Mode sombre

On ressort d’une grande oeuvre littéraire avec plus de questions qu’en ouvrant le roman. C’est peut-être même à ça qu’on les reconnait, les chefs-d’oeuvre. Bon, je dis ça mais en fait, je n’en sais rien. Je n’ai pas retenu grand chose de mes études de lettres. J’y ai découvert Gombrowicz, Faulkner, Alfred Jarry, Le Nom de la Rose et Dune. Enfin Dune, c’est parce qu’il y avait parmi nous un fêlé de science-fiction très persuasif.

Pour Martin Eden, je crois bien que j’avais vu une adaptation pour la télé. La fin m’avait marqué. J’avais acheté le bouquin en Folio et sans doute lu trop vite. Je ne m’en souvenais plus. Je suis retombé dessus à Noël. Sur ma liseuse où j’ai chargé des titres au gré des propositions gratuites.

Martin Eden, c’est un roman de Jack London. Pas un roman d’aventures comme Croc-Blanc ou L’Appel de la Forêt mais un roman d’apprentissage et de désenchantement, celui d’un jeune marin qui sait tout juste lire au début du roman. Issu d’un milieu très populaire à Oakland, sur la baie de San Francisco, au début du XXème siècle, sans éducation mais beau gosse et bien bâti, Martin Eden est invité chez les Morse après avoir secouru l’un des membres de la famille qui allait se faire méchamment casser la gueule. Pas vraiment à son aise chez ces bourgeois qu’il n’est pas habitué à fréquenter, Martin ne s’y montre pas particulièrement à son avantage sauf lorsqu’il parle de ses voyages avec une fougue qui capte l’attention de la famille. Mais Martin doit faire attention à son vocabulaire, à son accent, à sa grammaire, contenir les jurons qui lui viennent à la bouche. Il s’y efforce avec d’autant plus d’attention qu’il est tombé raide amoureux de la fille de la maison, Ruth, dès qu’il a posé les yeux sur elle et qu’elle lui a adressé la parole. Cet évènement marque un tournant dans la vie du jeune prolo : il décide de se consacrer à l’étude et va lire tout ce qui lui passe entre les mains dans l’espoir d’être un jour digne de Ruth Morse qu’il idéalise à outrance. Faisant rapidement des progrès stupéfiants, Martin réussit à capter l’attention de la jeune fille qui prend en main un bout de son éducation: elle est un peu plus âgée que lui et suit des études de lettres. Il va alors se découvrir une passion pour la littérature et se lancer lui-même dans l’écriture. Martin fait face à de nombreuses difficultés notamment matérielles et London n’est pas avare en détails du quotidien. Martin fait preuve d’une volonté sans faille et d’une détermination quasi surhumaine. Il envoie ses récits à tous les journaux et revues d’Amérique. Personne ne veut de ses histoires, même si Martin sent qu’elles valent largement celles qui sont publiées. Il tire de ses déconvenues des leçons pour s’améliorer encore et encore. On sent que l’esprit du jeune écrivain atteint des sphères intellectuelles bien au-dessus de l’univers béni oui oui que Ruth lui a fait découvrir. C’est pourtant chez les Morse que Martin va faire la connaissance de celui qui va changer la trajectoire de sa destinée. La rencontre de Martin avec Brissenden est en effet déterminante: cet érudit décadent, alcoolique et mal en point apprécie enfin ses écrits à leur juste valeur, bien que selon Martin lui-même, ce que Brissenden écrit est bien au-delà de ce qu’il pourra jamais écrire. Martin travaille toujours comme un forçat des lettres, dévore comme un rat de bibliothèque. Il est particulièrement impressionné par la pensée d’Herbert Spencer, un sociologue et philosophe libéral, au sujet duquel il va avoir une altercation avec le juge Blount, invité chez les Morse :

