europe et en Amérique latine… Il semble bien que ce soit l’ordre mondial instauré après 1945 qui lâche de plus en plus vite, malgré les rustines appliquées ça et là. Peut-être bien que cet ordre libéral ressemble plus à une juxtaposition de rustines qu’à un pneu neuf, alors forcément…

Mais revenons à la France où vient de se jouer une partie de poker que les meilleurs pronostiqueurs de CNews n’avaient pas vu venir, et puis c’est là qu’on vit après tout.

Les partis de gauche nous ont joué un bon tour, après des années passées à s’étriller, ils nous font le coup de l’union en quatre jours, pondent un programme cohérent en une semaine et arrivent en tête en moins d’un mois. Bien sûr, la disparition des Valls, Fabius et autres Cazeneuve ont aidé, évidemment, le rôle de chauffeur de salle laissé à Mélenchon a permis d’éviter le pire, mais il ne faudrait pas oublier que la gauche, PS en tête, a participé depuis plus de quarante ans à l’instauration de cet ordre libéral en France et en Europe.

Mais au fait, de quoi parle-t-on ? L’économie libérale, ou de marché, a été inventée au XVIIIème siècle par un certain Adam Smith qui n’a reculé devant aucun tour de passe-passe pour imposer son idée (à ce sujet je vous recommande la vision de Dominique Rongvaux sur la fameuse fabrique d’épingles qui sert de modèle à tous les apprentis Frederick Taylor du monde). Mais pour faire admettre qu’un système économique dans lequel une minorité exploite une majorité est bénéfique à tous, il fallait trouver son pendant politique qui fasse passer les États banquiers pour des utopies socialistes. La révolution américaine qui mène à l’indépendance des États-Unis et celles de la France des XVIII et XIXèmes siècles ont parfaitement rempli cette mission, et quand la Commune de Paris tente de la contrer, la bourgeoisie qui a complètement évincé la féodalité, peut noyer la révolte dans le sang et rendre irréversible cette marche forcée vers aujourd’hui.

Mais la gauche alors ? La gauche c’est aussi celle qui laissa Jaurès se faire tuer pour éviter la montée de l’anarchisme, celle qui vota les pleins pouvoirs à Pétain, celle qui voulut sauver la colonisation de l’Algérie et celle qui n’a pas compris ce qui s’est passé en mai 68. Plus près de nous, c’est celle qui a remplacé le socialisme par le social-libéralisme en 1983 et celle qui a trahi le référendum de 2005 en votant le traité de Lisbonne en 2008. Cette gauche là, toujours présente au sein du PS, saura-t-elle accepter des compromis avec les Écologiste et les Insoumis aussi facilement qu’elle l’avait fait avec les lobbies financiers dans le sillage de Pierre Moscovici, Laurent Fabius, Jean-Yves Le Drian, Valérie Rabault ou Carole Delga ? 

Certes le programme adopté par toutes les composantes du Nouveau Front Populaire est un garde-fou concret, mais au moment de trouver des accords de gouvernement avec les députés du centre et certains macronistes, socialistes, communistes, écologistes et insoumis seront-ils prêts à faire les mêmes concessions ? Et surtout le moment venu, quand il faudra choisir entre accompagner ou rompre avec le libéralisme, quelles fractures apparaitront ?

Nous vivons une étape dans la lente agonie de l’ordre libéral qui, à vouloir trop exploiter, nous a menés au bord du gouffre des gaspillages, des destructions et des aveuglements. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour inventer une alternative qui donne enfin sa place à une humanité toujours exploitée. C’est une autre histoire et il faudra bien plus qu’un article comme celui-ci pour l’écrire, mais on commence à avoir chaud aux fesses alors ne tardons pas à nous y mettre. Et peut-être après tout que cette histoire est déjà en cours d’écriture, ouvrons les yeux et rendez-vous à la rentrée.




À propos de l'auteur(e) :

Jean-Luc Becquaert

Né dans une famille aimante et néanmoins de droite, j'étais destiné à une (brillante) carrière de DRH ou de responsable qualité dans la grande distribution. Ma rencontre à 18 ans avec l’éducation populaire dans une cave du XVIIIème (siècle) transformée en théâtre m’a définitivement détourné du libéralisme. Aujourd’hui, mon seul point commun avec Jacques Chirac, c’est le goût de la bière et de la tête de veau.


Anarchiste touche à tout et promeneur solidaire.

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