Mode sombre

La signature de Jean-Marie Sermier, député de la 3ème circonscription du Jura, dans la liste des élus qui présentent une proposition de loi « visant à rendre non identifiables les forces de l’ordre lors de la diffusion d’images dans l’espace médiatique, » n’est pas passée inaperçue. Allez lire le texte, il est bref et radical. On n’en attendait pas moins d’Éric Ciotti qui est à l’initiative de l’affaire. 

Pour faire simple, l’idée est de punir d’une très, très grosse amende (15000 euros) et d’une longue peine d’emprisonnement (un an) toute personne qui filmerait (ou photographierait) des forces de l’ordre en action et diffuserait la vidéo dans la presse ou les réseaux sociaux. Et cela parce qu’il existerait une campagne anti-FDO en France, et même des agressions de policiers et de leurs familles. 

Dans le principe, on pourrait comprendre : le RAID ou la BRI portent la cagoule. Sauf que le projet Ciotti s’adresse aux FDO que vous croisez tous les jours, des fonctionnaires assermentés que l’État et donc nous… employons pour maintenir la paix des ménages, la sécurité des biens et des personnes et le bien-être dans l’Hexagone. C’est dans cet esprit que (sans toutefois me prononcer au nom de toute la rédaction de Libres Commères), je m’associe au maire de Dole pour applaudir nos héros de la répression des méchants.

 

 

Toutefois dans le cas qui nous occupe, je me demande pourquoi le visage du policier de la Nationale est flouté alors qu’il est très facilement identifiable grâce à sa montre, cadeau de son épouse pour son 40ème anniversaire, et à cette position des pieds caractéristique qui atteste qu’il a pris des cours de danse chez Mademoiselle Mourlin au Conservatoire de Dole. Mais surtout, pourquoi se cacher quand on n’a rien fait de mal ? La famille du cambrioleur n’aurait quand même pas l’idée d’aller chercher notre héros du jour dans sa cuisine pour lui faire une tête au carré.

Bien sûr, à Minneapolis, c’est un peu plus tendu. Pourtant sur la vidéo qui a tourné sur les réseaux sociaux, le policier qui étouffe carrément George Floyd ne cherche pas à se dissimuler. Ce qui tendrait à prouver qu’il a le sentiment d’accomplir correctement sa mission de maintien d’un homme sans défense à terre jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Les hommes qui ont si joliment arrangé le jeune Gabriel auraient sans doute aimé être filmé pour prouver que le garçon a glissé sur un coin de bureau en tentant d’exécuter un triple salto arrière afin de s’échapper du commissariat.

Camélia Jordana n’est pas la seule à se méfier de la police. Je suis blanc, Gilet jaune, bien connu des services de l’ordre locaux et seulement coupable de parfois dire ce que je pense mais la police ne me rassure pas. Je n’ai pas dit que je la craignais mais disons qu’une certaine défiance m’empêche de lui faire confiance à 100%. C’est un peu comme avec Jean-Marie Sermier… et tout le système en fait.

Tout le problème est là, dans ce climat de défiance générale, d’absence de transparence et d’opacité morale. Soit on a des choses à se reprocher en tant que personne publique et on censure, on floute et on dissimule. Soit on se montre à visage découvert et on assume. J’ai bien parlé de personne publique : quand on est dans son espace privé, c’est autre chose. On a le droit à sa quiétude tant qu’on est dans les clous : je n’aimerais pas qu’on me filme quand je lâche une caisse bien foireuse devant mon ordinateur.

Si vraiment les policiers ont eu à subir des pressions, voire des agressions,  comme le disent Eric Ciotti et consort, qu’on nous le fasse savoir ! D’un autre côté, ce serait entrer dans la vie privée des policiers que de révéler ce qu’ils ont eu à subir en dehors du service. La meilleure solution reste donc qu’ils puissent être filmés et photographiés lors qu’ils travaillent comme moi-même, je peux être écouté et enregistré (avec mon accord) quand je fais cours en télé-enseignement. Les citoyens pourraient alors constater que dans la majorité des cas, tout se passe dans le civisme le plus total et le respect des procédures légales, que les « incidents » sont minimes et très peu nombreux et qu’on ne risque rien tant qu’on n’a rien à se reprocher.

Je compte donc sur Jean-Marie Sermier pour glisser un mot à Éric Ciotti et puis tant qu’on y est, pour écrire au premier ministre afin de lui demander de lever l’état d’urgence sanitaire pour que la démocratie à l’Assemblée Nationale puisse à nouveau exercer ses droits au plus vite. 


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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