Mode sombre

« Etre une banque autrement, promouvoir une économie qui préserve les biens communs, créer du lien et de la citoyenneté ». La Nef aurait toutes les vertus qu’on ne trouve pas ailleurs dans la finance. Sur le papier en tous cas. Le Miradole a donc rencontré Annie Buchwalter, sociétaire active de la Nef sur Dole et il aurait tendance à faire confiance à Annie. Mais de là à faire confiance à une banque… Micro !

 

Le Miradole : As-tu toujours une banque ordinaire parce que vu ce que je connais de la Nef, ce n’est, semble-t-il, pas une banque comme les autres?

Annie Buchwalter : Forcément. J’ai une banque puisque la Nef ne propose pas pour l’instant de comptes particuliers ni de comptes professionnels. J’ai donc toujours une banque qui est le Crédit coopératif. Avant, j’étais à la Banque postale, puis j’ai basculé à la Nef hébergée par le Crédit coopératif au moment où il existait des comptes Nef. Mais depuis 2016, la Nef a pris certaines distance vis à vis du Crédit coopératif pour essayer de fournir des comptes particuliers et professionnels d’elle-même sans être adossée au Crédit coopératif mais pour l’instant, ça ne se fait toujours pas. On espère qu’il y aura des comptes pros en 2021. Mais depuis le temps… on attend de voir.

Le Miradole : Tu as découvert la Nef comment?

Annie Buchwalter : J’en ai entendu parler pour la première fois pendant un stage que j’ai fait en Ariège sur les médecines alternatives. En 2006, 2007, je dirais…

Le Miradole : L’Ariège est justement un des départements où sont faits des prêts. Dans le Jura, il n’y en a pas par exemple.

Annie Buchwalter : C’est une zone blanche en effet.

Le Miradole : On en reparlera. Mais raconte-nous la démarche que tu as suivie pour rejoindre la Nef.

Annie Buchwalter : Il a fallu le temps que l’idée progresse dans ma tête, que certaines choses personnelles se règlent et ensuite ça a été assez rapide. Je suis allée au Crédit coopératif à Besançon.

Le Miradole : Il n’y a pas d’agence à Dole bien évidemment.

Annie Buchwalter : La Nef n’a strictement aucune agence. J’ai donc été accueillie par un conseiller du Crédit coopératif. Celui à qui j’ai eu affaire me convenait. Il ne cherchait pas à forcer la main, il était à l’écoute, il a fait un effort sur le compte pro…

Le Miradole : Ils ont tout de même cette image coopérative… Mais, moi, pour croire à une banque, il me faut une agence en bas de chez moi.

Annie Buchwalter : Mais tu cherches une agence pour quoi?

Le Miradole : C’est toi qui prends la main sur l’interview là… en fait, moi déjà, je n’ai pas confiance dans la banque

Annie Buchwalter : Ça peut se comprendre.

Le Miradole : Je reste très primaire là-dessus. J’aime bien avoir mon banquier près de chez moi.

Annie Buchwalter : Il y aurait un banquier Nef à côté de chez moi, ce serait parfait. Mais j’ai donné la priorité à la Nef par rapport à une banque de proximité. De plus, à l’expérience, j’ai perdu moins de temps à faire mes démarches en ligne avec la Nef via le Crédit coopératif…

Le Miradole : Et donc, qu’est-ce qui t’a plu en elle pour passer le pas vers une banque en ligne?

Annie Buchwalter : Ce qui a fait tilt, c’est qu’ils disaient que 80% de l’argent qui était placé à la Nef servaient à financer les projets, ce qui n’est plus exact, c’est dans les 55% actuellement, ce qui, par rapport aux banques classiques, est encore bien.

Le Miradole : Je suis allé regarder les projets. C’est pile-poil dans les choses qu’on aime bien.

Annie Buchwalter : Pour moi, ça va dans le bon sens. Même si ce n’est pas parfait, même si actuellement la Nef est plutôt en crise, pour moi, justement ce n’est pas le moment de lâcher. L’idée est là, même si le Crédit coopératif est beaucoup dans l’économie sociale et solidaire et mis à part les grandes banques qui font du green washing.

Le Miradole : C’est ce qui me dérange dans la mienne, la Caisse d’Epargne où on sait qu’il y a du pognon qui part dans le CAC 40 ou le pétrole. Mais toutes les banques ne sont-elles pas liées? 

Annie Buchwalter : Suite à la crise de 2008, les banques ont été obligées de s’adosser les une aux autres en gros. Donc, la Nef a dû s’adosser au Crédit coopératif qui s’est adossé à BPCE. Le Crédit coopératif n’est sans doute pas plus heureux d’être adossé à la BPCE que la Nef ne l’était d’être adossée au Crédit coopératif. Et peut-être même moins encore.

