Le printemps des poètes en retard
La Grande Librairie diffusée le mercredi 18 mars dernier en direct, sur France 5, annonçait qu’il n’y aurait pas de Grande Librairie la semaine suivante. Ce dimanche, les horloges de nos appareils connectés ont avancé pour nous d’une heure dans la nuit. Un deuxième coup de masse sur le casque, quinze jours après le premier. Donc, l’heure d’été est au printemps des poètes en retard.
Sophie Nauleau est directrice artistique du printemps des poètes, édition 2020. Première invitée de François Busnel, elle publie « Espère en ton courage ». Troublée, presque inquiète, aux côtés de Fabrice d’Almeida et Fabrice Humbert. L’atmosphère est pesante, même sur le plateau, à l’heure (d’hiver) exacte, où je campais, interdite par la mise en joue. L’émission culturelle autorisée est épurée de son décor, la programmation bouleversée, la thématique du printemps des poètes de cette année résonne d’un écho détonant : courage.
Le courage célébré dans la poésie : « Espère en ton courage », recueille les grands noms, œuvre à des résurrections, traduit la définition du courage des grands poètes, toutes époques confondues. Ainsi l’on apprend que les poètes n’ont pas manqué de prendre les armes à des moments compliqués de la vie. C’est le cas notamment de Paul Valet. L’autre grand poète à côté de René Char, à avoir pris le maquis au début des années 1940, les armes à la main. Paul Valet, résistant, médecin des pauvres en 1945.
La poésie a ce sens-là d’avoir toujours une longueur d’avance. « Ce sont les mots qui savent de nous ce que nous ignorons d’eux », disait René Char. La preuve. On pourrait penser que la poésie c’est l’apanage des poètes et des intellectuels, mais la définition philosophique d’Aristote : « le courage est le juste milieu entre la peur et l’audace », démonte bien la confusion et nous installe tous dans le même sac. L’audace d’être capable de rester chez soi face à un poème ou un livre face au courage de se confronter à soi-même.
Avant d’exister dans les livres inaccessibles à la classe ouvrière du début du siècle dernier, la poésie est un miracle qui règne partout. Même sur les chantiers de forage contemporains. La poésie est une empreinte indélébile, extraordinairement actuelle, elle ne vieillit pas.
Sophie Nauleau le sait. Hissée à la hauteur des grands poètes lorsqu’elle les cite, son texte n’est pas en dessous. Le vrai défi, c’est appliqué sa prose à la hauteur de ceux qu’on cite. Et elle, ça tient. Aucune chute de régime entre les grands noms :
Guillaume d’Aquitaine, poète, écrivait au XIe siècle : « J’ai peur et courage à la fois ». Un courage qui renvoie à ne pas braver les interdictions, accepter, et rester chez soi.
Sur la question de l’exemple, sur qui prendre exemple, quand on a besoin de courage, Émilie Dickinson, poétesse américaine du XIXe : « Si ton courage te fait défaut, va au-delà de ton courage. » Fabrice Humbert avait dans sa jeunesse considéré l’emprisonnement comme un espace de liberté pour lire et écrire à volonté. 150 ans avant, lire et écrire avaient été la liberté d’Émilie Dickinson. En quête d’un monde intérieur, elle a vécu dix mille vies sans sortir de son jardin. « C’est réconfortant de savoir que des destins foudroyés peuvent donner de la ressource et continuent d’inspirer. »
Enfin, une autre définition de la poésie, tonnée par le plus grand poète baroque lyrique du XIXe : « La poésie c’est ce qui renait quand un monde est détruit. ». Victor Hugo.
Si Sophie Nauleau place aussi facilement le film Forest Gump à côté d’une citation d’Henri Michaux, c’est bien parce que la poésie est présente en tous points de la vie. En philosophie, à la télévision, au cinéma, dans la musique. La littérature sait ça mieux que nous. Jean-Paul Belmondo est tout autant légitime à définir le courage : « Le courage, c’est rester chez soi près de la nature, qui ne tient compte d’aucun de nos désastres. »
Eloge des passerelles ou constellation des résonnances et correspondances — Aimer la poésie classique n’empêche pas d’aimer d’autres situations beaucoup plus quotidiennes et plus simples.
Comme on peut parfaitement se sentir animé par la littérature et vibrer à l’écoute des raps de Davodka, Vin’s ou Rockin Squat. Rien n’est incompatible, et en réalité, tout se rejoint. L’épreuve apprend. « À prendre patience et longueur de temps, réapprendre le temps long, rentrer à l’intérieur de soi, réapprendre la fulgurance. Dans la lecture. Vivre plus vaste, respirer plus vaste, se redécouvrir. Les bibliothèques étaient encore ouvertes et on ne manquait de rien. La lecture redresse. La poésie est puissante. Donne une verticalité, un ancrage comme un arbre enraciné. Il y a ce qui nous élève ce qui fait qu’on va contrer la gravité, on va continuer à pousser et il y a ce qui nous tient fermement au sol. »
Enfin, doit-on (re)lire « la Peste » d’Albert Camus ? Pour moi, c’est indispensable. De toute urgence. Sophie Nauleau n’en est pas certaine. Hésite. Pas tout de suite. Et quand même. François Busnel insiste. Je viens de le relire.
« Il y a eu dans le monde autant de pestes que de guerres. Et pourtant pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus. Le docteur Rieux était dépourvu, comme l’étaient nos concitoyens, et c’est ainsi qu’il faut comprendre ses hésitations. C’est ainsi qu’il faut comprendre aussi qu’il fut partagé entre l’inquiétude et la confiance. Quand une guerre éclate, les gens disent : « ça ne durera pas, c’est trop bête. » Et sans doute une guerre est certainement trop bête, mais cela ne l’empêche pas de durer. La bêtise insiste toujours, on s’en apercevrait si l’on ne pensait pas toujours à soi. Nos concitoyens à cet égard étaient comme tout le monde, ils pensaient à eux-mêmes, autrement dit, ils étaient humanistes, ils ne croyaient pas aux fléaux. Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais rêves en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier lieu, parce qu’ils n’ont pas pris leurs précautions. Nos concitoyens n’étaient pas plus coupables que d’autres, ils oubliaient d’être modestes, voilà tout, et ils pensaient que tout était encore possible pour eux, ce qui supposait que les fléaux étaient impossibles. Ils continuaient de faire des affaires, ils préparaient des voyages et ils avaient des opinions. Comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l’avenir, les déplacements et les discussions ? Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux. » La peste, Albert Camus
L’émission la Grande Librairie invite à commander ses livres au format numérique sur le site librairiesindependantes.com. Et résister à la tentation de le faire chez l’autre américain qui n’est même pas libraire !
Malika Guellil
Espère en ton courage, Sophie Nauleau
La peste, Albert Camus
Et cadeau, mes poètes à moi :
Accusé de Réflexion, Davodka
https://www.youtube.com/watch?v=yVS_T_hTf4E
Fusée de détresse, Davodka
https://www.youtube.com/watch?v=dcyzxhUzKLg
Egalité, Vin’s
À propos de l'auteur(e) :
La Rédac'
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