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Madame Lénine

Publié le 18 avr. 2025 à 16:08 | Écrit par
Christophe Martin
| Temps de lecture : 04m28s

Madame Lénine aurait eu 156 ans cette année si cette foutue thyroïde, à moins que ça ne soit le poison du NKVD, ne l’avait pas emportée… à l’âge de 70 ans tout de même. Nadejda Konstantinovna Kroupskaïa ne s’est en réalité jamais appelée Madame Lénine même si elle était l’épouse légale de Vladimir Ilitch Oulianov parce que Lénine, c’est un pseudo que Vladimir a pris vers 1900 dans le but affiché de contribuer à Libres Commères (réf. nécessaire). Nadejda était à peine plus âgée que Lénine et lui survivra 15 ans. Ils sont tous deux issus de la noblesse, ce qui leur évitera le bagne tsariste et un exil trop pénible en Sibérie après 1895. Nadejda sera néanmoins séparé de son amoureux avant de faire des milliers de kilomètres pour le retrouver en se faisant passer pour sa fiancée avant de l’épouser définitivement. Elle va suivre son époux en Europe et le soutenir idéologiquement durant toutes leurs années d’errance. 

Lorsque Lénine entretiendra une liaison avec Inessa Armand, une autre militante d’origine française, Nadejda proposera de lui laisser sa place dans le couple mais Lénine refuse et ils vont former un ménage à trois sans trop d’histoires (réf. souhaitée). Kroupskaïa et Armand vont même travailler ensemble à la publication du premier numéro de Rabotnitsa, la Travailleuse, le premier magazine socialiste pour femmes en 1914, et ensuite pour la Conférence internationale des femmes à Berne. 

Le 8 mars 1921, Lénine décrète une journée internationale des femmes en souvenir des ouvrières du textile de Saint-Pétersbourg dont la grève contre la vie chère marque le début de la Révolution d’octobre 1917. L’idée de la journée vient de l’allemande Clara Zetkin qui, dès 1910, en tant que présidente de l'Internationale socialiste des femmes, fait cette proposition. Kroupskaïa, en exil, a appuyé cette initiative dès sa création et a sans doute discrètement insisté auprès de Lénine pour que ça se fasse. D’ailleurs, l’essentiel de ce que cette communiste de conviction va apporter à la révolution se fera discrètement, sans étalage. 

Née le 26 février 1869 à Saint-Pétersbourg, Nadejda fait de brillantes études et manifeste très rapidement de réelles aptitudes à l’enseignement. A 20 ans, elle donne des cours d’alphabétisation dans les milieux ouvriers et constate par elle-même leurs conditions de vie effroyables. Marxiste convaincue et grande lectrice, elle croise la trajectoire d’Oulianov et leurs destins s’entremêlent définitivement en 1898. 

Lorsque les Bolchéviques prennent le pouvoir, Kroupskaïa participe activement à la création du système soviétique d'éducation publique sous le ministère du Commissaire du Peuple à l’Instruction Anatoli Lounatcharski avec qui elle travaille très étroitement et en bonne intelligence. En 1919, parait un décret sur l’élimination de l’analphabétisme très répandue sous le régime des tsars. On évalue qu’entre 1920 et 1940, environ 60 millions d’adultes apprennent à lire. Quasiment tous les jeunes sont scolarisés. Cet effort considérable est comparable à celui du Maoïsme quelques dizaines d’années plus tard. Kroupskaïa s’occupe tout particulièrement d’organisation et d’éducation politique, ce qui n’est pas le point de fort de Lounatcharski. 

Logistiquement, il faut réquisitionner à grande échelle. Idéologiquement, il faut recycler les enseignants pour en faire des pédagogues innovants tout en veillant à ce qu’ils soient favorables au nouveau régime communiste. Ce n’est pas une mince affaire. Sur le plan pédagogique, domaine que Kroupskaïa a particulièrement travaillé, c’est la notion d’enseignement polytechnique qui fait son chemin : mathématiques, sciences naturelles et sciences sociales. Pour changer le monde, il faut savoir comment il fonctionne et quoi de mieux que la pratique pour y arriver. « Ce n’est donc pas seulement la pédagogie, mais aussi la nécessité économique qui nous forcera à former la génération montante non seulement au travail intellectuel, mais aussi au travail physique », écrit Kroupskaïa dès 1918. Autre idée novatrice : l’autogestion scolaire, autrement dit la possibilité pour les élèves de résoudre ensemble les problèmes qu’ils rencontrent. Bref, on a là les grandes lignes d’une éducation populaire. Sa mise en place se révèlera beaucoup plus compliqué que prévu pour de multiples raisons.

Mais aujourd'hui encore, l'Unesco accorde chaque année le Prix Kroupskaïa à des pays, organisations et personnes qui se distinguent par leur lutte contre l’analphabétisme.

Secrétaire de Lénine pour la rédaction de son testament politique fin 1922, Kroupskaïa va se voir manquer de respect par ce mufle de Staline qui n’osera cependant pas s’en prendre à la compagne historique du père de la révolution. Elle s’oppose pendant quelques temps à Staline dans la guerre de succession, notamment à propos du culte post-mortem que le nouveau maître du Kremlin met en place autour d’un Lénine visionnaire, infaillible et embaumé. «Camarades, ouvriers et ouvrières, paysans et paysannes. Ne laissez pas votre peine se transformer en adoration extérieure de la personnalité de Vladimir Ilitch. Ne construisez pas de palais ou de monuments à son nom. A toutes ces choses, il accorda peu d'importance au cours de sa vie. Ça lui était même pénible.(...) Si vous voulez honorer la mémoire de Vladimir Ilitch, construisez des crèches, des jardins d'enfants, des maisons, des écoles, des hôpitaux, et mieux encore vivez en accord avec ses préceptes.»

Pour finir sur une note taquine, remarquons qu’en privé, cette femme qui défendait publiquement l’émancipation féminine assurait à son époux un dévouement domestique total et un soutien moral aussi indulgent qu’indéfectible qui auraient ulcéré plus d’une militante pour les droits des femmes et pour la parité des tâches ménagères. Il est vrai que Nadejda et Vladimir étaient nés au XIXème siècle, en pleine Russie encore tsariste avec une structure familiale de type égalitaire et autoritaire selon le système d’Emmanuel Todd. Ça ne justifie rien mais ça explique tout.



À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.

Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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