Politique

Pour un patriotisme bien compris

Publié le 12/10/2024 à 15:36 | Écrit par Christophe Martin | Temps de lecture : 25m27s

Je ne suis pas né à Dole, ni même dans le Jura, ni même en Franche-Comté. A peine en France, puisque je suis breton. Et encore… ma mère était lavalloise et citadine (53), ce qui, lorsque mon père, ille-et-vilainois de la glèbe profonde (35) depuis des générations, l’a épousée un peu à la fin des années 40, constituait un couple trans-géographique et multiculturel. Je ne suis donc pas loin d’être ce que les Athéniens auraient appelé un métèque, avec sa grande gueule mais sans bouzouki. Personne n’est parfait. 

Parmi les élus du coin dont la plupart sont issus du terroir dolois et n’ont jamais eu à prendre un beau matin, ou un soir bien pourri, leurs clics et leurs clacs, à embarquer bagages et enfants dans la bagnole ou le train et à aller s’installer dans un pays ou une ville qu’ils n’avaient jamais encore localisés sur une carte pour s’y refaire une vie sociale et professionnelle, nous avons deux ou trois trentenaires, spécimens parfaits de ce que j’appellerai les « du crû » pour rester poli et ne pas avoir à employer le terme « républi-cons » (républicains-conservateurs j’entends) qui pérorent devant qui veut bien les entendre sur l’opportunité du renforcement des lois migratoires (comprenez des mesures pour faire chier un peu plus encore des pauvres gens qui fuient la misère et cherchent à se poser en paix). Ceux-là ignorent tout du déracinement et de la difficulté de reprendre pied loin de chez soi dans un milieu parfois hostile et brandissent les valeurs républicaines dont ils ont le culot de vouloir nous faire croire qu’ils sont les garants pour soi-disant rassurer leurs ouailles effrayées par des chiffres falsifiés et des informations tronquées. On les a entendus devant un parterre de pique-assiettes, un peu partis et franchement nazes, en appeler à la citoyenneté et venir nous donner des leçons de civisme sans doute apprises à la lecture des mémoires de Sarkozy, le créateur de leur parti LR, aujourd’hui DR (droite riquiqui?) qui sort son plus vieux spécimen pour prendre le poste que Bardella a eu les ch’tons d’occuper.

Mais je suis heureux de vivre à Dole et puisque Brassens me tend la perche, permettez-moi de pousser la chansonnette: « C’est vrai qu'ils sont plaisants, tous ces petits villages, / Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités / Avec leurs châteaux forts, leurs églises, leurs plages, / Ils n'ont qu'un seul point faible et c'est d'être habités. / Et c'est d'être habités par des gens qui regardent / Le reste avec mépris du haut de leurs remparts, / La race des chauvins, des porteurs de cocardes, / Les imbécil’s heureux qui sont nés quelque part… » Ça fait un peu ringard de chanter Brassens mais le barde à papa reste cruellement d’actu alors que je m’aventure sur un terrain miné par l’ignorance et la mauvaise foi des « du crû ».

Notion de nation

Faisons un saut dans le temps, à la fin du XVIIIème. Avec la révolution française de 1789, dans la foulée du contrat social de Rousseau, va naitre l’idée de nation qu’Ernest Renan résume ainsi presque 100 ans plus tard: « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une (…) L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. » En 1882, date de la rédaction de ces lignes, la France de Jules Ferry se remet de la grosse branlée que le Reich de Bismarck lui a foutue en 1870. Mais n’oublions pas que les troupes napoléoniennes avaient auparavant dominé pendant quelques années les différents États allemands, ce qui avait poussé le philosophe Fichte à écrire « Reden an die deutsche Nation » (NDLR: Discours à la nation allemande) pour redonner la niaque à ses frères de souche. 

Un peuple?