«  Je suis réactionnaire, tellement réactionnaire que mes opinions ne peuvent que vous être incompréhensibles, à vous qui vivez dans le mensonge d’une organisation sociale truquée et dont la vue n’est pas assez perçante pour découvrir ce truquage. Vous faites semblant de croire à la suprématie du plus fort et aux lois du plus fort. Moi, j’y crois. Voilà la différence. Quand j’étais un peu plus jeune, j’étais comme vous. Vos idées m’avaient influencé. Mais les marchands, les commerçants ne sont tout au plus que des patrons peureux qui passent leur vie à lécher l’assiette au beurre. Alors, je me suis retourné vers l’aristocratie. Ici, à cette table, je suis le seul individualiste. Pour moi, l’État n’est rien. J’attends l’homme fort, le Chevalier sans peur qui viendra sauver l’État de ce néant fangeux. Nietzsche avait raison – je ne perdrai pas mon temps à vous expliquer qui était Nietzsche – mais il avait raison. Le monde appartient aux forts, à ceux qui allient la force à la noblesse d’âme, qui ne se vautrent pas dans les mares croupies des compromissions, dans les pots-de-vin et les affaires plus ou moins véreuses. Le monde appartient à la grande brute racée, à celui qui n’a qu’une parole et qui la tient, aux vrais aristocrates. Et ils vous mangeront, vous, les socialistes qui avez peur du socialisme. Votre morale d’esclave ne vous sauvera pas. Je sais bien que tout cela est de l’hébreu pour vous et je ne vous ennuierai pas davantage. Mais souvenez-vous d’une chose : il n’y a peut-être qu’une demi-douzaine d’individualistes dans tout Oakland – Martin Eden est un de ceux-là. »

Inutile de vous préciser que ça jette un froid chez les bourgeois. Ruth lui fait une scène mais la machine infernale est enclenchée. Son individualisme forcené, et déclaré, lui vaudra la gloire et l’abîme. Putain, voilà que j’écris comme une quatrième de couverture.

A peine plus tard, Brissenden traine son ami à une réunion de socialistes.

«  Vous savez, moi, le socialisme... fit Martin.

– Les opposants sont autorisés à parler pendant cinq minutes, insista le malade. Levez-vous et allons-y ! Dites-leur pourquoi vous ne voulez pas du socialisme. Dites-leur ce que vous pensez d’eux et de leur éthique surannée. Flanquez-leur Nietzsche à la figure et soyez rosse à tour de bras. Faites du boucan. Ça leur fera du bien ! Ils ont besoin de discuter et vous aussi. Voyez-vous, j’aimerais vous voir devenir socialiste avant de mourir. C’est la seule chose qui vous sauvera de la désillusion qui vous attend.

- Je n’arrive pas à comprendre comment vous – vous entre tous – pouvez être socialiste, s’étonna Martin. Vous détestez tellement le « populo ». Il n’y a vraiment rien, dans la canaille, qui puisse plaire à votre âme éprise d’esthétique ! (Il désigna du doigt le verre de whisky que son ami remplissait de nouveau.) Le socialisme n’a pas l’air de vous guérir !

– Je suis très malade, répondit l’autre. Pour vous, c’est différent. Vous avez la santé et mille raisons de vivre. Et il faut vous enchaîner à la vie d’une façon définitive. Vous vous demandez pourquoi je suis socialiste ? Je vais vous le dire. C’est parce que le socialisme est inévitable ; parce que le système actuel est déraisonnable et pourri, parce que les temps sont passés pour votre sauveteur. Les esclaves n’en voudront pas. Ils sont trop nombreux et, coûte que coûte, ils le feront tomber avant même qu’il ne se soit élancé dans l’arène. Vous ne pourrez pas vous esquiver et vous serez forcé d’avaler toute cette morale d’esclaves. Ce ne sera pas joli, joli, je l’avoue. Mais, quand le vin est tiré, il faut le boire. Vous êtes antédiluvien, d’ailleurs, avec vos idées nietzschéennes. Le passé est le passé et celui qui raconte que l’histoire se répète est un menteur. Bien entendu, je déteste la foule ; mais que faire ? N’importe quoi est préférable aux timides pourceaux qui nous gouvernent. En tout cas, venez ! À présent, je suis rond juste ce qu’il faut, tandis que si je reste ici, je serai complètement ivre. Et vous savez ce que dit ce docteur que le diable emporte ? Je lui ferai perdre son latin, vous verrez ! »

C’était un dimanche soir et ils trouvèrent la petite salle bondée de socialistes d’Oakland, presque tous ouvriers. 

