Quand l’extrême-droite sert à quelque chose…
Jean-Marc Four, le chroniqueur de France Inter de 19 heures moins 5, a une fois encore dérapé. Bon, à sa décharge, il dérape sur les marches du Capitole de Whouawh-shington et il n’est pas le seul. « La menace d'extrême droite va planer longtemps sur les Etats-Unis ». Tu parles d’un titre pour plomber l’ambiance juste avant de passer aux infos et à table. Je vous fais grâce du gros de la chronique profondément alarmiste, bien-pensante et putaclic. Les miliciens ne sont pas nombreux mais ils sont lourdement armés, les leaders recrutent dans l’ombre, la tension monte à Washington, la sécurité est renforcée pour la prestation de serment, « on a cette sensation inquiétante que tout peut arriver » et tout le barnum de la chochotte parisienne terrorisée par les bouseux folklo qui nous ont refait le coup des Black Panthers au Capitole de Sacramento en 1967. Tout le monde en parle!
Et là vient le moment de la sur-analyse ultra-profonde du mec qui sort d’Harvard par le vide-ordures pour fraude aux examens.
« Il y a deux façons d’analyser ce qui s’est passé lors de l’invasion du Capitole il y a une semaine. Option 1 : c’était le crépuscule de 4 ans de Trumpisme, et l’électrochoc va remettre les Etats-Unis sur la voie d’une démocratie pacifiée. Option 2 : l’inverse. Ce n’était pas la fin, mais le début de quelque chose, le début d’un cycle de violence. Ces dernières années, le terrorisme d’extrême droite n’a cessé de prendre de l’ampleur dans le pays. Selon plusieurs études internationales, il est désormais à l’origine de 90% des assassinats ou des complots liés au terrorisme. L’extrême droite est devenue, plus que l’islamisme radical, la menace numéro 1 aux États-Unis. »
Si c’est pas la fin, c’est le début d’autre chose. Stop ou encore !? Quoi qu’il arrive, ce sera la faute de Trump ! Ouais mais encore !?
« La prochaine fois, les putschistes en herbe ne se contenteront pas de poser comme des clowns devant le buste de George Washington. Ils chercheront vraiment à prendre le pouvoir. »
Les voilà donc les putschistes pour de rire. Ils viennent faire les cons à Washington sans qu’on les voit venir, alors on leur ouvre la porte une fois qu’ils sont là. La NSA écoute ce que Hollande chuchote à Julie Gaillet au téléphone à 5000 kilomètres de là et personne au FBI n’entend arriver un type déguisé en bison et des barbus échevelés échappés du Sud profond. Putschistes en herbe? Dans un pays aussi surveillé que les États-Unis, quelques types décidés à « prendre le pouvoir » viennent faire le buzz à visage découvert: on peut douter du sérieux de l’opération. Ça manque de bidasses et de char d’assaut, ce putsch d’opérette! On a quand même plus l’impression d’avoir affaire à un show pour les caméras qu’à une prise de pouvoir par la force, non? Et là, Twitter et FaceBook n’ont pas censuré. Que la force de l’image et de l’audimat soit avec toi!