A partir de cette période, l’idée du Volk (grosso modo, peuple en allemand) va se développer en réaction au modernisme cosmopolite qui se répand en Europe au XIXème siècle entre 1815 (abdication de Napoléon) et 1914 (début de la première Guerre mondiale): cette longue période, l’économiste Karl Polanyi l’appelle « la paix de cent ans » (sur les champ de bataille peut-être mais pas entre classes sociales) durant laquelle les élites politiques et économiques vont insuffler des bouleversements radicaux dans la société du vieux continent. Contre cette frénésie moderne transnationale et déboussolante pour beaucoup, à partir d’une culture traditionaliste allemande promue par Herder et Goethe, un mouvement populaire et identitaire va naitre et se concrétiser autour du Volk, une communauté nationale organique unie par une langue, des façons de penser, des traditions partagées et une mémoire collective incrustée dans le folklore et les légendes. Le romantisme allemand, le mouvement völkisch et plus tard le nazisme s’en inspireront quitte à l’entrainer dans une dérive ethnique et raciste. 

Héritier du tribalisme et du clanisme, le principe du Volk est donc aux antipodes de l’idée de nation comme projet politique collectif sur un territoire géographique défini, mais pas tout à fait à l’opposé de la conception de Renan qui ménage la chèvre et le chou, l’héritage et l’aspiration: héritage des habitus et des coutumes, aspiration à une souveraineté nationale et populaire.

Les questions de l’identité nationale, de l’intégration et de l’assimilation que rouvre la loi asile et immigration ne datent donc pas d’hier (en revanche, cet article si, puisqu’il a été commencé sous Darmanin). A travers son modèle sociologique, la théorie de la médiation de Jean Gagnepain renvoie les deux conceptions nationales dos à dos: nous sommes socialement à la fois appartenance et participation, identité et solidarité, être et devoir, héritage et dette sociale, mais avant tout habitant et participant. Nous nous inscrivons dans un territoire, au sein de frontières, et en même temps (et pour une fois l’expression est la bienvenue) dans un passé qui nous façonne et dans un devenir que nous traçons, souvent à notre insu d’ailleurs. Mieux, les deux faces du modèle de la Personne se déterminent mutuellement: l’identité française implique des obligations sociales et le fait de remplir certains engagements permet de prétendre à la nationalité française, une distinction qui intègre pas loin de 68 millions de personnes mais qui en exclut tout de même 7,8 milliards.

Mais exclusion structurale ne signifie pas rejet chauviniste : cette dernière expression sonne suffisamment comme un repoussoir pour qu’on n’ait point la tentation de l’utiliser sinon pour justement stigmatiser cette haine de l’étranger. Nous ne ferons pas ici de distinguo entre patriotisme et nationalisme qui renvoient à l’amour de la patrie et la passion de la nation. Si j’aime la France, je ne déteste pas non plus en bloc l’étranger à moins qu’il ne constitue un danger pour les intérêts du pays. J’apprécie beaucoup de choses aux États-Unis mais j’en déteste l’impérialisme, le matérialisme consummériste, la balourdise intellectuelle et la bien-pensance morale. 

Le chauvinisme entraine un repli identitaire alors que le nationalisme est l’affirmation d’une identité, celle-ci étant suffisamment forte pour assimiler les influences enrichissantes et pour stimuler l’admiration parmi les autres cultures.

Comme le concept d'assimilation renvoie à l'abandon total et définitif de la culture d'origine de l’immigrant, on peut lui préférer le terme d'intégration qui lui permet de rester attaché à sa culture d'origine tout en intériorisant les normes de comportement d'une société et surtout son idéal. Autant l’assimilation relève d’un long cheminement intérieur, autant l’intégration peut se faire assez rapidement à condition de prendre un minimum de précautions pour ne pas faire basculer la société française dans le communautarisme sur un modèle anglais ou américain, religieux ou mafieux. Le fédéralisme social constitue selon certains auteurs le troisième modèle d’État-nation: un minimum d’allégeance à une autorité centrale et une grande tolérance de celle-ci envers les clans, compris comme des communautés ethnico-culturelles à tendance sécessionniste mais pas trop. On est alors à la limite du système impérial avec des citoyens à part entière et des sujets de seconde zone aux marches de l’empire, une conception que rejète la République à la Française une et indivisible, même à Mayotte et Nouméa. 

