Mode sombre

Contrairement à Emmanuel Macron, en 2017, personne n’a voté Mélenchon pour son physique. Ça me réjouit d’un côté, ça m’atterre de l’autre. On n’a pas de pourcentage mais plusieurs témoignages me le confirment : certaines et certains ont voté Macron pour sa tronche de fayot.

Maintenant qu’on sait que la coquille est creuse, que le génie fait de la gonflette intellectuelle et que le petit poudré n’est qu’un porte-flingue du néolibéralisme, on aurait pu espérer un soubresaut des Français les moins âgés, de cette jeunesse qui emmerde le Front national quand ça lui chante et qui a de plus en plus conscience que ça ne peut plus durer, ce carnage écologique et social. Aujourd’hui, je me dis que c’est pas gagné.

Car l’autre jour, au détour d’une de ces digressions dont mes cours regorgent, McFly & Carlito sont venus sur le tapis. Je ne connaissais pas ces gens avant qu’Emmanuel Macron et sa « nudge unit » élyséenne ne les contactent. La « nudge unit », c’est le titre que je donnerai ici à l’équipe de communicants qui gravitent autour du noyau présidentiel. Je ne porterai aucun jugement de valeur sur le travail de David Coscas et Raphaël Carlier, les vrais noms des pseudos humoristes. Mes étudiants les trouvent marrants. Soit! Passons. A Libres Commères, on ne peut pas rivaliser avec ces poids-lourds du web. On avait dit « pas de jugement de valeur ». Ah oui!

Je vous rappelle rapidement les faits. Il y a quelques semaines, Macron lance un défi aux deux youtubeurs qui, trop fiers et opportunistes, le relèvent sans bien réfléchir. Mais a-t-on le choix dans pareil cas? Demain, la « nudge unit » de Macron appelle la rédaction de Libres Commère et lui propose une interview exclusive avec… vous croyez qu’on va refuser? McFly & Carlito n’ont-ils pas flairé le piège? C’est quand même des spécialistes de la déconne, non? Ils ont donc tourné leur petite vidéo bien pensante mais pas très pensée sur les gestes barrières. Et comme par hasard, ils dépassent allègrement les 10 millions de vues. Ouais, bon! Ça doit pas être bien sorcier de gonfler les chiffres. En 2017, on n’y a vu que du feu. Admettons qu’ils aient vraiment fait le buzz. Y a bien encore des gens qui regardent l’Eurovision…

Et voilà mes deux influenceurs malgré eux qui se retrouvent à l’Élysée dans une émission cousue de fils blancs avec un Macron aussi naturel qu’un cornichon dans une crème anglaise. Comme si personne n’avait vu que dans le jardin les éléphants d’Ultra Vomit faisaient leurs balances. Comme si c’était en direct. Comme si tout n’était pas téléphoné pour que jamais on ne voit le vrai visage de Macron, emprunté et inhumain. Je dois avouer que je n’ai pas pu tout regarder et même très peu car franchement… bon, d’accord, pas de jugement de valeur! Mais, bon dieu, en comparaison, les pauvres mômes doivent se faire chier pendant mes cours où on aborde la valeur du travail, la mort dans la dignité et le sens possible de la vie sans série de pompes ni anecdote à deux balles. 

Enfin, ce jour-là, ça s’est animé et c’est pour cela que je vous en parle. Parce que, eux, mes étudiants, ils avaient regardé (pas tous mais quand même) et ils ont défendu McFly & Carlito sous prétexte que c’était marrant et qu’ils sont suffisamment « aware » pour faire la part des choses entre l’humour et la politique. J’ai tiqué. Sur la notion d’humour d’abord… et puis sur la part des choses.

McFly & Carlito ont-ils eux aussi fait la part des choses? Bien sûr, ils cartonnent quantitativement sur le net. Les chiffres peuvent donner le vertige. Ils voulaient faire mousser leur notoriété. C’est gagné! Leur popularité, ça, c’est une autre histoire. Et qui sera le prochain? Marion Maréchal? Kim Jong-Un? 