Mais Jean-Marc Four ne s’intéresse pas à cet aspect de l’affaire. Il est bien élevé et franchement moraliste, éditorialiste, pas enquêteur. Le voilà donc qui essaye de nous faire croire que le « modèle démocratique » états-unien est menacé « parce qu’ils (NDLR: les fachos suprémacistes) sont organisés, parce qu’ils ont leurs théoriciens qui vont tirer des enseignements de la semaine dernière. Et leur but, c’est aussi de déclencher de la violence en retour, pour mieux entrer dans une spirale de guerre civile. » Ah, c’est vrai que tout le monde est armé là-bas! Mais pour la bonne cause puisqu’il s’agit de pouvoir défendre la constitution au cas où…
« Quand bien même il ne se passerait rien de grave dans les jours qui viennent (ce qu’on va souhaiter), il ne faudra pas se dire que le calme est revenu. Les années qui viennent sont porteuses d’un vrai risque de violence politique aux États-Unis. » On attendrait là qu’un véritable analyste de politique internationale qui a pignon sur les ondes, à une heure de grande écoute, étaie un peu son point de vue, nous explique un minimum d’où vient cette soi-disant violence des putschistes en herbe, ces débordements insupportables qui poussent Macron à mettre son grain de poudre de perlimpêtard devant le drapeau américain. Mais non rien… comme pour l’islamisme radical, on n’aura jamais droit à un quelconque début d’explication des vrais causes de tout ce bordel. Ah, oui mais vous comprenez, cher auditeur, Jean-Marc Four n’avait pas le temps de développer… Oui, bien sûr, mais il a bien le temps et toute latitude pour balancer de l’anxiété bien calibrée dans les oreilles du coeur de cible de France Inter. Du vrai boulot d’antifa de salon, peut-être même sincère, mais totalement à côté de la plaque. En jouant les vierges effarouchées par l’extrême-droite états-unienne (et peut-être française demain, hein… qui sait!?), Jean-Marc Four sert la soupe à Joe Biden, au clan Clinton, le parti de la démocratie apaisée dont a besoin le plus grand pays libre de la planète pour nous montrer à nouveau le chemin. Voilà le véritable but de cette chronique aux idées décidément trop courtes : utiliser un coup d’éclat (pas un coup d’état, faut pas confondre!) de l’extrême-droite pour agiter le chiffon du risque fasciste grand guignol bien caricatural, cousin Adolf chez l’oncle Sam !
« Le principal ennemi de la démocratie américaine, c’est désormais « the enemy within », l’ennemi de l’intérieur. »
Quand je pense que la redevance audiovisuelle finance une propagande pareille! On en vient même à s’étonner que le mot complotiste n’ait pas été prononcé, tellement cette chronique est vide et orientée : on dirait un tract de LaRem !
« Et certains journalistes qui vont s'équiper de gilets pare-balles. » Et les nôtres, ils viennent sans casque ni masque antilacrimos aux manifs? Sors de ton studio, Jean-Marc, et ton putsch paramilitaire, tu le trouveras en bas de chez toi!
Résumons-nous. A 18h55, sur une radio publique, Jean-Marc Four nous annonce que la seule chance pour les États-Unis d’éviter la guerre civile, c’est l’instauration d’un régime à la hauteur du péril: totalitaire mais soft (merci l’idéologie dominante, les médias en service commandé, la technologie et le FBI), autoritaire mais pas trop (merci le parlementarisme de surface qui fera passer la pilule bleue). Et pour que ça marche, il faut une opinion publique anxieuse au bord de la crise de paranoïa : l’ennemi de l’intérieur… on voudrait déclencher une crise d’hypocondrie cancéreuse, qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Autant que le Covid-19, ce genre de chroniques contribue à faire flipper les électeurs et à les faire voter contre leurs véritables intérêts. Aujourd’hui les States… et demain la France.
Dans les années 80, Mitterrand a créé l’épouvantail Le Pen pour qu’on ne regarde pas là où il faut, qu’on ne farfouille pas dans les racines économiques et néolibérales du problème. On a donc eu « Touche pas à mon pote » pour occulter la « parenthèse libérale » des socio-démocrates PS. Les clintoniens ont attisé l’incendie « Black Lives Matter » pour mieux tacler Trump sur le racisme endémique de la société américaine et noyer dans la question raciale le sordide projet économique de leurs copains du Bilderberg. A présent Biden va jouer la carte anti-fasciste, celle de la force publique au service de la démocratie. Après les communistes, les musulmans, les Russes, le virus, voilà les fachos, l’ennemi de l’intérieur, le confédéré fédérateur, le néo-nazi KKK QAnon bien pratique au final. Et c’est cette petite musique qu’on entend déjà en France : pour l’instant, c’est le Covid-19 qui sert de prétexte au couvre-feu. Demain, la grande bourgeoisie au pouvoir trouvera un autre amuse-foule, une autre diversion pour masquer ses avancées, un autre ennemi invisible (ou pas d'ailleurs). Macron a choisi son camp, celui de la peur orchestrée au service de ses employeurs, les vrais, pas nous. Ne nous trompons pas en choisissant le nôtre, de camp… même par défaut. Et si aux prochaines élections, il n’y a pas le choix, refusons au moins de faire celui que Jean-Marc Four ne manquera pas de nous demander de faire.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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