Allô, Jean Valjean ? Ça sent le moisi…
Un million et demi de vues en 24 heures. Vincent Lindon fait un tabac sur Mediapart : « Comment ce pays si riche…». On le reçoit de partout, les bonnes âmes partagent leur émoi, ça fait tellement de bien, ce Monsieur Vincent qui dit tout haut sur le web ce qu’on pense confiné et forcément moins fort, 19 minutes quand même…. André Savard commente sur Youtube : « Conscience claire, verbe précis, vérités profondes, sagesse tutélaire. » Merci Vincent ! Merci André ! Je cherche quand même tutélaire dans le dictionnaire : qui assure une protection, dans sa version littéraire ou qui concerne la tutelle, et là, je cherche tutelle : régime de protection de la personne et des biens des mineurs et des incapables majeurs, qu'il importe de représenter dans les actes de la vie civile. Merci Robert !
Et donc Vincent Lindon dénonce le capitalisme destructeur et le libéralisme tous azimuts qui veut faire du fric sur tout y compris sur la santé et la mort. Et il a fait des films sur des problèmes sociaux, il sait de quoi il parle. « Un espoir s’était pourtant levé avec le nouveau chef de l’État Emmanuel Macron, et son programme promettant un investissement massif dans le système de santé. » Macron, espoir, promesse ? Allô, Monsieur Lindon ? Vous sortez d’où? Mettons ça sur le compte d’une ironie perfide. J’attends. « Avec l’automne, un vent se lève, une révolte inattendue et pourtant évidente : des femmes et des hommes en jaune envahissent les ronds-points et les Champs-Élysées, naturellement accompagnés par une très faible minorité qui prétexte le port de la chasuble pour casser plutôt que pour revendiquer, une revendication légitime qui emporte l’adhésion de l’opinion, contraignant le gouvernement à un repli tactique. » Mouais… encore un qui découvre la colère en se rendant à sa maison de campagne pour Noël… Ensuite Vincent Lindon nous fait le coup de la rétrospective avec tout un tas d’expressions qui sentent le moisi : « cortège de drames… empêtré dans ses mensonges et ses omissions, le pourvoir tergiverse… Dans les milieux favorisés, on n’hésitera guère. Mais dans les milieux plus modestes, le dilemme est cornélien. Alors que le chômage enfle, dois-je exposer mon enfant au risque de tomber malade, ou accepter l’éventualité de perdre mon emploi ? Et si les parents sont d’avis contraires, le couple pourra-t-il résister, notamment si les choses tournent mal ? Questions sans réponses… » Que de mots appris dans les clichés de la presse de droite et la bibliothèque de Brigitte Macron ? Un type qui parle comme un bourgeois du XXème risque bien de penser comme un bourgeois du XIXème. Et ça ne rate pas. Voilà qu’il cite Churchill. Plus élitiste et gentiment réactionnaire que le vieil alcoolo anglais, on fait guère… Comme s’il n’y avait pas d’autres démocrates sur abc-citations.com.
Mais le meilleur reste à venir. Lindon propose « une contribution exceptionnelle, baptisée « Jean Valjean », conçue comme une forme d’assistance à personnes en danger, financée par les patrimoines français de plus de 10 millions d’euros, sans acrobaties, à travers une taxe progressive de 1 % à 5 %, avec une franchise pour les premiers 10 millions d’euros. »
Macron refile des primes aux soignants pour ne pas augmenter les salaires et Lindon en appelle à la solidarité, la bonne volonté de ceux qui planquent leur fric à l’étranger depuis des décennies, traitent les Gilets Jaunes de fachos et de fainéants et applaudissent les achats de LBD pour qu’on tire sur les misérables qui font des barbecues sur l’espace public et qu’on a parqué dans leur clapier grâce au virus. Bon, calmons-nous…
« D’après les économistes que j’ai pris soin de consulter, cette contribution devrait représenter environ 36 à 37 milliards d’euros, qui seront distribués aux quelque 21,4 millions de foyers trop pauvres pour être assujettis à l’impôt sur le revenu. » Le chiffre est de 2017 et on dirait bien qu’il vient de chez Piketty qui nous dit que le nombre de foyers imposables baisse depuis 2014. Soit c’est le taux d’imposition qui baisse, soit c’est les revenus et donc les recettes. L’impôt sur le revenu repose donc sur 16,5 millions de foyers fiscaux soit 43% seulement de la population. C’est en soi scandaleux. Tout le monde devrait avoir les moyens de payer des impôts, comme on verse des contributions sociales, et pas seulement en se faisant pomper avec la TVA que tout le monde paye pour le coup et de manière très inégalitaire. Mais là Vincent Lindon ne cherche pas à creuser : on est dans l’urgence. Soit ! 2 000 € avec la contribution « Jean Valjean », tout le monde devrait être content. C’est un chiffre rond qui sonne bien. On est dans l’urgence ! Au fait par foyer ou par tête de pipe ?
