Santé

Macron est-il psychopathe? Peut-être pas…

Publié le 15/02/2020 à 12:04 | Écrit par Christophe Martin | Temps de lecture : 08m02s

On a pas mal glosé sur les éventuelles pathologies d’Emmanuel Macron. La plus retentissante a sans aucun doute été celle du psychiatre italien Adriano Segatori mis en ligne en mai 2017, soit 11 jours avant son élection.

https://www.youtube.com/watch?v=NNDgsw39m9s

En 8 minutes 51, l’éminent professore dresse un portrait psychologique peu flatteur du candidat. Avec plus de 1 766 410 vues (au 13 février 2020), la vidéo a fait un véritable carton.

Quelques petites remarques s’imposent toutefois. Je passe sur le fait que c’est ERTV (Égalité et Réconciliation TV) d’Alain Soral qui a mis cette vidéo en ligne le 3 mai 2017 (jour du débat Macron-Le Pen à la télé) pour ce qui est de la version sous-titrée en français mais je remarque qu’Adriano Segatori est clairement d’extrême-droite. Si le fact checking de Libé ne vous suffit pas, cliquez sur le lien vers des tweets de Samuel Laurent.

https://www.liberation.fr/checknews/2017/05/05/qui-est-le-professeur-adriano-segatori_1652278

Mais gageons que c’est un grand professionnel et qu’il sait faire la part des choses entre ses choix politiques et son expertise filmée en vue d’une diffusion vers le grand public alors même que Macron n’était que candidat et finalement peu connu.

Segatori commence par affirmer que « le jeune Emmanuel Macron, à l’âge de 15 ans, a subi une grave agression sexuelle de la part de sa professeur qui a l’époque avait 39 ans. » Si aux yeux de la loi, il y a effectivement détournement de mineur, je suis un peu plus circonspect sur la justesse de l’expression « grave agression sexuelle ». Comme aucune enquête n’a à l’époque été menée, il est bien présomptueux de faire une telle remarque. 

Candice Nédélec et Caroline Derrien dans « Les Macron » chez Fayard en 2018 ne vont pas du tout dans ce sens. Bon, ce n’est pas non plus un chef-d’oeuvre d’objectivité. On aimerait toutefois savoir sur quoi s’appuie le psychiatre pour parler d’agression sexuelle (il qualifie même de viol cette relation) de l’une sur l’autre. Y a-t-il eu « séduction psychique » (nous parlerions d’emprise) d’une professeur de théâtre (option choisie donc par le jeune fort en thème que tous ceux qui l’ont côtoyé à la Providence à Amiens s’accordent à qualifier de séducteur de vieux) sur son élève suborné et soumis? On peut sérieusement en douter. Essayez d’imaginer Brigitte Auzière (39 ans), bourgeoise catholique certes assez sûre d’elle mais risquant là sa situation sociale et professionnelle au vu et au su de toute l’école, sauter sur Emmanuel (15 ans), pas complètement formé certes mais pas malingre non plus. Pas facile à visualiser, me direz-vous. Elle n’a ni le profil ni le physique pour un tel passage à l’acte. Emmanuel a dû tout de même y mettre un peu du sien, non? On peut même plus facilement imaginer que « les choses se sont cristallisées progressivement » comme dira Brigitte elle-même jusqu’à ce qu’Emmanuel « convoite âprement » (in « Les Macron » 2018) la prof de théâtre. Bref, le scénario initial du soi-disant traumatisme n’est guère convaincant.

Ça n’empêche pas le vénérable professeur de l’Université de Trieste d’affirmer que ce premier passage de la limite que pose le tabou déclenche chez le jeune Macron « la conviction que tout est permis ».

Segatori profite de l’occasion pour rappeler au passage que si on n’était pas chez les bourgeois, Brigitte aurait été en taule et Emmanuel suivi par la DDASS. Le psychiatre parle même sans détour d’un « problème de type pédophile ». Si je suis d’accord avec la première observation, la seconde me parait sujette à caution: à 15 ans, un garçon (ambitieux et extraverti) est-il encore un enfant qu’on peut suborner par intimidation? En d’autres terme, Manu se chiait-il dessus au point de se laisser tripoter la nouille sans broncher mais sans consentir non plus? Ça se discute. 

Retournons à présent à la thèse principale de Segatori: suite à la transgression d’un tabou (je vous rappelle que les professeurs n’ont pas le droit d’avoir de relations sexuelles avec leurs élèves dans notre société et cela même si on est dans une école anciennement tenue par des Jésuites), le futur président de la république serait alors entré (ou resté coincé) dans une toute puissance, une « omnipotence » qu’on retrouve parfois chez les enfants qui se croient tout permis. Plus rien ne pouvait alors arrêter notre Rastignac (personnage de Balzac et jeune arriviste provincial) d’autant qu’il va trouver sur sa route des mentors qui vont l’encourager (Henry Hermand, Jean-Pierre Jouyet, Xavier Niel, Peter Brabeck, Alain Minc, Jacques Attali).

Je résume donc la thèse de Segatori: un jeune premier de la classe est violé par sa prof de théâtre. Tous ses repères moraux s’effondrent et c’est la porte ouverte à la jouissance sans entrave. Cette permissivité exacerbée est en effet l’expression d’un désir débridé et hors de contrôle qu’on appelle la psychopathie. Là où vous gérez vos pulsions, le psychopathe ne peut plus freiner. 

