Mode sombre

Cet article a été publié pour la première fois dans l'édition papier d'octobre.

Soyons clairs. Personne parmi nous n’a les moyens de se prendre une prune à 135 boules. Le masque nous protège donc des topics, c’est un fait scientifique qui fait consensus dans l’ensemble du corps social. En revanche, la question de la légitimité sanitaire de son port multiplie les accrochages interpersonnels et les prises de becs entre amis. En matière de croyance, je laisse pourtant à chacun le soin d’évaluer la toxicité éruptive de ses postillons. 

Car ce qui nous intéressera ici, c’est l’immunité des tenants de la versatilité de la propagande officielle, vu que, le 23 septembre dernier, son ex-porte-parole participait à une «table ronde sur la communication de crise» au Sénat. La défense de Sibeth Ndiaye consiste à répéter « qu’à ce stade, compte tenu de nos informations et jusqu’à nouvel ordre, nous n’avions pas les éléments pour… » et patati et patata. Elle cause, elle cause. On apprend à plusieurs reprises qu’elle est à tu et à toi avec les journalistes, que la transparence a été son souci de tous les instants, elle cause, elle cause… et puis soudain, c’est le dérapage bête et brutal: « Faire de la politique et gouverner, c’est choisir et c’est parfois choisir la moins mauvaise des mauvaises solutions. » (1h06min). Mais personne ne moufte derrière son masque. Et ça repart.

Comme elle est sous serment, on lui demande si elle a menti au cours de la crise pour protéger le président de la République comme elle avait annoncé qu’elle serait prête à le faire lors de sa prise de fonction, et bien évidemment, elle cause, elle cause. On lui met le nez sur les défaillances d’une communication abusive, et elle cause, elle cause. On espère un peu d’autocritique, et elle cause, elle cause. Elle cause et elle répète ce qu’on lui a préparé car tout ce babillage est bien orchestré, enregistré et interprété presque sans couac. Et pendant 2 heures 40, elle tient bon, Sibeth, elle noie le poisson à merveille, elle en a à revendre « des éléments de langage à destination de nos écosystèmes » (2h22min16s). Sa famille ne lui a pas payé des études de com’ en vain, l’UNEF et le PS ont peaufiné le travail. 

Le « défaut d’acculturation scientifique de la population française »  (traduisez : ils sont trop cons pour comprendre une explication sur les virus) a fait tiquer les sénateurs mais on est entre gens qui savent se tenir et après tout, c’est une table ronde, pas un tribunal, où Sylvie Vermeillet, notre sénatrice locale, a brillé par son effacement. Ces commissions parlementaires sont des écrans de fumée. Il n’en sortira rien parce que ces pépères et ces braves dames n’en ont au fond pas grand chose à foutre que le gouvernement ait fait et raconté n’importe quoi pendant la crise de la covid-19. Les sénateurs sont en fin de parcours à tous les niveaux et vont laisser aux jeunes générations un monde de merde, un État en piteux régime et un système social saccagé par les actionnaires. Ils prétendront avoir fait leur possible en touchant leur retraite jusqu’à 100 ans.

Je n’ai rien de particulier contre Sibeth Ndiaye. Elle représente simplement la caste des nouveaux héritiers bien-nés incompétents et dévoyés. Elle s’excuse d’avoir parfois eu des mots maladroits quand on la soupçonne fortement de mentir en toute connaissance de cause sur ordre du gouvernement. 

Je crains que la suite des évènements ne soit du même acabit alors que certains médecins menaçaient il y a quelques semaines encore de lancer des procédures contre l’État, le gouvernement, le ministre de la Santé et les directeurs d’ARS. Il faudra rendre des comptes, entendait-on sur les réseaux sociaux. Mais la casse continue dans la sidération quasi-générale. Alors quoi faire devant le mensonge d’État permanent, celui qui consiste à s’absoudre des pires bévues sans craindre les magistrats trop occupés à casser du Gilets jaune ?

D’abord, mettons systématiquement en doute l’honnêteté des dirigeants. S’ils voulaient notre bien, ils arrêteraient de massacrer la petite économie au profit des multinationales, de sacrifier la jeunesse, son éducation et son avenir sous prétexte de ne pas engorger des services de réa que les coupes budgétaires atrophient, de brûler notre planète par les deux bouts tout en peignant la girafe en vert, de s’enrichir en appauvrissant le pays et de préparer la place de l’épouvantail FN au second tour. 

Dans la bouche de Sibeth Ndiaye comme dans celle de Macron, Castex, Véran et toute la bande, les mots n’ont plus de sens mais sèment systématiquement la pagaille et le désarroi, et à ce jeu-là, ils sont très forts. Mais on mérite tout de même mieux que cette tripotée de communicants sans cervelle. Il ne faut qu’aucun de tous ces parasites cyniques ne puisse plus jamais dire ou laisser dire à nos frais que « faire de la politique et gouverner, c’est choisir la moins mauvaise des mauvaises solutions. »

Portons donc le masque pour éviter les prunes là, et seulement là, où la police le rend obligatoire. Arrêtons de prendre des gants pour critiquer les décisions arbitraires et bidons avec gel hydroalcoolique à tous les étages. Ne nous habituons pas à un régime ubuesque, lugubre et angoissant. Offrons à nos vieux une fin de parcours digne et joyeuse sans les parquer dans des mouroirs aseptisés. Retrouvons les gestes barricades et l’agitation surprise. Le masque protège la macronie qui distille l’anxiété. Il est devenu l’accessoire indispensable des contradictions du pouvoir.

Christophe Martin.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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