Mode sombre

La femme-artiste est une force de la nature. Une sorte de muse qui aurait retrouvé sa voix et s’offre le droit de FAIRE. Retirant son costume de simple égérie, elle crée, fabrique, montre, démonte, dirige et invente chaque jour un langage merveilleux : celui de l’équité.

Elle s’engage, se rend visible, se danse, se chante, s’écrit, se peint, se photographie, se compose, se modèle, se sculpte, mais surtout, elle ne se cache plus. Elle s’existe. 

Génies inconnues, silencieuses et oubliées pendant des siècles, absentes des livres d’art, des musées, des bibliothèques et des programmations : les artistes femmes sont pourtant depuis toujours au cœur de la création artistique.
Et c’est en bravant les interdits, les préjugés, les clichés et les pièges que certaines d’entre elles ont réussi à quitter peu à peu leur condition de femme-artiste pour s’autoriser à devenir ce qu’elles étaient réellement : des artistes comme les autres.

Depuis le XXe siècle les femmes n’ont eu de cesse que de réclamer des droits fondamentaux comme voter, aller à l’école, mais aussi : créer. Il a fallu des luttes acharnées et des rapports de force coriaces pour arriver aujourd’hui à sentir un début de reconnaissance artistique.

Cependant, un constat s’impose : nous sommes aujourd’hui presque incapables de citer 5 noms d’artistes femmes avant le XXe siècle. Il a fallu en effet attendre 1900 pour que les femmes puissent intégrer une classe aux Beaux-Arts.  Alors qu’il est institué en 1663, il faudra patienter jusqu’en 1903 pour qu’elles puissent se présenter au Prix de Rome. À l’Exposition universelle de 1937, une exposition intitulée « Femmes artistes d’Europe » accorde un début de légitimité aux plasticiennes de l’époque. Une reconnaissance professionnelle qui ne durera pas à cause de la guerre et de l’Occupation, qui les renvoient illico presto à la maison.
Après la Libération, le droit de vote est enfin accordé aux femmes en 1944.
Deux ans plus tard, la Déclaration des droits de l’homme en 1946 qui « garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme » ouvre de nouveaux horizons. Il devient donc, en pratique, possible de devenir une artiste hors de toute spécificité féminine, d’épouse ou de mère.
Mais le combat est loin d’être gagné : à la Biennale de Paris en 1985, on compte seulement cinq femmes sur cent vingt artistes…  En 2020, dans les plus grands musées, les femmes artistes représentent moins de 10% des œuvres exposées.

Dans le monde musical, la situation est légèrement différente, mais présente tout de même un paysage tout en contrastes et en ambiguïtés. Si depuis toujours, les jeunes filles de bonne famille étudient la musique, ces dernières ne pratiquent bien souvent que le chant, le clavier et quelques instruments à cordes : comme si les instruments étaient « genrés ». 

Selon l’AFO (association française des Orchestres)  37% seulement des instrumentistes dans les orchestres sont des femmes. Surreprésentées dans les sections des cordes (surtout de la harpe) elles sont quasi absentes au pupitre de la percussion. Elles seraient dans les cuivres seulement 8 % à pratiquer le cor, 6% aux trompettes, 4% au tuba et 1% au trombone.
Selon la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), les chiffres de 2016 montrent que dans le spectacle vivant, les inégalités restent là aussi très préoccupantes. Sur les 102 théâtres, orchestres et opéras subventionnés étudiés, la représentation féminine parmi les artistes programmées est de 2% de compositrices, 5% de librettistes, 24 % d'autrices de théâtre, 29 % parmi les metteuses (NDLR: le correcteur orthographique s’agite) en scène et 40% de femmes parmi les chorégraphes.

Il en est de même pour les femmes cheffes (NDLR: nouveau frémissement du côté du correcteur… ah, on me signale dans l’oreillette que c’est une correctrice) d’orchestre. Elles sont seulement 4% à obtenir ce poste alors qu’au moment de la formation au conservatoire, il y a autant d’élèves filles que garçons. Nathalie Stutzmann, Laurence Equilbay, Emmanuelle Haïm sont autant de modèles inspirants qui réussissent à s’imposer dans le domaine de la direction, mais force est de constater qu’elles restent encore des exceptions. Depuis 2020, l’Opéra de Paris essaie de corriger le tir et a créé un Concours international de Cheffe d’orchestre « La Maestra ». À croire que les femmes aussi savent utiliser leur baguette !

Malgré les évolutions visibles, mais lentes, la représentation des femmes reste encore très faible, notamment dans les postes exposés comme chef d'orchestre, mais aussi comme soliste ou dans les conseils d'administration et les directions des institutions. En France, en 2018, sur les 28 maisons d’opéra seulement trois d’entre elles étaient dirigées par des femmes.

Avoir des femmes sur les postes clés de direction permet de rendre plus visible et de concrétiser les possibilités de réussir. Construire des vocations est un processus long et lent qui demande des images fortes, des modèles et des symboles. Quand une femme dirige un opéra, un conservatoire, un musée, une mise en scène, un orchestre, un chœur, elle montre aux autres jeunes femmes qu’il est possible de devenir. Qu’il est possible de se projeter, d’étudier et de se former pour devenir qui l’on doit être et pas seulement ce que la société attend de nous.

Alors sincèrement, il arrive quand ? Ce jour où nous n’aurons plus besoin d’écrire sur la notion de « femme artiste » ? Ce moment où nous pourrons parler d’art sans devoir vous citer tout un tas de pourcentages épuisants pour vous prouver par A+B qu’il y a un problème à régler ? Cet instant beau, nécessaire et plus que jamais…. essentiel… où femmes et hommes s’autoriseront à fabriquer l’égalité ?

Ce n’est pas d’une écriture inclusive dont nous avons besoin… mais tout simplement d’une inclusion. Pour de vrai-e-s… sans se rendre la tâche plus compliquée et illisible qu’elle ne l’est déjà.

Femmes artistes, femmes de cœur, de ventre, d’âme et de beau je nous souhaite une journée de 365 jours à créer, inventer et devenir qui nous voulons être.
Et je remercie les hommes qui nous aideront à rendre ça possible.

Ornella Corvi

 

Illustration: Zahia Ziouani


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