Mode sombre

Cet article fait suite à « Une révolution fulgurante » et il a été publié dans le numéro papier de mai.

A l'aube du 22 mai 1871, les troupes versaillaises déferlent sur les différents bastions. Un colonel observe du haut de son cheval ses troupes pénétrant dans Paris. C'est un quarantenaire moustachu style van Dyke, un visage fin et un regard perçant. Sur son uniforme, il a quelques décorations dont la croix de chevalier de la Légion d'honneur. Cet officier se nomme Louis Edouard Maxime de Boisdenemetz, c'est un marquis né à Dole le 27 août 1828. Son père fut maire de cette même ville de 1850 à 1858. A sa sortie de Saint-Cyr, il participe directement à la répression de l'insurrection de juin 1848 (Voir 18 Mars, le soulèvement Populaire). Ce qui donne une certaine idée de ce qui va se passer pendant cette semaine à Paris.

Les combats font rage et sont d'une rare violence. Les troupes de Thiers ont l'ordre de ne pas faire de prisonniers. Les communards les plus chanceux tombent sur la barricade qu'ils défendent. Ceux qui se font prendre sont soit lynchés sans procès puis dépouillés, comme ce fut le cas d'Eugène Varlin et de tant d'autres anonymes, soit ils sont jugés sommairement et exécutés sur le champ. 

Des édifices parisiens tels que l’hôtel de ville, les Tuilleries ou la préfecture de Police sont incendiés. Les Versaillais prendront prétexte que les incendiaires étaient des femmes hystériques qui n'avaient aucune pensée révolutionnaire. Elles furent nommées les pétroleuses. Mais bon nombre de ces bâtisses furent incendiés par les bombes de l'armée de Thiers. Les rares destructions opérées par les communards furent le renversement de la colonne Vendôme, symbole de Napoléon 1er ainsi que celle d’une guillotine devant la mairie du 11ème arrondissement.

Le 5 avril, l'Etat communard avait promulgué un décret selon lequel « toute exécution d’un prisonnier de guerre ou d’un partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris serait, sur-le-champ, suivie de l’exécution d’un nombre triple des otages retenus ». Mais les Communards ne l'ont jamais mis à exécution… alors que l'armée versaillaise massacrait déjà en avril. Cependant, le 26 mai Théophile Ferré consent à exécuter 51 prisonniers dont 11 prêtres à la rue Haxo. La propagande thièriste fera de cet événement un élément essentiel du ressentiment anti-communard, camouflant ainsi le massacre que la troupe avait commis.

Le 27 mai 1871, quelques centaines de Communards se replient dans le cimetière du père Lachaise, se cachant derrière les tombes. Les balles des deux camps percutent les monuments. La tombe de Charles Nodier porte toujours les stigmates de cette terrible journée de mai. Les survivants pris par les Versaillais sont exécutés contre un des murs du cimetière. Aujourd'hui, une plaque est y apposée avec pour inscription « Aux morts de la Commune 21-28 mai 1871 ».

Vient à présent la question qu’on se pose tous. Combien y a-t-il eu de victimes durant cette Semaine Sanglante ?

Du côté de l'armée versaillaise, il y aurait eu 400 morts. Du côté des Fédérés, eh bien, c'est un petit peu plus compliqué. Selon l'État versaillais, il y aurait eu 6 000 morts en une semaine. Aujourd'hui, les historiens de la Commune estiment entre 20 000 et 30 000 le nombre des victimes assassinées durant cette seule semaine. On ne les entend pas les réac' lorsqu'il s'agit du massacre d’une population indignée et désarmée. Mais de la ramener systématiquement avec les 4 021 condamnés à morts par le « Tribunal Révolutionnaire de Robespierre » du 06 avril 1793 au 27 juillet 1794. Là, ils savent donner de la voix !

Et nos deux dolois, que sont-ils devenus dans la tourmente?

Le 30 mai 1871, alors que la Semaine Sanglante est à peine terminée, le colonel Boisdenemetz est nommé officier de la Légion d'Honneur pour, je cite, « avoir fait prendre les armes à la troupe ». Combien a-t-il fallu de victimes assassinées pour recevoir cette rosette au goût de sang ? De combien de massacres sa Légion d’Honneur est-elle la récompense?! Par la suite, Boisdenemetz présidera le 4ème conseil de guerre de Versailles (voir notre prochain article le mois prochain). Il deviendra général de division le 26 juin 1885 et s'éteindra paisiblement le 11 mars 1894 à Paris.

Quant à notre petit trublion, Pierre Bourgeois, il a participé à plusieurs combats durant la Commune et a réussi à s'échapper. Mais en juin 1871, il est arrêté dans la ville de Semur-en-Auxois en Côte d'Or. Il est renvoyé à Paris où commence son procès. Sans surprise.

Nous sommes le 28 novembre 1871. Louis Rossel, Théophile Ferré et Pierre Bourgeois arrivent et se placent dos à un poteau en bois. En face d'eux, 12 soldats armés. Il est maintenant 7h30. La première salve est pour Louis Rossel. Il est tué sur le coup. Pierre Bourgeois et Théophile Ferré n'ont pas eu la même chance. Ils ont été touchés de trois balles. Leurs blessures n’étant pas mortelles, le chef du peloton d’exécution s'approche des deux corps agonisants. Il sort son 12 mm et tire une balle en pleine tête pour les achever. Les victimes ne bougent plus. C’est la fin.

Le corps de Rossel a été demandé par sa famille et est enterré dans le caveau familial à Nîmes. Ferré sera inhumé au cimetière de Levallois-Perret. Quelques années plus tard, la dépouille de Louise Michel l’y rejoindra. Quant à celle de Pierre Bourgeois, personne ne la réclame. Il est aujourd'hui dans une fosse commune au cimetière Saint-Louis à Versailles.

Une rue porte le nom de Louis Rossel dans les villes de Metz et de Rennes. Celui de Théophile Ferré également dans les villes de Dreux et d'Evry. Pierre Bourgeois n'en a aucune à son nom.

Je lance donc un appel solennel auprès de la Municipalité de Dole, mais également à l'opposition doloise et à qui veut l’entendre. Je demande à ce que l'on nomme une rue au nom du dolois Pierre Bourgeois, héros de la Commune de Paris. Ce ne sera pas seulement un hommage envers un homme mais surtout un hommage collectif envers les Communes dont nous fêtons les 150 ans cette année.

A suivre... 


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À propos de l'auteur(e) :

Baron Vingtras

Bourguignon échoué en Franche-Comté, enivré par le militantisme de Gauche avec un gros G et passionné par l'Histoire.


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