Admettons que, pour la suite, Lindon ironise et c’est long, vous pouvez sauter les italiques : « Même si je ne doute pas un instant que les plus riches de nos concitoyens se réjouiront de l’occasion ainsi offerte de montrer leur patriotisme et leur générosité, il me paraît prudent que les législateurs mettent en place des sanctions suffisamment dissuasives pour décourager les improbables mauvaises volontés. Je pense ici, surtout, à nos compatriotes domiciliés fiscalement à l’étranger, évidemment conviés à manifester leur solidarité. Mon rôle n’est évidemment pas d’entrer dans le détail de ces sanctions. Je voudrais néanmoins en proposer une, essentiellement symbolique – car je crois, moi, à la force du symbole : alléger les réfractaires de leurs pesantes décorations (Ordre du mérite ou Légion d’honneur, par exemple) pour leur permettre de gambader librement dans les couloirs des hôpitaux étrangers, voire français, où ils seraient évidemment les bienvenus après avoir refusé de financer notre système de santé national et plus généralement notre service public. En un mot, leur pays. Bien sûr, je sais que ces précautions seront sans nul doute inutiles, tous ces privilégiés étant bien conscients de ce qu’ils doivent au pays qui les a formés et souvent enrichis. Mais la confiance n’excluant pas la prudence, de telles dispositions ne sauraient nuire. »
Quel pince-sans-rire, ce Vincent ! Mais même la tôle ne fait pas changer des mecs comme Balkany ou Carlos Ghosn. Eric Woerth et Roselyne Bachelot reviennent nous faire la leçon. Giscard touche toujours sa retraite qui nous coûte un bras et je parie que Jack Lang est encore en poste quelque part dans l’Hexagone à se faire tailler des costards au frais du contribuable. Le fils Pinault a été pris la main dans le sac Gucci en Italie et on attend toujours. Bernard Arnault organise des soirées « Merci Patron » pour les actionnaires de LVMH. Pourquoi ne pas proposer de leur supprimer leur page Wikipédia et leur compte Facebook tant qu’à faire? Sans compter que tous ces gentils contributeurs vont nous faire payer vos largesses, mon cher ami. Et pas plus tard que maintenant avec les masques ! Il est déjà là le scandale ! Et les décorations, franchement, tout le monde s’en fout ! C’est à croire que Vincent Lindon est aller voir le dernier Polanski et la dégradation de Dreyfus.
Et nous voilà au chapitre pour « réparer notre démocratie ». Lindon nous parle d’ « instituer des contre-pouvoirs ». C’est dans l’air du temps, les contre-pouvoirs. Mais avec une VIème République ou carrément autre chose ? Et là, Lindon ne dit rien bien sûr, il préfère taper au passage sur le « douteux Roland Dumas ». Pourquoi remonter aux 1000 paires de pompes du ministres des affaires étrangères de Mitterrand et à la putain de la République qui le pompait sous le bureau quand tu as tous les noms qu’il te faut pour piocher dans du tout frais ? Je peux vous faire passer la liste des noms. Facile, ils sont au pouvoir et au Perchoir…
« Sanctionner sévèrement les dérives, pour interdire l’alliance mortifère entre les copains et les coquins. Depuis des décennies, aucun élu, même le plus corrompu, ne craint les rigueurs de la loi. Il y a à cela une excellente raison : la prison, c’est pour les autres. Eux pourront toujours solliciter les meilleurs avocats et multiplier les procédures des décennies durant, jusqu’au moment où les juger n’aura plus aucun sens. » Toujours pas de nom et un petite rengaine populiste facile qui plait. Cela dit, on est d’accord sur le constat. Et on en vient donc à la proposition en trois points. Je propose de la baptiser la proposition « Javert », du nom du flic sans prénom qui poursuit implacablement Jean Valjean tout au long des Misérables.
« Rendre passible de longues années de prison ferme tout acte de corruption avérée d’un élu. » Appliquer la loi, quoi !?
« Définir des couloirs judiciaires dédiés, pour éviter qu’on ne juge que des cadavres. L’ensemble des procédures, appel et cassation compris, devra être bouclé dans les 12 mois suivant l’ouverture de l’instruction. » Ça s’appelle un tribunal d’exception parce qu’il va y avoir du monde dans le box, croyez-moi !? Mais vous me semblez bien optimiste de penser que la justice va faire soudainement son boulot avec les mêmes sous la robe et « à la garde des sceaux ». Pourquoi ne pas demander aux préfets de faire du bénévolat à la Croix-Rouge ? Ou aux CRS de jouer au badminton avec les jeunes des banlieues ? Il va bien falloir que les magistrats fassent aussi et au minimum leur autocritique.
« Augmenter fortement la rémunération des hommes et des femmes qui choisiront de servir la collectivité avec compétence, zèle et intégrité. Pourquoi ? Pour avoir les meilleurs. Pour leur éviter la tentation. Et pour rendre inexcusable qu’ils y cèdent. » Euh, j’ai pas bien entendu… De quoi parlez-vous, Vincent ? D’augmenter décemment les fonctionnaires du service public qui font tourner le pays ou de donner plus d’argent à des élus qui dépassent les 5000 euros par mois et qui se font élire pour justement pouvoir céder à la tentation en toute impunité.
Je m’arrête, là. Vous êtes dans le flou total, Vincent Lindon, vous faites votre show un peu tard et j’imagine que Léa Salamé va vous appeler comme elle sait inviter Fabrice Lucchini pour faire le pitre dans le micro sur France Inter. Je ne vais pas vous accabler parce que vous êtes un homme de bonne volonté, votre filmographie le prouve. Mais vous pensez comme la classe dont vous êtes issu et que vous allez la laisser au pouvoir parce que vous ne pouvez pas imaginer autre chose que le vieux monde qui vous a vu naitre. Vous pensez comme Monsieur Madeleine, le nom sous lequel Valjean s’est fait une place chez les Bourgeois de la Restauration. Vous allez faire un tabac avec votre speech un peu ennuyeux au demeurant. Et Médiapart avec vous. Mais ça sent le moisi…
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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