En relisant le K (contact) de Dino Buzzati
Sans me vanter, mais un peu tout de même, je suis très fort pour les jeux de mots à la con. Le K (contact) m'est venu sous la douche en Bretagne. Pas étonnant. Ça parle de la mer. L'occasion était trop belle d'écrire un petit article sous ce joli putaclic de titre.
Le K de Dino Buzzati est un must de la nouvelle philosophique à tiroirs. On l'étudie dès la troisième et on prend sa retraite en continuant à lui trouver d'autres significations suivant les étapes de la vie qu'on traverse. Je vous la fais courte, mais pas tant que ça, et à ma façon.
Stefano Roi a douze ans, ne porte pas encore de masque sur la plage parce qu'il fait plus jeune que son âge, et, pour son anniversaire, il demande à son marin de père pour l'accompagner sur son voilier. Au loin, en mer, il aperçoit une forme noire qui semble les suivre et que son père identifie comme un «K» contact. Voilà ce qu'il en dit : « C'est le monstre que craignent tous les navigateurs de toutes les mers du monde. C'est un squale effrayant et mystérieux, plus astucieux que l'homme. Pour des raisons que personne ne connaîtra peut-être jamais, il choisit sa victime et une fois qu'il l'a choisie, il la suit pendant des années et des années, toute la vie s'il le faut, jusqu'au moment où il réussit à la dévorer. »
Pris de panique, comme s'il avait lu un communiqué de Santé Publique France, le père de Stefano lui interdit de courir les mers comme il en avait l'intention. Malgré cette mise en garde paternelle et en dépit de toutes les mesures que prennent les autorités sanitaires, pardon... parentales pour faire de lui un terrien amateur de terre ferme, de champignons et de tartiflette, l'adolescent reste attiré par l'océan et dès qu'il peut, il observe la mer. Mais à chaque fois, il aperçoit au large son K qui l'attend. A 22 ans, après la mort de son père, il décide finalement de suivre la même carrière que lui et de faire fortune dans la marine marchande. Il vit alors la peur incessante du monstre qui lui pourrit la vie. « Mais Stefano ne réfléchissait pas. La menace continuelle qui le talonnait paraissait même décupler sa volonté, sa passion pour la mer, son ardeur dans les heures de péril et de combat . » Sentant la mort approcher, il décide d'aller affronter ce danger qu'il a fui toute sa vie. Lorsqu'il se retrouve finalement seul face à lui, le K lui annonce alors (NDLR : c'est un peu comme le Korona Virus, ça cause en langage chiffré ) qu'il ne le poursuivait pas pour le dévorer, mais pour lui remettre une petite Perle de la Mer qui « donne à celui qui la possède fortune, puissance, amour et paix de l'âme. » Mais c'est trop tard pour Stefano. Ah mince ! C'est ballot ! Je spoile pas toute la fin mais vous savez l'essentiel.
Ah non, j'oubliais : avant d'aller voir le K, Stefano était « vieux et amèrement malheureux, parce qu’il avait usé son existence entière dans cette fuite insensée à travers les mers pour fuir son ennemi. Mais la tentation de l’abîme avait été plus forte pour lui que les joies d’une vie aisée et tranquille. » En d'autres termes, Stefano est plein aux as mais il a raté le bonheur, rongé par la peur irrationnelle du requin à ses trousses et le besoin de lui échapper.
Remplaçons maintenant le K par le SARS-CoV-2 et voyons ce que ça donne. Nous sommes dans le rôle de Stefano et son père, c'est l'establishment, les institutions politiques et économiques, les dirigeants et tous ceux qui les servent. Le virus avait une leçon à nous offrir. Mais Macron l'a désigné comme l'ennemi invisible et nous avons fui le face à face avec le coronavirus par le confinement. Là encore, il y avait un espoir. Mais les libéraux fascistoïdes au pouvoir ( économiquement dévoués à la loi du marché et politiquement autoritaires et iniques avec ceux qui n'en veulent plus) n'ont une fois de plus rien compris à l'Histoire et nous oblige à fuir devant le virus comme s'il nous voulait du mal. Ils n'ont en rien changé leur vision du monde : tout doit passer par le marché, d'ailleurs Stefano fait fortune dans le commerce en vivant comme un trader zombie. Mais le grand couillon passe à côté de la vraie vie en écoutant les conseils de son père qu'il perd pourtant assez jeune. Il vit la peur au ventre et l'angoisse de la mort trace son destin pathétique et solitaire. Stefano est riche à millions mais il ne s'occupe de son K que trop tard et apprend le secret de la vie juste avant de mourir. C'est assez con mais on en est là.
Le virus avait quelque chose d'essentiel à nous dire et nous avons écouté Macron. Je vous laisse découvrir la fin de la nouvelle par vous-mêmes.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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