L’entretien que passe le candidat à la nationalité française en préfecture est destiné à évaluer le degré d’assimilation à la communauté nationale: il s’agit donc de déterminer dans quelle mesure il participe de la communauté française au-delà d’une simple intégration de façade. Il est bien entendu qu’on ne demande pas le même degré d’adhésion aux habitus français aux réfugiés pour l’obtention d’un titre de séjour. 

Un accueil très réservé

A nous maintenant, en tant que peuple souverain, de définir à quel niveau nous décidons de placer le curseur pour déterminer qui fait partie de la nation française et qui n’appartient pas à cette fameuse communauté nationale. On n’exclut pas d’envisager un « probatoire », comme un purgatoire mais à l’envers, pour les « aspirants nationaux ». Cet entre-deux existe déjà de fait: personne n’est régularisé, encore moins naturalisé, d’emblée. C’est déjà compliqué d’être reconnu comme réfugié. Alors on se calme! La France n’offre pas un pont d’or, avec allocations à gogos et droits à la pelle, aux migrants. Les textes de loi actuels sont déjà très contraignants pour les demandeurs d’asile, l’administration est suffisamment décourageante, parfois même aveuglément.

A Eccofor par exemple, une école de production doloise, un jeune immigré (je n’ai pas eu de précision quant à sa nationalité d’origine) qui avait obtenu son CAP en métallerie en 2023 et décroché un CDi dans une grosse boite de construction métallique jurassienne a été conduit à la frontière allemande, malgré toutes les démarches administratives de son employeur.

La loi Darmanin voulait renforcer une situation déjà difficile à vivre pour les immigrés. Bruno Retailleau va sans aucun doute tenter de faire pire encore pour satisfaire les mauvais penchants qui l’animent et les malfaisants qui votent encore pour lui et pour les quelques élus DR de l’Assemblée nationale. Faire porter le chapeau de tous les maux de la France aux étrangers sous OQTF pour détourner le mal-être populaire, voire la colère de certains, relève de la démagogie bassement droitarde et du manque d’imagination. Heureusement que la France insoumise est là de temps à autre pour servir de bouc-émissaire de secours. Si la France ne peut pas accueillir tous les migrants qui quittent leur pays, elle devrait d’abord arrêter de pomper leurs richesses naturelles : s’ils n’arrivent pas par le même tuyau, les réfugiés sont aspirés par la même pompe. 

Soit dit en passant, le présent article ne prétend pas régler une question séculaire en quelques lignes, mais juste tracer quelques pistes de réflexion sur ce qu’on entend par nationalité française et par voie de conséquence ce qu’on peut demander à un demandeur d’asile de partager avec cette identité qu’on va s’appliquer à circonscrire.

D’abord, on exclut le critère ethnique: le Français de souche pure est une chimère. Nous sommes tous des bâtards. Point barre.

Après, il nous faut bien un passeport et des critères pour l’obtenir. Ici, je ne vais pas chipoter sur les modalités de naturalisation. Il ne me semble pas aberrant qu’un jeune né de parents étrangers sur le sol français ait à se prononcer entre 16 et 18 ans sur son choix de nationalité. A défaut de choix contraire, qu’il soit automatiquement reconnu français me parait légitime, quelque soit les conneries que le mineur aura pu commettre: envoyer un jeune né sur le sol français dans le pays d’origine de ses parents n’a aucun sens sinon d’en faire un apatride en terre inconnue, ce qui n’est nulle part constitutionnel. 

Qu’il soit bien entendu que je ne parle pas ici de membres mineurs d’une racaille transnationale qui n’aurait aucun mal à retrouver de la parentèle à l’étranger. Je parle de brebis galeuse égarée, pas d’une base avancée d’une diaspora mafieuse, tchétchène ou albanaise, turque ou sicilienne.

