Mode sombre

Yahn Daubigney, je l’ai rencontré pour la première fois avec la casquette FCPE (parents d’élèves) lorsque nous avions organisé avec une bande de jeunes les Gilets Jeunes, un mouvement de soutien des lycéens envers les Gilets Jaunes. Depuis, l’équipe de Libres Commères l’a recroisé pas mal de fois, en manif de soutien à l’hôpital la plupart du temps. C'est donc naturellement que je l’ai contacté pour qu’il me parle de son mouvement : “Patients en colère”...

 

Est-ce que tu peux nous parler un peu de toi ? Te présenter en fin de compte. Tu es un patient de longue date de l’hôpital de Dole si je ne me trompe ?

Oui alors je suis un vieux patient de l’hosto de Dole car ma première hospitalisation date de 1972, l’année de ma naissance. J’avais 2 ans et demi et c’était les premiers signes de la malformation artérioveineuse dont je suis porteur. À l’époque il n'y avait pas tous les moyens technologiques qu’on a maintenant, donc j’ai réellement été traité à l'âge de 17ans, en 1987, j’ai été au CHU Minjoz (NDLR : à Besançon), j’ai fait ma première IRM à Strasbourg, la seule à l’époque de toute la région Grand-Est, et ensuite sur Paris, les seuls capables (à l’époque) de traiter ma maladie et bien sûr à l’hôpital de Dole.

J’en ai même eu une vocation puisque j’ai réorienté mes études dans la santé puis travaillé, à l’hôpital de Dole, comme aide-soignant pendant 2 ans, et puis ma première fracture, une des conséquences de l’évolution de ma pathologie, en 1994, qui m’a forcé à arrêter mes activités. Là ça a commencé à être un peu le grand rendez-vous avec l’hôpital de manière régulière, pour t’expliquer, depuis 87 à aujourd’hui, ça fait 33 ans, rien que pour l’hôpital de Dole, j’en suis à 18 mois d’hospitalisation.

 

Qu’est-ce que tu penses de la situation des hôpitaux publics français, en tant que patient de longue date ? Toi qui, finalement, a vu l’évolution de la chose…

En fait, en définitive, je constate que l’hôpital est devenu une usine. Auparavant, on avait encore du temps à accorder au patient, aujourd’hui, c’est plus du tout la même chose, ils n’ont plus le temps de traiter le patient dans sa globalité, le patient est devenu un client, on va traiter ce pour quoi il est venu, mais on aura plus le temps de s’occuper de la souffrance, la douleur de la personne, par manque de moyens hein ! C’est pas la faute au personnel, moi je les admire, on les voit courir dans les couloirs… Quand on est dépendant, on attend parfois 1 heure pour passer du fauteuil au lit quand la position est douloureuse, on attend parfois 30 mins pour qu’ils nous emmènent aux toilettes, dans les cas extrêmes hein, et ça se traduit par des agressions verbales et parfois physiques de la part des patients ou des familles des patients qui ne comprennent pas, mais ça fait aussi souffrir les personnels parce qu’ils peuvent plus faire leur travail comme il devrait, et pourquoi ils se sont engagés dans ce métier.

 

Tu es à l’initiative de « Patients en colère », qu’est-ce que c’est exactement ?

« Patients en colère » c’est un gros coup de gueule en fait, en 33 ans, j’ai pu discuter beaucoup avec des patients, des soignants, tu sais, on a beaucoup de temps libre quand on est hospitalisé. Et puis de discussion en discussion, je me suis rendu compte que les choses empiraient, et j’ai voulu changer les choses. Finalement, c’est le résultat de 33 ans d’échanges avec des patients et des soignants et puis l’envie d’améliorer le rapport patient/soignant, permettre au patient de comprendre ce qu’il se passe, c’est pas aux personnels qu’il faut en vouloir mais bien aux problèmes qui touchent l’hôpital, car notre système de santé se casse la figure, et on cherche encore à faire des économies, depuis Sarkozy ça s’est accélérer, 100,000 lits supprimés depuis 2006 environ, dont 13,000 lits de réanimation, des dizaines de milliers de postes de soignants (infirmières, aides-soignants, médecins, paramédicaux, …) et ça peut plus durer ! On l’a vu encore plus avec le covid qui a mis en exergue le saccage et la souffrance de l’hôpital, il faut vraiment réagir vite vite vite si ce n’est pas déjà trop tard.

 

Quel est l’objectif de ton mouvement sur le long terme ?

Pour l’instant le mouvement date du deuxième confinement, et puis en en parlant par-ci par-là, l’idée est venue de le transformer en association, elle n’aura pas d’objectif politique et/ou syndicale, mais humaniste, elle restera bien sûr comme c’est déjà le cas actuellement ouverte aux bonnes volontés de tous horizons, même des élus. Le but c’est qu’un jour, « patients en colère » se transforme en « les patients prennent la parole », car c’est un gros problème que les patients aient ce sentiment de ne pas être écoutés, pas entendus.

