Mode sombre

« À mauvaise paye mauvais travail ! » C’est ainsi que le journaliste et militant anarcho-syndicaliste Émile Pouget débutait son livre sur le sabotage qui était, selon lui, un moyen d’action sur le patronat qu’il avait fait adopter en 1897 par la jeune Confédération générale du travail, la CGT, où il défendait une tendance résolument révolutionnaire contre les réformistes qui sévissaient déjà dans les rangs du syndicat. Cette action directe et radicale sera utilisée contre l’occupant nazi dans certaines usines de la collaboration. Mais la tradition en était plus ancienne, certains disent aussi ancienne que le travail pour autrui lui-même. Disons que le sabordage de l’outil de travail est une forme de résistance possible aux cadences infernales qu’impose le productivisme. 

Tout cela n’est sans doute pas passé par la tête d’Ann Sryia, cette employée de la compagnie pétrolière Oil Prapakorn à Nakhon Pathom en Thaïlande qui a fait exploser un dépôt de carburant le 29 novembre dernier. Cette femme de 38 ans en avait ras le bol, c’est tout, tellement marre de se faire emmerder par un patron probablement toujours sur son dos qu’elle a attendu que l’entreprise soit vide pour tout faire péter en mettant le feu à un baril de pétrole. Les familles des employés ne pleurent aucune victime puisqu’il n’y en a pas, ni morts ni blessés. Ann Sryia a fait du sabotage en règle par temps de conflits sociaux mais elle va prendre cher car son employeur a déjà annoncé que les pertes s’élevaient à presqu’un million de dollars. 

En attendant, pour enrayer la machine capitaliste, essayons au moins de ne pas faire d’excès de zèle contre nos propres intérêts. Inutile d’offrir au système le meilleur de nous-mêmes, ce qui le conduirait à nous exploiter encore un peu plus. Ne nous laissons pas prendre à la petite musique fallacieuse de l’esprit d’entreprise et de l’émulation collective vers une efficacité accrue et une production en hausse dont seuls les actionnaires et le patronat profitent. Ann Sryia n’est peut-être pas un modèle à suivre mais qu’on ne compte pas sur moi pour l’accabler.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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