Suit un passage où Martin Eden (mais peut-être pas Jack London) se laisse aller à des remarques antisémites dignes de Zemmour.

Telles furent les réflexions de Martin et c’est ainsi qu’il parla quand Brissenden l’invita à leur secouer les puces. Il monta sur l’estrade et, selon l’habitude, s’adressa au président de la réunion. Au début, il parla d’une voix basse, avec des pauses, rassemblant les idées que le discours du juif avait fait naître dans son cerveau. Dans ces meetings, cinq minutes étaient accordées à chaque orateur : mais au bout de cinq minutes, Martin était lancé à fond, l’intérêt du public était capté et, par acclamations, on demanda au président de laisser la parole à Martin. Ils appréciaient cet adversaire digne d’eux, buvaient sa parole enflammée. Cependant, il leur assenait la vérité dure, en attaquant franchement les esclaves, leur morale, leur tactique sans leur dissimuler qu’il s’agissait d’eux. Il cita Spencer, Malthus et la loi biologique de l’évolution.

– Donc, conclut-il, en résumant rapidement, un État composé d’esclaves ne peut vivre. La vieille loi du développement des races tient toujours. Ainsi que je l’ai démontré, les forts et leur progéniture seuls, tendent à survivre à travers la lutte pour l’existence, tandis que les faibles et leur progéniture devront être écrasés. Il en résulte que, les forts seuls ayant survécu, la force de chaque génération augmentera. Telle est la loi. Mais, vous autres esclaves – il est triste d’être esclave, je vous l’accorde – rêvez d’une société d’où sera bannie l’évolution, où les faibles et les incapables pourront manger à leur faim, toute la journée s’ils le désirent, où ils se marieront et procréeront, tout comme les forts. Quel résultat obtiendrez-vous ?... La force et la valeur de la race diminueront de génération en génération. Votre société d’esclaves, créée par des esclaves et pour des esclaves, doit fatalement se dissoudre, tomber en poussière. Votre philosophie d’esclaves aura trouvé sa Némésis.

Je vous rappelle que j’énonce des faits biologiques et non une éthique sentimentale. Aucun gouvernement d’esclaves ne peut exister...

– Que faites-vous des États-Unis ? hurla une voix dans l’auditoire.

– Des États-Unis ? répondit Martin. Écoutez ! Les treize colonies rejetèrent un jour leurs chefs et formèrent une soi-disant République. Les serfs devinrent leurs propres chefs. Mais, comme vous ne pouviez pas vous passer d’obéir, une nouvelle espèce de maîtres s’érigea, faite, non pas d’hommes grands, virils et nobles, mais de marchands rusés et cauteleux, d’usuriers avides. Et ils vous réduisirent de nouveau en esclavage, non pas franchement, ainsi que l’auraient fait de vrais hommes, par la puissance de leurs bras et de leur valeur réelle, mais hypocritement, au moyen de louches machinations, de basses cajoleries et de mensonges éhontés. Ils ont acheté vos juges, débauché votre magistrature et réduit vos enfants à des horreurs pires que l’esclavage. Deux millions de vos enfants peinent à l’heure qu’il est, dans cette oligarchie commerciale que sont les États-Unis. Deux millions d’esclaves, à peine nourris, à peine abrités ! Je reviens à la question. J’ai démontré qu’aucune société d’esclaves ne peut subsister, parce que, par sa nature même, elle annule la loi du développement. À peine une organisation de ce genre sera-t-elle édifiée qu’elle contiendra le germe de sa propre désorganisation. Il vous est facile de parler d’annuler cette loi de l’évolution, mais en connaissez-vous une autre qui maintiendra votre force ? Si vous en connaissez une, dites-le.