Il est demandé d’avoir à son actif cinq ans de résidence sur le territoire français. Là encore, le délai ne me parait pas démentiel. Encore faudrait-il traiter plus rapidement les dossiers des demandeurs d’asile de façon à leur octroyer (ou pas d’ailleurs) un titre de séjour officiel, les débarrassant de l’angoisse continuelle d’être expulsé à tout moment.

On n’est pas bien, Tintin?

La question de la double ou de la triple nationalité en revanche me pose problème: que Depardieu soit français, russe et même dubaïote quand ça l’arrange me dérange carrément. Je le répète, il ne s’agit pas de renier ses origines lorsqu’on adopte la nationalité française mais de choisir dans quel projet socio-politique on veut s’engager avec d’inévitables concessions au mode de vie national. On ne peut être à la fois français et émiratis sans quelque cas de conscience (par exemple, la loi des Émirats arabes unis criminalise les actes sexuels et les relations entre personnes du même sexe), malgré tous les avantages que cela peut présenter. Ceux qui ont les moyens financiers de s’affranchir des frontières en profitent d’ailleurs déjà largement: Carlos Ghosn est franco-libano-brésilien et l’auteur de « Citoyen du Monde » (2003) est bien content de se planquer derrière les frontières du Liban quand ça tourne mal. Avant même d’avoir des démêlés avec la police nippone, Ghosn (gone?) était déjà expatrié aux Pays-Bas pour des raisons fiscales. Resterait à savoir si le Japon a fait saisir ses propriétés dans le monde comme l’Occident ne s’est pas privé de le faire avec les biens des oligarques russes. 

La multinationalité ne pose pourtant pas de problèmes juridiques et statutaires en France: Un Français binational ou plurinational a tous les droits et les obligations attachés à la nationalité française. Cette règle s'applique de la même manière à un Français ayant acquis une autre nationalité ou à un étranger devenu français. Un Français binational ou plurinational ne peut pas faire prévaloir sa ou ses autres nationalités lorsqu'il réside en France. Il ne peut alors pas bénéficier de la protection diplomatique de l’État ou des États dont il a aussi la nationalité.

Le service militaire a longtemps été un sujet délicat : les jeunes appelés choisissaient souvent le pays où les obligations militaires étaient les moins lourdes. Avec la suppression du service en France et une seule journée d’appel, le problème se pose différemment. Des conventions ont été signées et les personnes qui acquièrent la double nationalité après 18 ans sont tenues d’accomplir leurs obligations militaires dans l’État où ils ont établi leur résidence permanente au moment de l’acquisition de leur seconde nationalité. C’est clair? Ami sioniste, mais néanmoins lecteur, si tu projètes de t’installer en Israël ces jours-ci ou dans les territoires à occuper, sache que le service militaire dure 3 ans depuis juillet dernier. Que ça te donne à réfléchir !

Comme d’habitude, le problème devient plus délicat sur un plan moral. La polygamie ne peut être tolérée en France sous prétexte qu’on viendrait d’un pays où elle est légale. Cette pratique n’est pas seulement une affaire de tradition mais également, dans le cas de la polygynie en tous cas, une marque d’iniquité: il fallait être riche pour pouvoir entretenir plusieurs épouses, ce qui réduisait les plus pauvres au célibat. L’égalité ne peut donc tolérer la polygamie sur le territoire français puisque la loi doit être la même pour tous et celle-ci oblige à la monogamie. On ne peut donc envisager un citoyen qui jonglerait avec ses passeports pour se jouer de la loi sur cette question. La loi française n’empêche pas d’avoir autant d’amants ou de maitresses que l’on veut mais elle n’autorise pas le mariage polygamique sur son sol. Toutefois si celui-ci a été contracté avant l’arrivée sur le sol français, il semblerait qu’une certaine tolérance soit de mise. En revanche, la polygamie constituerait alors un obstacle à l’assimilation et donc un motif de refus de naturalisation, voire d’obtention d’un titre de séjour sur le sol national au nom du principe d’égalité homme/femme qui régit les relations entre sexes en France. 

