Mode sombre

Cet article a déjà fait l’objet d’une publication dans la version papier de décembre… et ça s’est pas amélioré depuis.

Dans un récent communiqué de presse, Lucien, mon ami et compère, mais néanmoins rédacteur en chef, me fait la grâce de m’accorder le titre de journaliste. Merci, très cher, merci mais… c’est un statut que je ne revendique pas. Ce n’est pas une question de carte de presse pour laquelle je ne fis ni ne ferait jamais de demande. Je ne suis pas particulièrement un reporter de terrain (même si dans les années 90, j’ai publié deux articles de fond sur la pêche et la marine marchande en Irlande), je suis tout juste un pigiste de quartier qui aime bien filer un coup de pouce aux assos du coin et promouvoir les spectacles amateurs (quand y en a !). 

Pour Libres Commères, je fais plutôt dans le genre chroniqueur gonzo, un peu comme Alfred Jarry avant moi : un fond d’info, une bonne dose de vie, une tranche de déconn’, une giclée de provoc’, une pointe d’érudition pédante, et une pincée de foutage de gueule. Bien agiter et servir frais sur le comptoir du web ou à emporter en feuille de chou. On ne peut pas dire que c’est de la déontologie journalistique pur jus et je m’en fous. J’ai un rapport assez personnel avec la vérité, la morale, la langue française, la réussite sociale et les institutions. Et puis je ne suis pas là pour vous parler de moi mais de journalisme. 

A Libres Commères, l’idée, c’est de se raconter sans se la raconter et d’analyser ce qu’on connait autour de nous, d’être alertes à dépister le truc à faire savoir, à flairer le zigouigoui qui dépasse et à tirer dessus pour dévoiler aux lecteurs une partie des dessous de la cité. On ne s’épanche donc pas sur nos états d’âme, on grattouille sous le vernis des choses. On fait parler notre quotidien, et puis l’avenir. Le nôtre. Parce que nous sommes persuadés dans cette rédaction que notre futur à tous passera par l’intelligence collective, et ça commence par la collecte d’intelligibilité(s). Chacun comprend le monde à sa manière et c’est enrichissant d’écouter celui qui ne pense pas comme nous. C’est même nécessaire.

Le journaliste, lui, est au service de la vérité des autres. Il s’efface derrière leurs propos. C’est un peu couille-molle (phronesis chez Aristote) mais c’est le métier qui veut ça. Si une déclaration met en cause une personne, vous l’appelez et vous lui demandez de réagir. C’est comme dans les manifs : le chiffre selon la police d’un côté et celui des organisateurs de l’autre. Et hop, vous pondez rapidement un article dit « moyen » en taille, avec parfois un zeste d’ironie, et vous l’envoyez rapidement à la départementale où le secrétaire de rédaction rabote la photo, shunte votre blague au passage et vous refourgue un titre qui n’est pas le vôtre. On reste en surface parce que creuser ça prend du temps et que dans les petites villes de province, le sol est dur et les affaires des notables bien enterrées comme les canalisations, la fibre optique et le patrimoine des élus. 

Le vrai boulot de journaliste d’investigation prend du temps, réclame du risque et quand on n’est pas payé pour et pas protégé par un gros titre et une hiérarchie, on se demande toujours si le jeu en vaut la chandelle, si les emmerdes à venir seront contrebalancés par un soutien de l’opinion et une utilité publique. Parce que c’est toujours du côté du pouvoir et du fric que se font les cachotteries et se manigancent les petits complots entre amis, et ces messieurs-dames n’ont pas envie qu’on les dérangent.

C’est là qu’on a besoin de l’opposition politique, de tous ceux qui se sont engagés à empêcher le pouvoir de ronronner ou de déverser son fiel sur les manifestants, les Gilets jaunes, les gauchistes ou les syndicalistes (c’est un exemple pris au hasard de l’actualité récente !). On a aussi besoin des intellectuels, des intellos à la sauce Lordon : « Etre un intellectuel, c’est prendre parti pour ce qui déconcerte l’ordre social, se mettre du côté des forces de l’effraction, contre les intellectuels pour médias ». C’est peut-être bien ça que je suis : un intello poil à gratter, un trublion ascendant vierge, un gaucho bouffon comme dirait Fabrice S. qui ne m’aime pas beaucoup mais que je ne désapprouve pas sur ce coup-là. 

Et on en revient donc à la proposition de départ. Merci, Lulu, mais je suis bien trop pas sérieux pour faire un bon journaliste. L’expérience et le savoir-faire ne font rien à l’affaire. Quand on est con, on est con! Forcément trop con… et c’est à ça qu’on me reconnait.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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