Là je pourrai reprendre la parole pour vous dire que la réunion s’achève en discussions vives et animées. Mais London est vraiment trop drôle et je vous livre la fin du chapitre. Que les ayants-droit me contactent et l’affaire se règlera sur le tarmac en présence de mon avocat et témoin.

Cependant, un jeune reporter se trouvait dans l’assemblée en quête d’un article à sensation. Non pas un grand reporter, certes ; il ne possédait qu’une certaine facilité et pas mal de verve. La discussion était un peu ardue pour lui, bien qu’il eût le confortable sentiment d’être infiniment supérieur à tous ces bavards fanatiques. Il avait également un énorme respect pour les grands manitous, pour ceux qui dirigent la police des nations et gouvernent la presse. Enfin il avait un idéal : celui d’arriver à être le parfait reporter, le reporter-type, celui qui, d’un petit fait divers de rien du tout, est capable de faire une catastrophe sensationnelle.

Il ignorait complètement de quoi il s’agissait et ce n’était d’ailleurs pas nécessaire. À l’instar du paléontologiste qui reconstitue tout un squelette avec un os de fossile, il était capable de reconstituer tout un discours sur ce seul mot : « Révolution ». C’est ce qu’il fit, ce soir-là, fort bien d’ailleurs ; et comme Martin avait fait sensation, il mit le discours tout entier dans sa bouche et en fit l’archi-anarchiste de toute la réunion, transformant son individualisme réactionnaire en socialisme outrancier, du rouge le plus violent. Le jeune reporter était artiste. Il brossa donc largement, avec un grand souci de la couleur locale, le tableau de ces dégénérés neurasthéniques, aux longs cheveux, aux yeux terrifiants, brandissant leurs poings serrés, clamant leurs revendications avec des voix enragées de colère, parmi les hurlements, les injures et les grognements rauques d’une foule furieuse. 

Toute ressemblance avec des faits dolois récents est volontaire. Mais revenons-en à notre question liminaire et par conséquent éclairée : Jack London condamne-t-il l’individualisme? Je le crois. Car l’auteur n’est pas le personnage principal même si celui-ci s’inspire du premier et si Martin a des aspirations icariennes qui fond l’étoffe des héros, il semble que London n’adhère pas à son personnage, loin s’en faut. L’aventurier, le vrai, s’est distingué par son indépendance intellectuelle (qu’on retrouve chez Martin) et ses idées gauchistes (qu’on ne retrouve pas chez Martin). Mais pas plus que Martin Eden, Jack London n’est très facile à classer. Il ne se laisse pas faire.

Certes le roman fait une critique en règle de la bourgeoisie d’Oakland, de son hypocrisie et de sa médiocrité, et, à l’exception de Brissenden, seuls certains pauvres sont de braves gens. Cependant sans la renier ni la fustiger, Martin cherche à échapper au poids de sa classe sociale. Il cherche à réussir car il sait que la conquête de Ruth sera possible que par l’établissement d’une situation qui pour lui ne peut passer que par la création littéraire. Echapper à la pauvreté est donc une obsession mais il refuse d’y sacrifier son rêve artistique en rentrant dans le rang.

A l’issue de la soirée avec l’extrême-gauche américaine et du buzz qui va suivre, Martin va rencontrer le succès et la fortune, une réussite qu’il prend très mal car alors qu’il est resté le même, sa gloire soudaine lui donne un statut social qu’il sait, non pas immérité, mais factice. Autrefois, on ne prêtait pas attention à ses oeuvres. Aujourd’hui, tout ce qu’il a écrit se publie parce qu’il est célèbre. Jadis, Ruth en pinçait pour sa virilité sauvage mais ne lui trouvait guère de talent. A présent, elle se traine à ses pieds comme une groupie vénale. Je ne vais pas vous spoiler le dénouement mais vous aurez compris que ça ne se termine pas par un bébé.