Bref il ne peut y avoir de nationalité sans territoire et donc sans frontières. A l’intérieur, l’État est souverain et peut décider, dans un cadre légal, qui a le droit de résider dans le pays et d’en être citoyen. On voit déjà le problème que pose l’UE à tous ses membres. La question n’est pas de circuler librement (ça, c’est du tourisme) mais de s’implanter où bon nous semble au gré des circonstances. A l’exception des Ambassades, on ne peut pas vivre sur un territoire en ne respectant pas les lois du pays: ça marche pour le code de la route comme pour le fisc. L’immigration ne peut échapper à l’État et donc à la communauté d’accueil. Statuer sur le cas de chaque demandeur d’asile n’a rien de barbare. Reste à savoir comment on s’y prend et quels critères discriminants l’administration doit appliquer. C’est là que ça se complique quand on sort du clanisme et du droit du sang.

Vers l’intérêt général

Le critère de la culture et de la maitrise de la langue du pays d’accueil pour obtenir un statut de réfugié me semble un peu plus épineux encore que le droit du sol pour la nationalité. Linguistiquement, la norme européenne réclame actuellement un niveau B1 oral et écrit (il existe 6 niveaux de maitrise de la langue, du plus élémentaire A1 au plus expérimenté C2). Ce n’est pas un seuil impossible à atteindre, encore faut-il y mettre un peu du sien et écouter autre chose que Franglish ou Tiakola en boucle. Pas question non plus de tous parler et d’écrire comme le petit Bruno Le Maire illustré. Cela dit, ça me parait difficile de décréter une OQTF pour un candidat qui aurait foiré à son oral de contrôle. Et c’est l’écrit qui risque de poser problème à des candidats analphabètes. Aussi s’il parait indispensable d’imposer des heures d’apprentissage adapté de la langue et s’il est souhaitable que le candidat tende à devenir parfaitement francophone, un examen, notamment la partie écrite, risque d’être injustement discriminatoire. Là encore, ça demande du discernement et l’équité en matière linguistique passera par le cas par cas: entre un religieux intégriste qui refuse d’apprendre le français, une mère de famille qui a peu l’occasion de sortir de son milieu familial et un ouvrier qui fait ses 35 heures de chantier mais file volontiers un coup de main à l’association des parents d’élèves de l’école publique de ses mômes, les conditions sont tellement différentes qu’un examen unique et égalitaire n’est pas indiqué. Encore une question à laquelle réfléchir un peu plus longuement. L’entretien qui se pratique déjà en préfecture, sous-préfecture ou consulat est d’ailleurs là, ou devrait l’être, pour affiner, non pas tant le diagnostic que le pronostic: l’aspirant offre-t-il le minimum de garanties pour que la nation puisse lui faire confiance? Délicate question.

Il est évident que lors d’un tel entretien, personne ne va qualifier de satanique le drapeau tricolore mais il serait bon de savoir si le candidat ne se laisse pas régulièrement aller à de tels propos incompatibles avec le respect que tout français doit aux attributs de la République et à tous les principes avec lesquels il n’est pas question de mégoter sur le territoire français (respect de l’intégrité physique, des opinions, de l’égalité entre citoyens, droit à la dignité, à la subsistance, à la vie privée, à la propriété…). Doit-on avoir recours aux services de la DGSI? A voir.

Il est également demandé au candidat d’avoir des connaissances sur l'histoire, la culture et la société françaises et l’entretien vise justement à vérifier ce taux d’assimilation. Dit comme ça, ça a l’air simple. Ça tient dans un petit fascicule de moins de 30 pages très aérées, le livret du citoyen, que les futurs français sont priés de se farcir en entier, y compris la propagande qu’il contient (le Mont-Blanc y culmine à 4810m quand j’en étais resté à 4807, neige comprise, et la France y occupe encore la 6ème place sur l’échelle des puissances mondiales: je ne suis pas persuadé que ce soit toujours d’actualité). 

L’essentiel passera par l’école pour les plus jeunes, haut lieu de la propagande nationale et de l’assimilation, et plus globalement par une politique volontariste du français langue étrangère, assortie de cours de « civilisation », à ne pas comprendre comme un processus d’éducation des barbares mais bel et bien comme un moyen d’assimiler les personnes d’horizons culturels variés à une culture partagée.

