Quand Larry peste contre Jimmy…
Je suis perplexe. Jimmy Wales, le co-fondateur de Wikipédia, m’a écrit comme il a pris l’habitude de le faire quand il a besoin d’argent pour financer sa petite boutique non-lucrative. En 2020, j’ai donné 16 euros et je ne le regrette pas. Pas plus tard qu’aujourd’hui, j’ai écrit un article sur les cagots et sans Wikipédia, j’aurais été bien embêté. Wikipédia est une encyclopédie que je consulte quotidiennement et plutôt dix fois qu’une. J’étais donc sur le point d’envoyer un don à Jimmy quand j’ai reçu toujours par mail une interview de Larry Sanger, l’autre fondateur de Wikipédia. Ce dernier en veut un peu à son ex-collègue. Il l’accuse de partialité partisane sur les pages dites sensibles où sont traités des sujets controversés.
Wikipédia fête ses 20 ans aujourd’hui. L’encyclopédie collective en ligne a connu un succès foudroyant : 600 millions de connexions par jour, y a de quoi faire baver le site de Libres Commères. Selon Sanger, Wikipédia essayait à l’origine d’équilibrer les points de vue sur les sujets chauds. Or depuis 5 ans, les contributeurs sont deux fois moins nombreux et des organisations influentes semblent contrôler la diffusion des infos. Je suis moi-même un très modeste contributeur sur Wikipédia et j’y ai parfois corrigé les fautes d’orthographe et de syntaxe sur des pages qui me semblaient mériter mieux qu’une mauvaise présentation grammaticalement déficiente. Comme les pseudos sont admis, il n’est pas surprenant que des influenceurs aient investi le système d’édition malgré le contrôle qu’exercent les modérateurs. Sanger accuse même ceux-ci de s’être politisés et sans doute du côté Biden, le nouveau patron de la Maison-Blanche, qui bénéficierait, toujours selon Sanger, d’un régime de faveur sur la page qui lui est consacrée. A la décharge de Wikipédia, il faut dire que Sleepy Joe avait sans doute besoin d’un petit coup de pouce pour paraitre moins chiant, mais il aurait aussi des casseroles au cul. Pour Sanger, Wikipédia relaie trop souvent l’opinion des élites dominantes et ça le chagrine d’autant plus qu’il se prétend libertarien et donc favorable à une réduction drastique, voire totale, du rôle de l’État.
Question Covid-19 par exemple, Wikipédia s’en tiendrait à la version officielle, OMS et gouvernements. Et Sanger aimerait probablement entendre d’autres sons de cloche. Mais quand je vois la longueur de l’article, je me dis qu’en rajouter n’est probablement pas la plus judicieuse des solutions.
Entre Larry et Jimmy, mon coeur balance donc. Je pourrais lâchement adopter la position du « pince sans rire » pour ne pas lâcher un centime : « bon puisque c’est comme ça, Wikipédia n’a qu’à aller se faire voir! On le savait de toutes façons! Le prof d’histoire-géo de ma fille nous avait prévenus que sur la page de la Guerre du Pacifique entre 1879 et 1884, Wikipédia prenait faits et cause pour la Bolivie contre le Chili sur la question du Tarapacà. » Ah ben, oui, forcément! Quand c’est chaud comme ça, faut se documenter ailleurs!
Plus sérieusement, Wikipédia n’est pas parfait. Certaines pages sont redondantes et pas toujours bien structurées du fait de la pluralité des contributeurs. Mais d’une manière générale, on trouve ce qu’on cherche dans une encyclopédie généraliste. Il serait ballot de s’imaginer qu’on pourrait trouver dans Wikipédia la vérité sur l’ivermectine, le retour des talibans au pouvoir ou même la santé mentale d’Emmanuel Macron. Aucune source n’est définitive. Tout savoir doit être réactualisé régulièrement. La vérité n’est qu’une explication valorisée et validée pour un temps plus ou moins long mais jamais éternel.
Qu’il y ait des réseaux d’influenceurs sur Wikipédia n’a par ailleurs rien de surprenant. La croissance de l’encyclopédie ne pouvait qu’attirer les convoitises hégémoniques et cela reste à l’origine une création américaine, forcément et occidentalement orientée. Pour contrebalancer cet impérialisme yankee, il est toujours possible d’aller faire un tour sur Wikirouge que je consulte de temps à autreet qui ne cache pas son orientation politique. L’objectivité n’existe pas. Au mieux, on peut essayer de cultiver une neutralité critique et non intéressée (au sens financier du terme).
Alors je ne vais pas demander l’impossible à Wikipédia et je vais verser ma petite obole à la boutique à Jimmy. Elle reste toujours moins importante qu’un abonnement à l’Encyclopedia Universalis. Et quand je lis qu’Universalis Edu est recommandé par les rectorats d’académie de Versailles et de Créteil, permettez que je m’esclaffe.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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