Sales gosses ou le militantisme joyeux
Le texte qui suit est l’édito de la version papier du mois de novembre qui est toujours à disposition dans les points de distribution habituels.
C’est le 50ème numéro papier de Libres Commères. Et le 58ème mois d’existence de notre site qui abrite à ce jour plus de 900 articles. En janvier prochain, nous entrerons dans notre sixième année. A ce propos, le pédopsychiatre Gilles-Marie Valet écrit: « À partir de 6 ans, l'enfant sort de la phase d'opposition systématique et entre peu à peu dans l'âge de raison, celui des grands apprentissages scolaires et des relations sociales. C'est aussi une période de grande fragilité qui sollicite toute l'attention des parents. » Nous voilà bien avancés avec cet augure de psy pour sales gosses sous sédatifs, ce qui ne sera jamais notre cas, je l’espère bien. Pas question de mieux contrôler quoi que ce soit en vieillissant ! L’éruption colérique et le coup de gueule chronique sont plus que jamais à l’ordre du jour. D’autant que l’époque est tellement sinistre qu’on ne peut que s’y opposer méthodiquement. Mais pas avec les même armes que celles de ces saturnistes réac’ qui changent l’or en plomb dans les palais de la république qui s’écroule.
Libres Commères a donc cinq ans presque révolus mais n’en demeure pas moins fragile et réclame toute l’attention de celles et ceux qui font vivre ce petit canard né dans l’enthousiasme et la révolte, qui a traversé le confinement et les désillusions politiques et qui fait aujourd’hui partie du réseau des médias libres Franche-Comté grâce à rabasse.info.
De même que les outils de production appartiennent à ceux qui les utilisent, Libres Commères ne vit que par ceux qui le créent chaque mois et qui le lisent quand ils en ont l’occasion. Ça réclame de l’énergie, celle d’écrire ou de dessiner, mais aussi celle d’aller chercher les quatre feuilles qui ne vous tombent pas toujours dans les mains et de se rendre sur le site sans passer par la case Zuckerberg. D’ailleurs, rappelons ici que nous avons un bulletin périodique qui permet de recevoir une sélection d’articles deux à trois fois par mois. Suffit de cocher et de laisser son mail.
Bon, vous l’aurez compris, il ne s’agit pas de nous reposer sur nos maigres lauriers. Il n’est d’ailleurs aucunement question de se reposer… parce qu’il y a le feu au lac, les poux sont entrés dans Paris et tu peux gémir, charmant Elvis, les poux sont entrés dans ta vie. Écornifleurs, parasites et sangsues, ils ne lâchent pas la rente, accrochés au bastingage du vaisseau admirable qui fait naufrage dans les sargasses européennes. Alors…
Alors, on continue à tailler des costards aux oiseaux de malheur, à contrer les croquemorts de la démocratie et à proposer des pistes pour redonner du sens à l’action politique.
Et puisqu’il nous est encore permis de rêver à un monde moins mal foutu, télétransportons-nous dans cinq ans. Nous en serons au 100ème numéro papier. Le dessin de une de Léandre est en couleurs et j’ai cédé ma place de rédacteur en chef à une jeune femme pleine de rage et de bourrée de talent pour me consacrer à la rubrique Résococo, une colonne complète d’idées communistes plus sexy les unes que les autres qu’on distribue à la fête de l’Huma imprimées sur des marque-pages. Un Radis rose rend quant à lui sa copie avec quinze jours d’avance et prodigue des conseils pour rester zen au travail, au sein de sa famille et au coeur du Nouveau Nouveau Nouveau Front Populaire. Chris Proll fait du zodiaque en mer de Chine et Robot Meyrat va entrer en studio pour son 127ème album autoproduit. Depuis quatre ans, Lulu Puget est toujours en pleine rédaction de son fameux article sur le piratage informatique et Iléon Tataniel fait enfin les mots croisés sans ronchonner contre Brok et schnok. JLB apparait chaque mois en photo et en page 3 à moitié nu mais masqué et sous pseudo. Nicolas Gomet… Ah, Nicolas Gomet est promis à un grand avenir politique… enfin selon l’Hôtroscropre. Les contributions affluent tellement qu’on est passé à 16 pages dans la version papier et qu’il faut faire la queue pour accéder au site Internet.
A Dole, Libres Commères a pignon sur rue grâce à un petit kiosque, place du 8 mai, une place réaménagée en véritable agora. On vient y discuter autour des articles parus et des dessins de presse décidément irrésistibles. Même Jean-Baptiste Gagnoux, redevenu simple conseiller municipal, vient se procurer chaque exemplaire dès sa sortie : c’est lui en effet qui approvisionne le courrier des lecteurs furibards qu’il alimente sous les pseudonymes les plus fantaisistes comme Jean-Bernard Giboudeaux ou Georges Marchais. Il faudrait qu’il pense aussi à participer financièrement à l’impression qui se fait toujours chez Bureau Vallée pour 1,04 euros depuis qu’on a doublé le tirage en nombre de pages et d’exemplaires. Les 200 numéros s’arrachent d’ailleurs dans les deux ou trois jours après leur arrivée en kiosque.
Bernard Friot et Emmanuel Todd sont abonnés et Frédéric Lordon place de temps à autre une courte tribune entièrement compréhensible parce qu’on la lui fait réécrire sinon.
Ah oui, à l’intérieur du kiosque, c’est moi ! Je suis retraité mais Jacques Sapir est ministre de l’économie et des relations avec les BRICS+++++. Ma pension est un peu maigre mais celle de mon épouse est nettement plus conséquente. En outre, les droits d’auteur d’Anthropologie pour les Quiches nous permettent d’aller voir nos petits-enfants quand on en a envie : le train est autogéré par les cheminots et les prix des billets ont été divisés par deux.
N’allez toutefois pas croire que Libres Commères baigne dans une douce sérénité. Ça se frite souvent au sein du canard car la rédactrice en chef déteste les tièdes et les éléments de langage. Qu’elle en trouve un seul dans un papier et c’est Diên Biên Phu !
Bon, ça fait du bien de rêver un peu. Un peu mais pas trop : « Le gauchisme est la maladie infantile du communisme », écrivait Lénine. Moi, je dis que « l’illusion est la plus sûre des prisons ». Libres Commères est ce qu’il est et son plus grand mérite, c’est d’exister… grâce à nous tous.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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