Mode sombre

Dans cette rubrique, j'aimerais vous parler de films et de bouquins des sorties récentes, mais aussi des classiques, de ceux qu'on a un peu oubliés, et qu'on ressort de temps en temps du fond de sa bibliothèque ou de sa vidéothèque. J'aime croire que toutes ces œuvres sont des bouteilles jetées à la mer, qui traversent l'océan des décennies et des civilisations, et qui parviennent intactes dans les mains d'inconnus, avec des fragments d'humanité, des témoignages, des morceaux de vie.

Les citations littéraires et cinématographiques ont parfois, et malheureusement, de tristes usages. Ils servent parfois d'argument d'autorité. On cite 1984 à tire-larigot (même le triste Nicolas Dupont-Aignan s'est fendu d'un tweet rageur, le 20 octobre dernier, en citant un extrait du livre d'Orwell), on se réclame de Camus ou de Voltaire, et ce, quand bien même on les aurait peu (ou pas) lus. Voilà des parrains bien chics, mais qui n'avaient certainement rien demandé. Le site Boulevard Voltaire s'achète ainsi, pour pas cher, un esprit lumineux, lequel aurait eu à redire sur le vent d'intolérance qui souffle sur ledit site.

L'autre usage malheureux est celui qui sert l'endogamie sociale. Proust, Tchekhov, Maupassant, sont autant de noms devenus des mots de passe, des signes de reconnaissance entre gens de bonne société. Cela fait chic. Cela fait bien. On reste entre gens de qualité, vous comprenez.

Et ça, ça m'emmerde. Parce que ces trois-là, moi je les trouve très drôles, très cyniques, et déjà très critiques sur leur époque et sur les milieux bourgeois dans lesquels ils évoluaient. Et j'aime croire que Maupassant se serait franchement ennuyé avec tous les snobs du milieu germanopratin qui se tirent aujourd'hui la bourre sur l'interprétation de ses nouvelles.

Quand on demande à Joann Sfar, un auteur de BD que j'adore, ce qu'il aurait dit à Hugo Pratt, son maître à penser, auteur d'une autre œuvre que j'adore (Corto Maltese), il répond : « Rien. On aurait mangé, on aurait bu, on aurait discuté de tout sauf de littérature. » J'adore cette réponse, parce qu'elle traduit le mieux ce que j'aime dans la littérature et l'art en général : l'échange, la rencontre, au-delà des considérations parfois oiseuses sur la mécanique du génie. L'art sert, entre autres, de matériau de base sur lequel on peut s'instruire, échanger, et se comprendre au-delà de nos différences (ça fait très Miss France, mais c'est ce que je pense). Un autre exemple : l'écrivain René Frégni découvre la littérature en prison. Elle l'aide à voyager. Un jour, il sort de taule. Quelques années plus tard, il y revient : pas en tant que détenu, mais en tant qu'animateur d'ateliers d'écritures. C'est ce qu'il raconte (en partie) dans son roman Les vivants au prix des morts. Je ne sais pas pour vous, mais moi j'adore ce titre – titre qui lui aurait été inspiré par une poissonnière, un petit matin, sur le port de Marseille, laquelle vendait ses bestiaux vivants « au prix des morts ».

Il ne sert à rien de répondre à la question : à quoi sert la littérature, le cinéma, l'art en général ? Ça nous emmènerait trop loin. Mais j'aimerais au moins que ce ne soit pas pour les deux mauvaises raisons citées précédemment. Que ça nous aide si possible à parler de nous, de notre époque, de ce qui nous arrive, au sein de nos expériences individuelles et collectives.

Au début de cette article, j'avais l'intention de vous parler d'un film précis. Pour de vrai. Bon, on va dire qu'aujourd'hui, c'était une introduction. Promis, la prochaine fois, je vous parle vraiment d'un film (ou d'un livre).

Mathieu Maysonnave 

Notre nouveau contributeur a déjà fait parler de lui avec une nouvelle que nous avons chroniqué dans Libres Commères et qu'on peut retrouver au bout du lien. Le recueil de nouvelles est téléchargeable gratuitement. Mathieu Maysonnave nous régalera désormais de chroniques littéraires et cinématographiques selon ses coups de coeur.

https://www.lafabriquedelacite.com/publications/recueil-de-nouvelles-la-france-des-villes-moyennes/


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