Les cagots sont-ils de retour?
L’Histoire ne repasse, parait-il, pas les plats mais elle offre de temps à autre l’occasion de faire d’aimables petits raccourcis, et si, comparaison n’est pas raison, on aurait tort de s’en priver. Nous voici donc, parmi les cagots (féminin cagote et non cagole), de pauvres bougres qui ont pendant des siècles subi l’ostracisme des populations du sud-ouest de la France et du nord de l’Espagne mais également de l’ouest de la Bretagne où les habitants du Léon, du Trégor et de la Cornouaille les appelaient notamment les « caquous ».
Apparus en France, au cours du bas-moyen-âge, ces parias ne constituent pas à proprement parler un peuple, même si on a parfois cherché à leur attribuer une origine étrangère. Si une étymologie fantaisiste les fait descendre des Goths et des Wisigoths, ils n’ont pas plus à voir avec ces envahisseurs barbares du haut-moyen-âge que les bigots avec les Ostrogoths.
L’historien Alain Guerreau fournit l’hypothèse la plus vraisemblable sur l’origine de ce phénomène d’exclusion : au sein d’une société féodale économiquement et politiquement en panne, est apparue au XIIème et XIIIème siècle une catégorie d’exclus, des fils cadets sans terre puisque non héritiers, qui se sont retrouvés dans l’obligation de vivre à la marge de la société. A la même époque, les lépreux étaient eux aussi chassés des villages et contraints de vivre à l’écart en intouchables. Ces deux groupes de réprouvés auraient ainsi été assimilés dans l’imaginaire populaire, la lèpre dont on ignorait à l’époque la véritable nature nourrissant la peur panique et les fantasmes les plus bibliques.
Les cagots exerçaient divers métiers manuels comme charpentiers, tisserands ou vanniers, souvent en relation avec le bois qui ne pouvait transmettre le fléau. Ils acquirent également une réputation d’excellents bâtisseurs et surent se rendre utiles, voire indispensables, ce qui favorisa leur réintégration ultérieure à la fin du moyen-âge. Ils furent très longtemps soumis aux interdictions les plus diverses au prétexte de leur contagiosité fictive : interdiction d’accéder aux fontaines et aux bains communs, interdiction d’élever du bétail excepté un cochon et une bête de somme, interdiction de faire du commerce, interdiction de labourer, de danser, de faire les vendanges, de jouer avec les non-cagots ou de porter une arme blanche, et donc de faire la guerre sauf dans le génie. On les baptisait la nuit sans sonner les cloches et les nouveaux-nés ne recevaient qu’un prénom sur les registres paroissiaux suivi de la mention cagot ou gésitain si le curé avait un brin d’érudition. Souvent ils entraient par une porte latérale à l’église, ne prenaient l’eau bénite qu’avec un bâton et recevaient l’ostie au bout d’une planchette. Ils vivaient à l’écart, par petits groupes, souvent dans d’anciennes léproseries et ils étaient dans l’obligation de se marier entre eux et de porter un signe discriminatoire en forme de patte d’oie, coupé dans du drap rouge et cousu sur leurs vêtements. A partir du XVIème siècle, les cagots entreprirent une bataille juridique pour faire lever officiellement cet ostracisme de fait qui reposait sur la terreur viscérale des populations vis à vis de la lèpre pour laquelle ces parias remplissaient la fonction de bouc-émissaire : transmise par une bactérie, la lèpre n’est pas une maladie très contagieuse et on l’a soigne actuellement par des antibiotiques. La Bible, à travers le Lévitique notamment, s’est chargée de raconter des balivernes à son sujet et la maladie s’est vengée sur les Croisés qui rapportèrent le bacille de leurs expéditions en Terre sainte. Pas de bol : on part pour se purifier, on rentre contaminé. C’est ballot mais ils l’ont un peu cherché tout de même.
Contrairement aux tsiganes et aux juifs, les cagots n’avaient aucune origine ou pratique particulière au fondement de la discrimination qui les frappait. Seule la peur qu’ils inspiraient les ostracisait. Supposés porteurs du mal et par conséquent intouchables, il fallait les tenir à l’écart et on ne les tolérait que par nécessité. Aucune persécution ni aucun pogrom n’est toutefois relaté à leur encontre. La stigmatisation n’allait guère au-delà de cet exil intérieur et des quolibets dont ils héritaient.
Loin de moi, l’idée d’en faire un parallèle avec l’actuelle situation sanitaire, politique et morale. Les Français sont de nos jours bien trop éclairés par la science, la zététique et les médias pour sombrer dans une telle dérive sectaire et hygiéniste. D’autant que nos gouvernants font tout ce qui est en leur pouvoir pour nous éviter l’obscurantisme, la suspicion et l’hypocondrie. Quoique caquou?!
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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