Mais moi qui me coltine en cours de français et culture générale des apprentis entre 15 et 21 ans à longueur d’année, je sais que le problème de la culture commune est encore plus délicat que celui de la langue. Question orthographe et grammaire, personne ne la ramène dans mes classes: j’ai encore les pleins pouvoirs à ce sujet. La dernière fois qu’un gamin m’a déclaré que le mot prolétaire n’existait pas parce qu’il ne le connaissait pas, c’était un ado monégasque et avant que tout le monde ait un smartphone à portée de main. Mais en ce qui concerne la culture générale, et en particulier, le socle commun minimal français, je me sens de moins en moins légitime à imposer mon point de vue de quasi-boomer: je suis né en 1964. Faut-il s’être tapé la Princesse de Clèves et les Trois Mousquetaires, savoir que Walt Disney n’est pas le père de Quadimodo, que Brassens n’est pas une marque de bière artisanale, que Le Père Noël est une ordure, se prénomme Félix et est équipé d’un gros kiki, qu’au Monopoly, la rue de la Paix est plus chère que les Champs-Élysées ou que la Loire est le plus long fleuve de France… L’Histoire fait que le savoir total augmente de jour en jour: JuL ne faisait pas partie du paysage en 1960 mais Fréhel a disparu des radars depuis belle lurette. La culture générale française, et a fortiori mondiale, est par conséquent en augmentation exponentielle alors même que les expressions latines dépérissent dans les pages roses d’un petit Larousse oublié dans un tiroir mais néanmoins disponible sur n’importe quel smartphone. 

Plus on est nombreux dans un groupe, plus le savoir total, autrement dit la culture générale collective, est quantitativement importante et qualitativement variée.

Paradoxalement, plus on est nombreux, moins la culture commune est vaste. Plus il y a de cercles distincts sur un croquis, plus leur surface totale est grande mais moins leur intersection est étendue.

Ce plus petit dénominateur commun est pourtant indispensable pour échanger de l’information, c’est à dire communiquer, ne serait-ce que par la langue où un lexique minimum et quelques règles de grammaire sont requis pour « peser dans le game ».

Parce que le savoir partagé sert de référence pour participer à la connaissance collective (la connaissance est un processus dont le savoir est le résultat), chaque nation tente ainsi de se construire une culture générale, notamment par l’idéologie, le récit national, le système éducatif, les médias, et pourquoi pas le Trivial Pursuit (dont une minorité de mes apprentis connaissent aujourd’hui les couleurs de camembert et les disciplines qui leur correspondent). Alors on a beau communiquer H24, c’est le sbeul du skeu skeu si on fait pas gaffe.

Mais parce qu’elle doit lutter constamment contre l’augmentation du savoir aujourd’hui mondialisé, enseigner la culture générale devient donc une mission impossible et sans espoir. A moins qu’on prenne les choses en main et qu’on travaille sérieusement le sujet. Sans chercher à faire partie

« des gens qui regardent / Le reste avec mépris du haut de leurs remparts, / La race des chauvins, des porteurs de cocardes, / Les imbécil’s heureux qui sont nés quelque part… », il va tout de même falloir un jour ou l’autre s’interroger sur le viatique minimum qu’il faut à un citoyen français ou à un résident régularisé, armés pour assurer un avenir économique, politique et idéologique à ce pays. Parce que c’est bien de ça qu’il s’agit: de quel bagage intellectuel a-t-on besoin pour participer avec loyauté et conviction à un idéal national? 