Le Miradole : Et du coup, ça se passe comment pour toi en tant que sociétaire?

Annie Buchwalter : J’ai suivi tous les webinaires avant l’assemblée générale. Il y en a eu avec le confinement bien sûr. Les sociétaires ont pu poser leurs questions. Ceux qui n’ont pas eu le temps les ont posées par écrit et ont eu des réponses. C’est quand même un minimum.

Le Miradole : Tu as donc l’impression d’être écoutée.

Annie Buchwalter : Au niveau des sociétaires actifs dont je fais partie depuis une année maintenant, on signe un contrat de confidentialité avec la Nef pour devenir en quelque sorte ambassadeur. On a accès à plein de documents auxquels n’ont pas accès les sociétaires lambda. Il y a donc une certaine transparence même s’il y aurait besoin d’un peu d’organisation tout de même.

Le Miradole : Ça reste donc un peu compliqué?

Annie Buchwalter : Oui, tout à fait.

Le Miradole : C’est pas bon signe. Mais tu es devenue sociétaire active au bout de quelques années seulement?

Annie Buchwalter : En 2018, je suis allée à Besançon à une réunion de préparation de l’AG. J’ai discuté avec des gens sur place et j’avais proposé qu’on fasse quelque chose sur Dole. Il m’a fallu un an pour le faire. Ce qui m’a décidée, c’est une conviction profonde que même si la Nef n’est pas parfaite, ça va dans le bon sens. C’est un peu comme le bio. Il y a des gens qui disent: « Ah ben, le bio, y a ci, y a ça. » Mais c’est déjà mieux que le conventionnel, même si ce n’est pas parfait. C’est un peu le parallèle que je fais.

Le Miradole : Et tu es donc la première ambassadrice sur Dole?

Annie Buchwalter : Oui, et sur Besançon, il ne sont que quatre et une personne sur Dijon.

Le Miradole : Quand on parle de banque, on voit tout de suite une structure énorme, alors que quand on regarde les projets que finance la Nef, ce ne sont pas tous de gros projets. Il n’y a pas des masses de fric à se balader. En millions, ça reste modeste.

Annie Buchwalter : La Nef jusqu’à récemment finançait des projets de 25000 euros, ce qui leur demandait un temps énorme par rapport aux sommes traitées parce que c’est pratiquement le même boulot pour un projet à 25000 que pour un projet à 1 million d’euros.

Le Miradole : La faisabilité d’un projet, ça se calcule pareil, même si le risque n’est pas le même.

Annie Buchwalter : Voilà, là, ils ont remonté le plancher à 35000 euros. En théorie, ils ne traitent plus en dessous et ils ont le droit de monter jusqu’à 4 millions d’euros.

Le Miradole : C’est presqu’une banque à taille humaine alors?

Annie Buchwalter : C’est minuscule encore la Nef, c’est vraiment un petit Poucet.

Le Miradole : Moi, j’ai dû en entendre parler sur Thinkerview. 

Annie Buchwalter : C’est encore très peu connu et puis tant qu’ils ne pourront pas proposer des comptes pour les particuliers, ça restera difficile.

Le Miradole : Mais en ligne, ça devrait être plus simple?

Annie Buchwalter : Ça pose des problèmes de gestion informatique. Il faut vraiment un système informatique blindé niveau sécurité parce qu’actuellement, la sécurité, c’est une obsession. C’est plus compliqué qu’on ne le pense et ça demande un investissement en plus.

Le Miradole : Et donc tu as un chiffre pour le nombre de sociétaires?

Annie Buchwalter : 40 000.

Le Miradole : Et à quoi correspond ton rôle d’ambassadrice? Tu te postes au coin de la rue avec une petite brouette de prospectus?

Annie Buchwalter : Non, absolument pas. Je pense que le terme qui irait le mieux est sans doute sociétaire référent. Il s’agit d’organiser une réunion de temps en temps pour faire connaitre la Nef. Essayer de monter un stand dans le cadre de la semaine de la finance solidaire.

Le Miradole : Tu es donc plus dans le cadre associatif que dans le démarchage commercial.

Annie Buchwalter : Ah oui. je ne suis pas là pour casser les oreilles aux gens. On sème, on sème, après il y a des gens qui vont entendre tout de suite, d’autres qui sont prêts à entendre, il y en a qui sont en bascule et il y en a qui n’entendront jamais.

Le Miradole : On arrive au coeur du problème. Il faut quand même avoir un peu d’argent à placer?

Annie Buchwalter : Oui, on ouvre alors un livret Nef.

Le Miradole : Comme un livret de la Caisse d’Epargne? 