Quand le Monde titre « Face aux youtubeurs McFly et Carlito, Emmanuel Macron s’est offert un joli coup marketing », il évite la polémique. Il fallait tenté un truc du genre : « Pour donner un joli coup de pouce (c’est la traduction de nudge) à sa popularité, Macron s’est payé McFly et Carlito ». Je vous rappelle que le nudging, c’est la technique subliminale du coup de pouce qui faire agir comme il faut un public infantilisé. On y est! Les deux amuseurs sont tombés dans le piège de la « nudge unit ». L’aubaine était trop bonne. Sauf qu’ils sont tombés sur une grosse équipe de com’ qui fait le même boulot qu’eux avec le ukulélé et les gestes barrière : nous prendre pour des benêts ! Et quand je leur ai dit ça, à mes étudiants, ils n’ont pas aimé! Ils ont prétendu qu’ils étaient capables de faire la part des choses et que les hommes politiques les emmerdent. Je les ai sentis piqués au vif, un peu gênés que je laisse entendre que leurs youtubeurs s’étaient fait manipuler, instrumentaliser par plus machiavéliques qu’eux.

Alors, je les ai caressés dans le sens du poil en leur disant qu’effectivement, eux, ils savaient faire la part des choses et qu’ils avaient bien raison de ne pas s’intéresser aux élections dont il n’y a pas grand chose à attendre. Je leur ai conseillé de continuer à ne surtout pas se laisser bourrer le mou par la propagande des gestes barrage contre la barbarie qui va nous rappeler jusqu’en 2022 que voter est un devoir et que nos aïeux sont morts pour qu’il y ait des urnes à bourrer. Je leur ai bien rappelé qu’ils ne ressemblent pas à tous ces jeunes dont on va laver le cerveau à coups de vidéos bien calibrées pour qu’ils aillent faire leur devoir de citoyen dans l’isoloir. Ceux-là, alors qu’ils n’auront rien écouté de la campagne, qu’ils se retrouveront face à tous ces vieux noms gris, ils chercheront ceux de McFly et Carlito, Macro, MyFlic et Carliton. Et c’est là que le nudge agira. Voter blanc alors qu’on s’est fait chier à venir jusqu’au bureau du quartier, à se faire vacciner pour faire valider son pass sanito-électoral, à faire la queue derrière deux vieilles qui continue à voter  De gaulle, c’est un peu couillon tout de même, vu qu’en plus, ça part à la poubelle avec les nuls? Alors qu’est-ce qu’il reste? Mélenchon, Poutou, Lepen, Lassalle? Oh non, même pas pour rire? Et puis la vidéo sur les gestes barrière leur reviendra en mémoire. Le ukulélé, et les deux animateurs sympa. Et le concours d’anecdotes avec le petit bourge maniéré en costard qui découvre Ultra Vomit un peu ahuri mais beau joueur et quand même plus jeune que tous les autres candidats. Alors ils se diront que finalement… et de guerre lasse, ils serviront la politique du castor qui fait barrage.

Et là, j’ai senti que derrière leur masque, j’avais touché un point sensible. Le scénario que je leur présentais avait l’air plausible. Le prof est plutôt complotiste! Ça, ils le savent. Avec des idées néo-cocos! Ce n’est un secret pour personne! Mais sur la manipulation et la fabrique du consentement, il nous a déjà prouvé à plusieurs reprises que la propagande et l’idéologie, ça fonctionne. J’ai senti qu’ils flanchaient un peu, qu’ils baissaient la garde. Alors, j’ai porté l’estocade. « Mais vous n’êtes pas stupides et vous n’allez pas vous laisser embobinés par les discours politiques et les campagnes électorales. Vous n’en n’avez rien à battre, vous avez mieux à faire dans la vie que de voter à l’aveuglette et d’abord, voter sans savoir, c’est criminel. » 


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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