Contrairement à ce que Gabriel Attal prétend stupidement, ça ne va pas se résoudre avec une histoire d’uniforme qu’on interdit d’un côté pour le rendre obligatoire de l’autre. On ne va quand même pas obliger tout le monde à avoir sa tronche de fayot bien né et ses sapes de minet efféminé. Même si ça ressemble à une planche savonnée, l’idée du socle commun n’est pas hors sujet. Bien au contraire. Toute la question est de savoir qu’y mettre. Tout comme l’uniforme, la culture générale actuelle est celle de la classe dominante: ce sont les chasseurs qui écrivent l’Histoire, pas les lapins qu’on aveugle avec des phares. Et la dégradation du niveau général qui vient aussi bien d’Hanouna et de Bolloré que de Netflix et de TikTok résulte d’un bombardement disruptif de niaiseries divertissantes et pour le coup cosmopolites. Ajoutez-y quelques pincées de wokisme, de champions league, de David Guetta et de jeux vidéo et vous obtenez un marasme culturel qui maintient l’esprit d’une bonne partie de la jeunesse consummériste dans un no man’s land sans échelle de valeurs ni balise où tout se vaut pourvu qu’un plaisir fugace soit à la clé.

En tant qu’enseignant, ce n’est pas facile de lutter contre l’avalanche visuelle toujours à portée de main. WooClap propose actuellement un programme interactif, l’équivalent de Kahoot!, pour « apprendre en s’amusant ». L’idée est désarmante de simplicité: pour éviter que les élèves ne se dispersent avec leur portable, vous les faites se connecter à des questionnaires ou même des programmes de formation à travers le smartphone pour mieux l’empêcher de nuire. De prime abord, cela peut apparaitre comme un outil efficace pour un apprentissage sans douleur et stimulant, en phase avec des esprits habitués à zapper. Mais le choix multiple qui permet la correction automatisée et qu’on utilise jusque dans les sélections en première année de médecine n’a qu’un intérêt limité surtout en culture générale… à moins de considérer « Qui veut gagner des millions » comme le nouveau Lycée (au sens d’école fondée par Aristote). 

Quoiqu’il en soit, c’est bien sur la notion de culture générale qu’on devrait plutôt baptiser « savoir commun » qu’il faudrait s’interroger afin de rebâtir des programmes pertinents dans lesquels profs et élèves pourraient s’investir. C’est bien d’intérêt général qu’il s’agit et au double sens du terme : mobiliser l’attention d’une majorité de jeunes pour le bien commun et tout cela sans gâcher le plaisir d’apprendre, pour faire communauté sans passer par un récit national simpliste et pour s’ouvrir au monde sans s’y dissoudre. Autant dire qu’on a du pain sur la planche et qu’il ne faut pas compter sur des technocrates haut placés et hors sol pour les écrire. C’est au contraire à nous, les citoyens de terrain, de reconstituer le barda culturel indispensable au Français de demain.

Une question de principes

Pour en revenir à l’entretien à la préfecture du candidat à la nationalisation, il s’agit également pour le candidat de prouver son intégration à la communauté française en attestant qu’il est d’accord avec les principes de la République (liberté, égalité, fraternité). Denis Collin parle de faire prêter serment sur la constitution. Pourquoi pas?

Mais avant d’envisager tout serment, il est indispensable de bien comprendre ce qu’on entend par ces trois principes. 

On fait grand cas dernièrement de la laïcité: ce n’est que l’application à la sphère religieuse d’une liberté d’expression bien comprise. On pense ce qu’on veut mais on n’est pas obligé de faire chier tout le monde avec ses idées, encore moins avec ses rituels et donc, on les pratique en privé avec des gens qui les partagent.

S’il y a un hiatus civilisationnel (problème de caste pour un hindou par exemple ou d’égalité entre les sexes pour un intégriste quelle que soit sa confession), c’est la loi française qui l’emporte. Les traditions d’origine contraires à la constitution (l’excision bien évidemment ou les scarifications d’usage par exemple) ne peuvent même pas s’appliquer en privé. 

L’État s’attend également à ce que notre prétendant républicain respecte les sacro-saintes lois de la propriété privée et les symboles de la République. Idem pour tout demandeur de la carte de séjour. Si pour cette dernière, cela reste une simple démarche administrative, je ne suis pas contre un brin de cérémonial pour l’obtention du statut de réfugié et a fortiori de la nationalité française, histoire de marquer le coup. Il ne s’agit pas de jurer sur le Code civil mais ce serait l’occasion pour l’État de montrer qu’il est autre chose qu’une bête monstrueuse et glacée et pour les préfets et sous-préfets de faire autre chose que de signer des OQTF et d’arroser les chrysanthèmes. 