La clairvoyance de London réside dans la critique de trois aspects de la société américaine. La condition ouvrière y est montrée avec beaucoup de justesse. On ressent l’abrutissement du travail à la blanchisserie, l’inéluctabilité du besoin de se bourrer la gueule, la faim et l’épuisement qu’inflige la misère. L’auteur montre sans l’embellir la « common decency », la décence ordinaire chère à Orwell, vingt ans plus tard. Le personnage de Lizzie Connolly est sur ce point d’une beauté charnelle et intérieure presque palpable.

Ensuite avec beaucoup d’avance sur son temps, mais peut-être l’avait-il lui même vécu, London démolit la gloire fabriquée par les médias et la publicité tapageuse. Le talent est difficilement reconnu et quand il l’est, c’est pour de mauvaises raisons. Quelle monde de merde !

Enfin et c’est là qu’on en arrive au coeur du roman, il y a l’effroyable solitude existentielle de l’individu qui cherche à s’élever par la force de sa propre volonté intellectuelle. Sur ce coup-là, seul Brissenden l’accompagne un peu. Il se dit pourtant socialiste comme on l’a vu. Mais la philosophie idéaliste et réactionnaire de Martin, qui s’inspire à la fois de Spencer et de Nietzsche, eux-mêmes en désaccord, ne le mène nulle part, sinon dans la Vallée de l’Ombre. Parce qu’il vise les sommets, Martin ne pourra qu’être déçu mais pas d’une déception qui rend amer et cynique mais de celle qui enlève l’envie de tout. Une aboulie chronique, à moins que ça ne soit qu’une dépression post-partum : après avoir accouché de ce qu’il y avait de plus beau en lui, Martin ne trouve plus rien à la hauteur de ses aspirations. Et seule Lizzie Connolly, la beauté simple qui est prête à mourir pour lui, comprend qu’il est profondément malade. Et face à cette incapacité à aimer une telle perle et à la rendre heureuse, on se dit : « Mais quel con! ». Martin est généreux bien sûr mais il a trop centré son objectif sur lui, sur sa puissance intellectuelle (au demeurant peut-être pas si élevée que ça car Spencer est loin d’être un génie… quant à Nietzsche, il lui a manqué quelques rencontres). Mais peu importe.

Sans accabler son personnage qui reste un héros admirable pour beaucoup de lecteurs, London montre que ce transclasse qui pète plus haut que son âme est victime de l’anomie que décrit Durkheim à peu près à la même période. Je ne vous dis pas le titre de l’essai pour ne décidément pas vous divulgâcher la fin. Martin a cherché à exprimer les plus hautes idées et les plus nobles sentiments dans la plus vigoureuse des langues mais ses lecteurs ne se sont pas montrés à la hauteur : ils consomment, plus qu’ils n’apprécient, sa prose et ses vers. Ils en veulent encore et toujours plus. London égratigne au passage la société américaine pas très encline à vraiment se cultiver, pédante ou le nez dans le guidon. Avec des dizaines d’années d’avance, il dénonce la mécanique conformiste qui empêche les réels talents d’émerger. Pourtant London laisse entendre que c’est peut-être bien l’écrivain qui est à côté de la plaque. Enfin reconnu mais pas comme il le voudrait, il se comporte comme un enfant gâté qui perd le goût des choses à trop avoir bu de limonade. Avec son argent, monsieur Eden offre aux autres ce qu’ils n’auraient pu s’offrir mais il oublie de construire avec eux ce qu’ils n’auraient pas pu imaginer sans lui. Il avait sans doute autre chose à offrir à l’humanité, ce que peut-être Brissenden lui a laissé entrevoir en l’amenant à cette réunion socialiste. A travers l’échec personnel du personnage et son immense désespoir, je pense que London plaint, sans toutefois le condamner, son individualisme d’un autre âge et sans issue, sa tour d’ivoire, son impossible engagement social et politique, son idéalisme qui tourne à vide mais aussi le modèle américain de l’autodidacte, l’illusion de pouvoir s’accomplir seul contre tous, le rêve du surhomme voué à n’être qu’un archange déchu. Martin Eden est un grand ratage, un terrible gâchis humain, une gloire sans écho. Martin Eden est une réussite. Totale.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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