Société

Sous le regard d’une petite fille aux yeux noirs

Publié le 13/03/2022 à 11:55 | Écrit par Christophe Martin | Temps de lecture : 04m34s

L’hiver n’est pas encore terminé que les expulsions reprennent. La directrice du Centre d'Accueil de Demandeurs d’Asile semble décidée à déloger une famille bangladaise installée dans un appartement des Mesnils-Pasteur. On s’est pointé donc vers 9h30: c’est quand même moins tôt que lorsque ce sont les flics qui interviennent. Personne du CADA n’est venu faire le coup de poing mais ce n’est semble-t-il que partie remise. On en a profité pour discuter un peu vu qu’on était une petite quarantaine. Des habitués. Je connaissais à peu près tout le monde. Ce qui s’est dégagé de cette conversation c’est que le collectif de soutien aux familles de migrants ne cherche nullement l’affrontement avec le CADA. Au contraire. Ils voudraient coopérer, chercher des solutions comme cela s’est fait par le passé. C’est Jean-Marie Sermier qui est actuellement le président du CADA, vu que c’est géré par une assos’. Le père Lulu Converset a tenu à rappeler le distinguo que, lui, fait entre la loi et le droit humain, mettant la morale au-dessus de la législation quand cette dernière n’est pas juste. De la graine de rebelle chrétienne, notre ami Lulu! Mais bien évidemment, au CADA, on se retranche derrière la loi, ce qui est compréhensible. Mais ce type de loi, c’est à dire l’expulsion des familles dont les dossiers de demandeurs d’asile ont été rejetés par l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Les flics disent la même chose quand ils embarquent un réfugié « hors-la-loi ». Les pouvoirs publics n’ont pas à avoir de sens moral: ils sont là pour appliquer le règlement et on ne peut pas leur reprocher cela. Le protocole et la procédure évitent à l’agent public d’avoir des états d’âme ou des gestes d’humeur. Pourtant quand j’ai vu Shamim Ahmed venir avec sa petite fille d’un an dans les bras, je suis une fois de plus tombé d’accord avec Lulu Converset, même si je reste persuadé que la France a besoin de rétablir ses frontières pour contrôler les flux humains comme la circulation des marchandises et les transactions financières. Devant les grands yeux noirs de la petite gamine dont je n’ai même pas pensé à demander le nom, je me suis dit qu’il fallait vraiment avoir de bonnes raisons pour traverser la moitié de la planète et échouer dans un pays dont on ne parle qu’à peine la langue et où on ne connait personne. Y a pas la guerre au Bengladesh mais c’est pas le paradis non plus. Deux fois dans ma vie, j’ai embarqué femme et enfants, et tout ce qu’on avait, dans la bagnole, pour aller chercher mieux dans un autre pays. Je sais ce qu’ils vivent. Alors s’il faut encore se rendre aux Mesnils-Pasteur à vélo pour éviter qu’on mette ces gens à la rue pour qu’ils soient ballotter un peu partout alors que la plus grande des gamines est déjà à l’école à côté , eh bien, je reviendrai. La dernière fois, c’était pour une famille arménienne qu’on a fait le pied de grue et délogé de son appart, la famille Kalashyan s’entasse aujourd’hui dans une chambre d’hôtel. Ça n’avance pas. Il faudra aller voir les candidats aux législatives pour leur demander ce qu’ils compte faire pour ces affaires qui n’en finissent pas de nous faire honte.

Bon je passe la parole à Claude Charbonnier qui signe un petit compte-rendu qui complètera le mien.

Une quarantaine de personnes ont participé au rassemblement qui s’est tenu devant l’immeuble du 69 Rue Alsace-Loraine où habite la famille de Shamim Ahmed et Fahmida Begum, entre 09h30 et 11h00.

Aucune solution de relogement n’ayant été trouvée ni proposée à la famille, l’expulsion de leur logement actuel n’est pas possible ni acceptable. Les personnes rassemblées ont entériné le fait que Mme Sophie Ogier, directrice du CADA Le Saint Jean, a reconnu et admis elle-même cette affirmation, dans un entretien téléphonique avec Mr Charbonnier. La famille doit donc rester actuellement dans son appartement.

Pour défendre les droits de cette famille et de toutes les autres familles dans la même situation, et particulièrement parce que cette famille n’a pas pu exercer tous ses droits de recours dans les délais imposés, les personnes présentes, s’appuyant sur le  Collectif des  Associations d’aide aux Réfugiés de Dole, ont décidé :

de demander un rendez-vous au Président de l’Association Le Saint Jean qui gère le CADA ;

d’adresser une requête au Défenseur des Droits et à son représentant départemental, à propos de la situation de la famille Ahmed-Begum; 

d’accompagner cette famille dans la réalisation des démarches administratives nécessaires pour trouver une issue digne  à sa situation (en particulier un nouveau dossier à l’OFPRA) ; 

d’accompagner sans délai la famille vers l’apprentissage du Français ;

de veiller à ce que la famille ne fasse plus l’objet de menace d’expulsion de son logement tant qu’une solution alternative ne sera pas  trouvée et que tous ses droits n’auront pas été respectés ;  

de diffuser le communiqué final  suivant :

«Par ce rassemblement, les Citoyen(ne)s  de Dole  veulent exprimer leur soutien et leur solidarité avec une famille menacée d'expulsion sans solution alternative de relogement et avant que tous leurs droits n’aient été exercés.  A travers cette famille, ce sont toutes les familles qui vivent le même stress, en période hivernale et avec des enfants en bas âge que nous voulons soutenir.

Notre but n'est  pas de critiquer les organismes chargés de l'accueil des réfugiés  -- ils assurent un service indispensable et irremplaçable-- mais de dénoncer la politique de la France en matière d'accueil des personnes qui demandent l'asile chez nous. Car cette politique est basée sur la violence: elle les emprisonne en Centre de rétention, elle  menace de les expulser sans solution alternative et, en leur refusant les  droits fondamentaux au logement et au travail, provoque chez ces personnes un stress insoutenable et inhumain devant l'incertitude permanente du lendemain. » 




À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

Retrouvez tous les articles de Christophe Martin