Annie Buchwalter : Non, ce n’est pas un livret A. C’est un livret d’épargne classique. Très peu rémunéré, avec la possibilité de donner tout ou partie de ses intérêts à une association qu’on choisit dans une liste.

Le Miradole : C’est donc de l’argent que tu prêtes pour des projets avec une certaine éthique et ensuite tu choisis si tu veux retirer ou pas tes intérêts?

Annie Buchwalter : Voilà, et tu choisis la quotité. Et tu flèches. Institutionnellement parlant la Nef est partenaire de Biocoop et tout récemment du CCFD Terre Solidaire. Et il y a également une plateforme de financement participatif qui s’appelle « zest » et qui est peu connue.

Le Miradole : En feuilletant le prospectus, on lit des noms qu’on aime bien entendre. Là, c’est Négawatt. C’est important parce que quand on parle de banque éthique, ça fait rigoler tout de même. On se dit qu’elles font du blanchiment d’argent comme les autres. Alors que là, tu es sûre que ça va dans une direction qui te plait.

Annie Buchwalter : Globalement. Il y a par exemple des placements à la Caisse d’Epargne Rhône-Alpes car le siège est à Vaulx-en-Velin. Apparemment, elle serait investie dans des projets pas trop méchants, on va dire. Mais je ne suis pas non plus allée regarder de plus près.

Le Miradole : Par rapport aux Cigales par exemple, la Nef  ne fait pas de micro-crédit?

Annie Buchwalter : Non, la Nef prête maintenant presqu’uniquement à des entreprises et pas à des particuliers.

Le Miradole : Pour conclure, ça permet d’avoir de l’argent et de ne pas se sentir trop capitaliste?

Annie Buchwalter : Ça donne bonne conscience. (Rires) Plus que ça tout de même. Sans être Rothschild, ça permet que mon argent serve à quelque chose d’utile.

 

Contact:  Annie Buchwalter, 06 04 04 69 43 

 

Par ailleurs, le Miradole dans sa grande perfidie avait envoyé par mail une question à propos des rapports supposés entre la Nef et l’anthroposophie, des relations qui si, elles étaient avérées auraient soulevé d’autres questions. Nous vous livrons la réponse telle quelle : 

 

« J'ai posé la question du lien entre la Nef et l'anthroposophie hier soir, et Annette Cazaux, sociétaire active de la première heure que je considère comme une "mémoire vivante" de la Nef, m'a répondu les points suivants : 

  • - l’association la Nef a été fondée en 1978  il y a 40 ans par des anthroposophes qui souhaitaient pouvoir financer l'agriculture bio et biodynamique et les écoles alternatives à qui les banques refusaient le crédit. En 1988 pour se conformer à la nouvelle législation sur la gestion de l'épargne elle s'est transformée en société financière adossée au Crédit coopératif qui l'a soutenu dans le projet de devenir banque en apportant au capital et en proposant des comptes courants et des livrets d'épargnes dont l'encours revenait à la Nef.  
  • - Une fois la société financière créée, l'association a pu continuer à recevoir des dons en particulier grâce au partage d'intérêts dédiés à la Nef, proposé sur les livrets d'épargne du Crédit Coopératif. Elle a ainsi accompagné sous forme de dons, des projets dont les objectifs étaient à forte plus-value sociale et environnementale qui ont fait appel à eux, comme par exemple Terre de Liens, les habitats groupés et coopératifs, des associations culturelles. Depuis que ces comptes courants et les livrets ont été supprimés (en 2016). L'association a créé un fonds de dotation «  Germes  »

- Maintenant que la société financière a pu ouvrir ses propres livrets, les épargnants ont eu le choix entre les différentes associations partenaires pour partager leurs intérêts. En 2000, la société financière de la Nef a été accusée d'être une secte par la Mivilude mais elle a bénéficié d'un non-lieu.

 

Pour ma part, je suis assez sensible au côté sectaire ou gourou, que je n'ai pas perçu dans les 4 webinaires (NDLR: séminaire via le web) de préparation à l'AG d’1 heure chacun où les sociétaires pouvaient poser leurs questions (entre 45 et 80 participants par webinaire). Je pense en revanche qu'il existe un risque bien réel d'affaiblissement du côté coopératif de la société coopérative La Nef au fur et à mesure qu'elle va grossir. Mais pour l'instant, il y a du monde qui veille au grain parmi les sociétaires actifs. La Nef reste à ma connaissance la seule banque qui publie chaque année la liste complète des prêts débloqués l'année précédente. Tu la trouveras en cliquant sur ce lien : 

 Je te laisse apprécier le lien potentiel avec l’anthroposophie. » 


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