Il est donc indispensable que les quatre piliers de la République qui constitue l’essentiel de l’idéal républicain vers lequel chaque citoyen français devrait tendre soient conceptuellement maitrisés et mis en pratique par les aspirants. Au vu de ce qui se passe dans les instances suprême du pouvoir, pas sûr que ce soit le cas en haut-lieu. C’est pourtant de là que devrait venir l’exemple. 

La contribution sociale bien comprise

Par ailleurs, un des devoirs du citoyen français, c’est de contribuer au financement des services publics, impôt sur le revenu, TVA, cotisations sociales. C’est bien la moindre des choses pour pouvoir profiter des dits services. A ce propos, c’est un argument qu’on pourrait plus souvent renvoyer dans les pattes des gros évadés fiscaux qui ne sont quasiment jamais des immigrés. Pour être un citoyen à part entière, mon petit Pinault simple riche, ben, tu payes tes impôts en France sans optimiser, sans resquiller ni rechigner et avec le sourire. La contribution financière au fonctionnement des services publics du pays à la mesure de ses moyens reste, malgré l’état déplorable de notre système économique, l’une des meilleures manières de prouver son adhésion au projet national. Bien sûr, dans une version plus communiste de l’économie, la question de l’impôt ne se présenterait plus puisque toute la plus value y serait gérée à la source et socialisée. La citoyenneté s’exerce dans ce cas par la participation à la production de la richesse nationale. Il ne s’agit de produire comme un bourrin des conneries inutiles et polluantes. C’est un peu plus subtil que ça. Un citoyen est un producteur effectif ou latent, et reconnu comme tel par la société qui lui verse un salaire à la qualification et c’est à la hauteur de cette qualification qu’il participe à la création de la richesse nationale. Les cosmopolites hors sol qui sont de nulle part et de partout et qui pompent la richesse ici pour la planquer là-bas ne sont pas les bienvenus. Si Bernard Arnault veut repartir en Belgique qu’il n’oublie pas d’emmener avec lui Françoise Bettencourt Meyers et toute la bande de parasites qui hantent les milieux d’affaires. Mais la porte doit rester ouverte aux réfugiés qui veulent s’installer en France pour s’y intégrer, y élever leurs enfants, travailler et cotiser pour vivre avec nous. 

Préférence nationale

Il y aura donc une préférence nationale vis à vis des étrangers, n’en déplaise à ceux qui se revendiquent illusoirement comme des citoyens du monde. Mais les droits et les devoirs étant liés, la préférence comprend sa part d’astreinte. Rien de raciste derrière tout ça vu qu’il y a belle lurette que la couleur de peau ne compte plus dans la législation française.

Être français, ce n’est pas ressembler de toutes pièces à Attal, Retailleau ou Gruet, encore moins à Macron ou Ciotti (Dieu merci!). 

Être français, c’est revendiquer, à côté de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, la souveraineté du peuple français, sur les plans politique et culturel, non pas calfeutré chez lui ni à la remorque des Américains, mais bien décidé à participer à un projet commun et singulier bien défini par un gouvernement au service de l’intérêt national sur un territoire circonscrit et protégé où une seule et même loi s’applique partout et pour tous. Ni territoire perdu de la République ni compte off shore par conséquent. Pas de passe-droit ni de passe-montagne. Ni racaille en col blanc ni lumpenprolétariat de la zone. 

Et pourquoi pas une fierté retrouvée et bien placée d’appartenir à une nation reconnue dans le monde entier (la réhabilitation à l’international risque de prendre un peu de temps et beaucoup de diplomatie) et suffisamment forte et attractive pour donner envie de s’y reconnaitre, de s’y intégrer, voire de s’y assimiler… Tout le contraire du cosmopolitisme ostentatoire et nihiliste d’un Macron en somme.




À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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