Le Bataclan, 5 ans après
Quand j'ai proposé un article pour les 5 ans des attentats du Bataclan, je ne pensais pas que l'actualité nous rattraperait. Discours sur le séparatisme, attentats, boycott de produits français, accusations visant « la gauche » par le parti présidentiel qui se disait il n'y a pas si longtemps « en même temps de droite et de gauche »... Pourquoi persévérer à parler des attentats du 13 novembre au risque de participer à cette diversion et à cette psychose qui s'ajoute à celle du virus ? Justement, parce que donner un témoignage à la fois proche et distant peut contribuer à ne pas dissoudre les victimes dans la commémoration officielle et les commentaires déplacés.
Le choc qui a suivi l'attentat du 13 novembre 2015, je l'avais vécu comme la plupart de mes pairs le premier jour. Et puis, ce fut différent. Différent parce que parmi ces victimes toutes ne m'étaient pas anonymes. Ce membre de ma famille, je l'avais perdu de vue pendant plusieurs années. Il avait sa vie à Paris. Ce qui était troublant, c'est que nous avions repris contact six mois plus tôt... Il partageait alors son road trip en Australie, et nous avions échangé depuis quelques messages. Je le connaissais musicien, je l'avais redécouvert voyageur curieux de tout et amateur de bières. Son voyage s'est finalement arrêté près de chez lui, alors qu'il assistait à un concert.
A partir du moment où les noms et les photos des victimes ont circulé, moi non plus je n'étais plus anonyme et des comportements dans mon entourage ont changé. Il y a bien sûr eut les soutiens d'usage, impuissants mais sincères, de personnes qui ne savaient pas quoi dire dans ces circonstances et ne savaient parfois plus s'ils s'autorisaient à me parler. Il y avait ceux qui voulaient vivre le drame dont tout le monde parlait par procuration, et pour eux, j'étais une procuration à leur portée : un alibi à leur mélancolie ou un outil à leur masochisme. Il y avait aussi ceux qui voyaient dans l’événement une justification à leur haine et qui pensaient trouver en moi un déversoir réceptif à leurs conneries : clichés islamophobes, confusionnisme et fake news. Il y a de quoi désespérer de l'humanité quand ton moral n'est pas bien haut... Et puis des personnes de confession musulmane qui, en plus des condoléances, se sentaient obligées de rappeler que « l'islam ce n'est pas ça ». L'assassinat de masse, ce n'est effectivement pas l'interprétation la plus consensuelle de la religion, heureusement ! Je me rappelais quand même d'un « Charlie Hebdo, ils étaient allés trop loin aussi !» prononcé quelques mois plus tôt par une de ces personnes.
Chacune des victimes de l'attentat n'était qu'un des représentants anonymes dont le massacre en nombre allait faire le symbole brisé de "la France"... Quand le deuil familial est aussi un deuil « national », la foule innombrable des inconnus se mêle aux proches, tout comme des officiels, le préfet, représentant "l'État républicain". J'étais partagé entre de la reconnaissance pour ce soutien de la part d'inconnus et de la gêne d'une forme d'impudeur à les voir autour du corps d'une personne qui leur était inconnue tant qu'elle était vivante. "La France", "la République", "la nation", chacun a finalement mis son étiquette sur ces êtres humains pour en faire un symbole qui lui convient.
Quelques mois plus tard, la belle saison était l'occasion de rassemblements plus ou moins familiaux. Une cousinade du côté de ma belle-famille avec plein de gens sympathiques ainsi que "tonton Benito". Je ne dis pas "tonton Adolphe" car il emploie déjà ce terme pour parler de quelqu'un d'autre. Sur le ton de l'humour, ça va de soi... on peut dire tellement de choses en invoquant l'humour... Tonton Benito militait, et continue à être limité, pour un parti qui n'est donc pas si dédiabolisé qu'il le prétend. Je cherchais à m'en éloigner pour préserver l'ambiance festive mais comme il hurle au lieu de parler, j'ai pu profiter de ce que je crois être la plus "belle" réflexion sur ces attentats dans une ville "remplie d'étrangers" qu'est Paris (et ou le FN était à 6%). Ses mots sont restés gravés dans ma mémoire : "C'est que des "bobos " qui sont morts dans les bars et au Bataclan. C'est bien, ils vont peut-être comprendre, ça leur ouvrira les yeux!". Affligeant d'indécence.
L'anniversaire des 5 ans arrive. Un anniversaire dans une France « sous cloche pandémique » dans laquelle les frustrations vont s'exacerber. Si quelqu'un vous parle des victimes d'attentats passés ou futurs comme un alibi à sa mélancolie, comme une justification à sa haine, comme un contre-exemple de son livre sacré, comme un symbole de son pays, comme d'une opportunité à son calcul politicien... répondez ou ne répondez pas, mais pensez bien que ça, c'est ce qu'elles sont pour lui, pas ce qu'elles étaient.
N.G.
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La Rédac'
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