Mode sombre

Et puis quoi encore? Non, rien ne va de soi. Rien n’a jamais été et rien n’ira jamais de soi. Et même que rien ne va plus du tout par les temps qui courent. On ira ici même dans « Dézingage des produits doxiques », titre pompeusement zététique s’il en est, on ira, disions-nous, chercher des poux dans la tête de la pensée molle, la petite bête jusque dans les cheveux coupés en quatre des docteurs en coma consensuel (NDLR: déconstruire la pensée unique, quoi!). 

Si ça va de soi, c’est que tout a été calculé, institué, entériné, prévu pour durer afin que rien ne change. Et c’est bien notre intention que de débunker ces affaires-là avec, nous ne vous le cacherons pas, une certain délectation dans l’autopsie d’autant que les idées reçues, car c’est d’elles qu’il s’agit, sont aussi vivaces que l’ordre conservateur qui leur permet de tenir. Pourtant la durée de vie d’un produit doxique est inversement proportionnelle à sa pertinence historique.

Plouf! Plouf! Reprenons! En philosophie classique, la doxa est l’ensemble plus ou moins homogène d’opinions, confuses ou pertinentes, de préjugés populaires ou singuliers, de présuppositions généralement admises et évaluées positivement ou négativement, sur lesquelles se fonde toute forme de communication (source Wikipédia). La doxa, c’est le dénominateur commun, dominateur parce qu’étrangement là depuis toujours alors que rien de social n’est déjà là d’avance puisque tout ce qui est humain est historique, et donc arbitraire et contingent, sans raison naturelle et par conséquent remplaçable.

Le paradoxe, c’est ce qui est nouveau, contre-intuitif et surprenant. Il peut se révéler faux et impossible mais il dérange la pensée plan-plan, le consensus mou du genou, le tout le monde s’accorde à penser que

Le dézingage des produits doxiques consiste donc à dépister l’idéologie à l’oeuvre dans ces petites expressions qui truffent nos discours à la con et émaillent nos philosophies de comptoir jusqu’à les rendre si lisses et sans aspérités qu’ils sont la voix du bon sens partagé, celui qui nous fait croire que ça va de soi parce que c’est évident et que ça ne peut pas en être autrement. 

L’idéologie de cache derrière ces expressions toutes faites: on ne prête qu’aux riches, la vérité sort de la bouche des enfants et les faits sont éloquents quand ils ne sont pas têtus. Par un effet de calcification, d’entartrement ou d’entartrage, la parole se sclérose et le sens se fige. Le locuteur en arrive à penser que ce qui est l’a toujours été. Il agglomère ainsi discours, réalité et vérité. Les allocutions toutes faites se servent alors en barquettes à décongeler au micro-ondes, une nourriture spirituelle toxique mais bien pratique pour « laisser du temps de cerveau disponible » qu’on ira remplir dans le grand Barnum de la consommation et du rêve matérialiste.

C’est par conséquent dans ces lieux communs que réside un danger d’autant plus grand qu’il est sournois et difficile à débusquer puisqu’il est en nous depuis des lustres. 

C’est en conséquence ces expressions chargées d’une idéologie sournoise et insidieuse que nous dézinguerons à tour de bras. Qu’on se le dise et qu’on nous lise!

Pour aller plus loin:

Avant nous, l’excellent Léon Bloy écrivit une « Exégèse des lieux communs », massacre en règle de la pensée bourgeoise du XIXème sans oublier le non moins passionnant Jacques Ellul dont le titre de l’ouvrage annonce l’a couleur et la filiation: « Exégèse des nouveaux lieux communs ».

Léon Bloy, « Exégèse des lieux communs », texte intégral. On choisit son expression, on clique et… bon après, c’est du Léon Bloy à la plume trempée dans le vitriol d’une révolte chronique, pas toujours facile à lire. Mais on peut toujours tenter. Ça ne coûte rien.

 https://fr.wikisource.org/wiki/Ex%C3%A9g%C3%A8se_des_Lieux_Communs

Quant à Jacques Ellul, je me promets de lire cet ouvrage depuis un bout de temps, vu que ce penseur atypique à presque tout pour me plaire. Bon, Ellul s’annonçait comme un protestant sincère mais Bloy était bien un catholique incandescent. Jean Gagnepain lui-même affichait sa foi en Dieu. Personnellement, en laïcard convaincu, je préfère quand les dieux ne la ramènent pas.

Le lien ne conduit qu’à une présentation bien documentée. 

https://www.senscritique.com/livre/Exegese_des_nouveaux_lieux_communs/critique/39838078


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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