Mode sombre

Coucou c’est vos colleuses, E et F, celles qui placardent les murs de la ville avec leurs revendications. Des slogans pour faire entendre nos voix qu’on partage sur Instagram avec la page @collages_feministes_dole. 

Depuis la dernière fois qu’on a passé une tête par ici, on a beaucoup grandi. En nombre d’abord puisqu’on a réussi à trouver de braves âmes prêtes à nous rejoindre et à crier sur les murs avec nous. Des âmes qui en bavent aussi, écorchées, révoltées, décidées à se retrousser les manches et à mettre les mains dans la colle au fin fond de la nuit.

Aux séances de collages, se sont alors ajoutées de vraies séances de préparation pendant lesquelles on refait le monde autour d’un thé, d’un café ou d’un jus de fruit. On choisit quelles thématiques aborder, selon l’actualité, l’humeur du moment et les personnes présentes autour de la table. En plus du collage simple en noir et blanc, on a adopté l’illustration, le marquage au sol à la craie, les stickers…

Sur ces nouveaux supports, de nouveaux slogans.

Quand Jean-Luc promène Bambi, sa teckel à poils ras dans la rue Granvelle, il se demande bien ce que ces feuilles collées au crépis du mur veulent dire.  

‘’Ade... 

Adelph…

Adelphité ?”

Jean-Luc est le plus fort du bureau aux mots croisés, et il a eu 18 à son bac de français. Pourtant, il ne sait pas ce que ça veut dire. Nous non plus, il y a peu, on ne savait pas.

 Adelphité, ce mot magique qui, en remplaçant Fraternité dans la devise nationale, mettrait tout le monde au même niveau. C’est le nom grec qui rassemble les frères et les sœurs. Parce que c’est ça le féminisme, contrairement à ce que certain.e.s aimeraient à penser, on ne cherche pas à placer Sororité au-dessus de Fraternité, saperlipopette, mais au même niveau. 

Bambi tracte son maître Place Nationale, un ‘’Vive les poils’’ apparaît sauvagement au détour d’une poubelle. Les poils c’est un grand sujet. On en a toustes, mais vous n’êtes pas sans savoir qu’une “vraie femme”, à notre époque, doit être lisse comme un dauphin de la tête aux pieds, épilée des orteils aux aisselles, tout le temps. La repousse qui fait mal, les poils incarnés, les irritations : quand on décide de ne plus se plier à ce courroux sexiste, on nous juge, on nous regarde, on nous fait des remarques. Sois belle et tais-toi. L’injonction de rester glabre n’est que la conséquence d’une volonté de sexualiser le corps des femmes, sous toutes les coutures. Une obligation parmi tant d’autres. La preuve s’il en faut encore, que chaque partie de notre corps doit correspondre à un idéal, que nous sommes scrutées et jugées, sexualisées.

“Oh bah dis donc Mathilde, t’as vu un peu tes jambes, on dirait ton frère”, dit le tonton, au bout de la table, son canon à la main, les poils de torse tout frisés et plein de sueur dépassant de sa chemise ouverte. 

Alors à tous les tontons misogynes de la terre, et à celleux que le patriarcat a matrixé en profondeur : qu’on enlève nos poils ou pas, c’est notre corps, c’est notre choix. 

Après cet effort éreintant, le maître de Bambi aimerait bien s'asseoir un moment au Cours Saint-Mauris. Mais il s’aperçoit qu’une affiche recouvre son banc préféré. “Masques gratuits, tampons aussi”. Ce slogan, il parle de précarité menstruelle. Parce que chaque mois (même pendant les vacances …) beaucoup de personnes réglées n’ont pas les moyens d’acheter de quoi se protéger. Ne parlons même pas des personnes SDF pour qui se procurer des protections relève de l’impossible, ou des adolescent.e.s qui n’y ont pas accès et gardent tampons et serviettes beaucoup trop longtemps, entraînant des risques sanitaires.

Exclusion sociale, tabou, honte … Tout ça ne devrait plus exister. On ne devrait pas “avoir les moyens” pour s’acheter de quoi absorber ce que la société ne veut pas voir, ce que les publicitaires colorent honteusement en bleu pour ne pas heurter les sensibilités. Une solution existe pourtant bel et bien : L’Ecosse. L’Ecosse est le premier pays au monde ayant voté pour la gratuité des protections périodiques. Soyons comme l’Ecosse ! 

Il se fait tard. Jean-Luc rentre de sa promenade, éberlué, en pestant. Mais Bambi, elle, a tout compris. 

A bientôt sur vos murs, E et F. 

PS : Nous écrirons une lettre d’excuses à tous les Jean-Luc de France. 


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