CHEMINS DE TRAVERSE #2: Un jour commun autre
Le Limousin, nous n'y avions jamais foutu les pieds, que cela soit en Creuse, en Corrèze ou en Haute-Vienne. Alors qu'on se le dise, se pointer comme des fleurs un dimanche au bar du Magasin Général de Tarnac, unique foyer de chaleur dans ce village assiégé par les rideaux de pluie, et cela sans prévenir, c'était pas l'idée du siècle. C'te bande de touriste... On boit un coup, on fume une clope, on se regarde dans le blanc des yeux, au milieu d'une atmosphère de famille, peut-être trop pour notre présence. Le bar « ouvre un peu en off aujourd'hui... » nous confie Alex, jeune éleveur de brebis qui, ce jour là, était de service. On comprend mieux l'intimité entre les personnes accoudées au comptoir, liées par leurs places dans les diverses associations locales. Alex nous explique qu'ici à Tarnac et autour du bourg dans la montagne Limousine, plusieurs entités collectives coexistent, se mouvant à leur rythme vers l'interdépendance, ou du moins vers une certaine hétéronomie.
Ici, en 2007, un groupe de potes soudés par leurs réflexions politiques reprend l'épicerie-bar du village sous l'enseigne « Magasin Général de Tarnac ». Dans cette région traditionnellement communiste, un restaurant ouvrier rattaché à l'épicerie pré-existait au collectif qui l'a repris et transformé en une cantine populaire coopérative. De la même manière, leur camion-relais se charge de l'approvisionnement des villages alentours en denrées de base. Au fil de l'évolution du projet a ainsi été créé le Club Communal qui, sous la forme d'une Société Civile Immobilière- dont les parts sont intégralement possédées par les assos donnant vie au lieu-, a pu racheter l'ensemble des bâtiments du Magasin Général.
Que cela soit pour les habitants du bled, anciens comme nouveaux, mais aussi pour les voyageurs, les ouvriers, les révolutionnaires, le Magasin Général, formé de son épicerie, de son bar et de sa cantine populaire – et qu'est-ce qu'on y mange bien !- se veut être un lieu de rencontre et de médiation entre les acteurs des différentes initiatives en cours et à venir dans la montagne Limousine. Par ailleurs, ce petit nid de convivialité propose aux habitants du coin concerts, conférences et débats foisonnants.
Insigne du Magasin Général
Ici, les démarches collectives sont tournées vers la re-localisation de la production et de la distribution, la régénération et l'approfondissement du terreau social, et le soutien aux personnes isolées, qu'elles soient retraitées ou réfugiées. Petit florilège de ce que l'on trouve à Tarnac et aux alentours : cybercafé, studio mixage son et montage cinéma, comité des fêtes, bureaux partagés, club d'entraide administrative, maison d’accueil pour exilés, projets d'éducation populaire autour des métiers manuels, et aussi ferme maraîchère coopérative. A ce titre, nous avons eu l'occasion de passer un peu de temps à la ferme du Goutailloux.
L'occasion d'une matinée, après avoir enfilé de bonnes godasses, nous avons enfoncer nos mains dans la bouse en compagnie de Julien, Lisa et Tino, trois membres du collectif parmi la soixantaine de permanents qui portent ce lieu, et qui nous ont aimablement fait une place à leurs côtés dans leur session de travail matinal. Tout en épandant le fumier sur les planches de culture dans la serre, la terre et ce lieu nous révélait un peu de leur histoire.
Le plateau n'a jamais été une terre d’accueil pour le maraîchage et la culture de céréales. Le sol s'y trouve acide, pauvre, et gorgé d'eau. Le plateau des Millevaches est un territoire montagneux et recouvert de forêt. Ainsi, comme dans toute culture montagnarde, l'élevage a la part belle, d'abord par nécessité. Les traditions ne sont pas forcément manichéennes, à l'instar des raisonnements que leurs dédient certains citadins biens installés dans le confort insoutenable du mondialisme. Mais revenons à nos moutons.
Le corps de ferme du Goutailloux (situé à 3 kilomètres de Tarnac) a été repris par un collectif en 2004 après plus de vingt ans d'abandon. En quinze ans d'activités de ce lieu animé par la recherche d'autonomie matérielle et le partage des savoirs, le collectif a su aboutir à une organisation structurée et organique. Ainsi, la ferme est auto-gérée via divers pôles d'activités.
D'abord, un pôle de maraîchage, un pôle pour les travaux de menuiserie et de charpente, un pôle d'élevage, un pôle dédié à la sylviculture, et enfin un pôle se chargeant de l'accueil et de la programmation des divers événements prenant place sur la ferme : séminaires (géopolitique, anthropologie, science-fiction, hacking...), formations, chantiers (Maison Commune, Maison des enfants), fêtes...
Ce que l'on ne vous a pas dit c'est que tout cela se trame dans un village de 350 habitants et ses hameaux alentours. Y'a du boulot les Dolois!
Aux Millevaches, un air de résistance flotte. Sûrement les maquis de la Seconde Guerre Mondiale y ont-ils laissé leurs traces, en témoignent les clichés en noir et blanc des résistants – communistes s'il vous plaît- placardés fièrement sur les murs du bar du Magasin Général. Et puis, la forêt limousine et ses pâturages de terre de bruyère, partout encerclent les villages, comme parsemés, loin des grandes villes. Alors il y a là comme un besoin de se retrouver, de recréer des communs d'une manière ou d'une autre.
Le groupe d'amis à l'origine du Magasin Général avait largement anticipé et théorisé le rôle politique qu'il s’octroierait en reprenant l'échoppe il y a maintenant treize ans, mais était loin d'imaginer l'ampleur que prendrait ce projet politique et la répression d’État qu'il subirait.
Margot B / Elie B.A
À propos de l'auteur(e) :
Elie Ben-Ahmed
Faux écologiste admis aux Gilets Jaunes sur liste d'attente, souffre d'hyperphagie informationnelle causant souvent des troubles de paraphrasite aigue. CAP "Technicien de Maintenance de l'Ascenseur Social - Option Scooter en Y" en cours.
Volontaire en sévices civiques
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À propos du ou de la co-auteur(e) :
Margot Barthélémy
Biographie en cours de rédaction.
Flâneuse dilettante
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