Segaroti enchaine alors sur une affirmation tonitruante: « Le paradoxe veut qu’il (Macron) semble pathologiquement normal mais nous sommes en plein narcissisme. » Le psychiatre mélange donc allègrement hypertrophie du moi (en terme savant, la paraphrénie) et dérèglement de la capacité à se réguler (la psychopathie). Freud et Lacan eux-mêmes ont échoué sur ce terrain, incapables de faire une partition nette entre ce qui relève de la Loi et ce qui tient du droit (ce que la théorie de la médiation appelle la Norme).

Une fois n’est pas coutume: je vais défendre Macron. S’il est touché, il ne peut pas l’être à tous les niveaux tout de même. Un trouble peut avoir des conséquences sur d’autres secteurs de la personnalité sans qu’ils soient directement en cause. S’il y a du bruit dans un immeuble à cause de la teuf au troisième, on ne peut pas accuser tous les locataires d’être insomniaques. Si Macron souffre d’un trouble de la relation à autrui, comme je le suppose, sa psychopathie n’est qu’apparente. Autrement dit, la folie des grandeurs du paraphrène n’est pas la conséquence d’un manque de restriction du désir, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura aucune conséquence sur sa morale. C’est un peu subtil mais ça évite de dire n’importe quoi et de tout mélanger comme le fait doctement l’éminent Segaroti. Celui-ci accumule des remarques du genre: « Macron depuis sa jeunesse nourrit une ambition hors norme. Il a besoin du regard et de l’admiration des autres pour compenser un complexe d’infériorité. » Les deux propositions ne sont pas dénuées de fondement mais Segaroti oublie de faire le lien entre les deux. L’ambition est le désir de réussite sociale qui repose sur la reconnaissance (regard ou admiration) des autres. Aucun président de la république n’en a manqué: on n’investit pas l’Élysée contre son gré ou par hasard. Mais où diantre! Segatori va-t-il pêcher ce complexe d’infériorité? Dans l’enfance du chef comme pour Louis Bourbon, Adolf Hitler ou Napoléon Bonaparte. 

Ça manque un peu d’arguments solides. Ça m’arrangerait pourtant que Macron souffre d’un complexe d’infériorité. En fait, ça m’arrangerait trop bien! Comme ça arrange tous les détracteurs du président des riches. Surtout quand Segatori dit: « Le psychopathe n’est pas digne de confiance mais réussit à travers la fascination qu’il exerce à convaincre son interlocuteur. Il n’a aucun remord. » Là encore, Segatori mélange les genres: il passe de la pathologie sociale (séduction abusive) au trouble axiologique (absence de culpabilité). Il reste constamment à cheval sur les deux plans. 

A 8 minutes 50, Segatori récidive: « Comme tous les psychopathes, Macron a une haute idée de lui-même ». Voilà une affirmation qui reste à prouver. Je vous conseille de revoir M le Maudit ou Trainspotting pour vous persuader du contraire.

Quand Segatori affirme que « Macron n’aime pas la France et ne lutte pas pour le peuple de France », il sort de son rôle de clinicien. Il fait carrément un commentaire politique qui révèle ses véritables intentions.

Le psychothérapeute frappe un autre grand coup en faisant un parallèle saisissant entre « les serial killers qui détruisent les familles et les psychopathes en poste aux sommets de la politique et de l’économie qui ruinent les sociétés ». C’est en somme une différence d’échelle et là, je suis assez d’accord avec lui: j’ai la même vision du capitalisme.

Mais lorsqu’il épilogue sur l’impossibilité pour Macron de voir en la femme autre chose que la mère nourricière (la Marianne), d’où son impossible débat d’idées avec Marine Le Pen, je reste pour le moins dubitatif car contrairement à Segatori, j’ai vu le débat (ou du moins les morceaux choisis).  Le plus psychopathe des deux, c’était sans nul doute celle qui avait pris de la drogue. 

En tant que détracteur de Macron, tout ce que raconte Segatori ne me pose aucun problème: on peut charger la mule. Le démographe Emmanuel Todd l’a lui-même traité de « nain intellectuel » ou de « puceau de la pensée ». J’ai ri mais ça ne nous avance pas beaucoup même si Todd a le quolibet tordant.

Je me souviens moi-même avoir soutenu que je ne trouvais pas Emmanuel Macron, alors candidat, particulièrement intelligent et brillant mais tout au plus rôdé aux exercices rhétoriques et bien dressé à la com’ institutionnelle. Clinquant mais creux en somme.

Je suis maintenant persuadé qu’Emmanuel Macron souffre d’une pathologie sociale plus sévère que le simple vide intérieur d'une marionnette. Quant au portrait psycho-narcissique qu’en a fait le professeur Segatori, je renvoie à leur propre désir ceux qui se sont empressés d’applaudir et de le partager. Avant de t’extasier sur l’incroyable justesse d’une critique de ton ennemi, demande-toi si elle n’a pas été taillée en fonction de tes attentes. L’analyse de Segatori est calibrée pile poil pour les anti-Macron dont je fais pourtant partie. Pour ma part, je continue donc à étudier le cas de l’épouvantail de la Providence et je vous tiens au courant.

Pour aller plus loin:

Pour ceux qui voudront me lire par la suite sur le cas Macron, je conseille d’aller faire un tour sur mon site L’Anthropologie pour les Quiches. On y distingue très nettement le plan de la Personne (Moi, narcissisme et tout le toutim) du plan de la Norme (axiologie et cie) parce que les coins de cerveau concernés ne sont pas les mêmes et que les pathologies en sont donc isolables même si des troubles distincts peuvent avoir des symptômes similaires. 

http://anthroquiches.fr/

C’est ce petit texte qui m’a remis la puce à l’oreille.

https://loctopusvoitou.blog4ever.com/emmanuel-macron-est-il-un-pervers




À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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