 

L’idée c’est de remettre le patient dans les décisions qui concernent l’hôpital ?

Alors oui et non, c’est la place des moyens humains et matériels pour que les patients et soignants puissent être soulagés qui doit être remises au cœur des décisions. Aujourd’hui, l’hôpital c’est plus un endroit où on va se faire soigner, c’est un droit où on sait que ça va être une épreuve très difficile. J’ai l’impression qu’aujourd’hui on traite des « clients » à cause des conditions de travail, les soignants sont devenus des ouvriers. Je vais même faire une métaphore tiens, ce sont des ouvrières, en pensant à la ruche, des abeilles qui s’affairent dans tous les sens pour faire vivre la colonie.

 

Tu as créé un site pour ce mouvement, à quoi va-t-il servir ?

C’est pour recréer du lien, c’est pour permettre au patient de pouvoir s’exprimer, de voir qu’il n’est pas tout seul dans cette situation. C’est aussi pour faire en sorte que les gens qui sont en colère puisse s’exprimer, par exemple, très souvent, les gens ne pensent pas à remplir le questionnaire de satisfaction à la sortie (NDLR : la sortie de l’hôpital de Dole). Il faut que les gens prennent conscience qu’ils ont leurs places, il faut que les gens s’impliquent à la fois pour leur santé mais également pour leur système de santé. On a quand même eu à Dole 110 postes supprimés depuis 2006, 14 lits de réanimation supprimés. Tout ça pour faire des économies. Et depuis peu le Service Mobile d’Urgence et de Réanimation a perdu un équipage, donc vaut mieux être le premier que le deuxième accident hein. C’est un hôpital au rabais, et l’un des objectifs de “Patients en colère” c’est de retrouver un hôpital digne de ce nom.

 

Tu travailles aussi avec le comité de défense des hôpitaux publics de Dole, comment ça se passe, vous avez des actions communes de prévues ?

Oui oui tout à fait, je suis membre du comité d’ailleurs, ainsi que membre du comité de défense de la santé publique du Doubs, à chaque fois avec la casquette “Patients en colère”. En ce moment on travaille avec le comité de défense des hôpitaux publics de Dole sur une motion à faire signer aux maires pour la défense de l’hôpital. Je trouve que c’est une super action. Mais de mon côté je suis plus “terrain” pour remercier les soignants et informer les citoyens et citoyennes. J’ai mis des pancartes devant l’hôpital d’ailleurs. Et désormais la chirurgie conventionnelle est menacée, d’ailleurs j’ai des nouvelles toutes fraiches, la suppression de la chirurgie conventionnelle est dans les tuyaux pour courant mars (NDLR: quoi que par encore acté), pour être remplacée par de la chirurgie ambulatoire avec le gros avantage de ne plus être hospitalisé après l’opération. Et ça c’est tout bénef depuis que la T2A est passé, la tarification à l’acte. En gros, plus le patient reste, plus il coûte à l’hôpital.

(NDLR: Peu de temps avant le premier confinement, Toutoune nous avait parlé de la T2A également dans un article nommé : Comme un Ruffin à l’hôpital Louis Pasteur), voilà pourquoi ils veulent renvoyer la chirurgie à Besançon ou ailleurs, voir même dans le privé.

En plus des informations, je veux surtout faire passer de l’humain dans mon message, il y a beaucoup de gens qui s’identifient à ça.

 

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?

Comme dirait mon ami Marc du comité de défense de la santé publique du Doubs, on est à une époque où il faut se souhaiter la santé. On peut se souhaiter une année 2021 meilleure que 2020. Il faut remettre impérativement des soignants dans nos hôpitaux, des moyens et du personnels en urgence. Il faut que nos têtes pensantes au gouvernement se rappellent qu’on est des humains et pas des chiffres. Et moi ce que je me dis, c’est Tout ça pour ça ? On gratte des sous sur notre système de santé en le détruisant par petits bouts, et aujourd’hui, en période de pandémie, on n’est plus capable de faire face à ce virus. On serait peut-être confiné quand même aujourd’hui, mais on n’en serait pas à l’aube d’un 3ème confinement, et nos soignants et soignantes ne seraient pas aussi épuisés.

J’en profite pour faire ma promo d’ailleurs, je participe aux samedis de la santé vers 17h, une émission débat sur Radio BIP (sur les ondes et sur internet) sur le constat actuel de l’état de l’hôpital, et je parlerais du handicap et des patients chroniques et bien sûr de “Patients en colère”. Une émission qui aura un replay d’ailleurs (Yahn cause aux alentours d’1h35).

- A suivre donc ! -

 


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À propos de l'auteur(e) :

Lucien Puget

J'ai toujours été intéressé par la politique et le fonctionnement de notre société. Au cœur des luttes sociales à mes heures perdues, j'aime me faire témoin des bribes de vie de vous autres les humains, et j'en tire mes doctrines de vie et quelques anecdotes amusantes...


Étudiant en informatique

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