Rendons grâce au service public
A l’heure où de nombreux foyers se réjouissent de ne plus avoir à payer la redevance audiovisuelle, je voudrais vous conseiller une série d’émissions sur France Culture, payée par vos impôts. Attendez! Ne partez pas! Y aura de l’action, du sang et des larmes! Et de l’émotion. Christophe Nick et Somany Na ont co-signé ce long reportage sur Thomas Sankara. Le sous-titre « l’homme qui allait changer l’Afrique » n’est pas naïvement superlatif mais en à peine plus de quatre ans, ce trublion africain a mis son pays sur la voie du communisme et foutu le sbeul dans les relations nord-sud. Le documentaire retrace bien évidemment le parcours historique du président du Burkina Faso (c’est lui qui décide de rebaptiser la Haute-Volta, dénomination trop marquée par le colonialisme à son idée) mais il met également en lumière (épisode 3) l’extraordinaire puissance révolutionnaire qu’il y avait chez ce trentenaire qui n’avait pas froid aux yeux et qui savait sans doute qu’il marchait au devant de la mort à brusquer les coutumes comme il l’a fait. Sa rencontre avec Mitterrand (épisode 4) est tout à fait édifiante et j’y renvoie ceux qui admirent encore le fossoyeur de la gauche sociale-démocrate. Sankara, c’est tout le contraire de ce vieux briscard machiavélique. Sankara est franc, révolté et gonflé. Sankara est jeune et dans un pays où ils n’ont pas voix au chapitre, c’est aux jeunes qu’il va s’adresser, aux jeunes, aux femmes, aux prolos. Ça aurait pu prendre, c’était même en bonne voie mais les enjeux internationaux en Afrique, les ambitions locales et le vieux système tribal ont finalement eu raison de cette énergie révolutionnaire. Y a de la graine à prendre aussi bien dans ses discours au vitriol que dans ses réalisations au « pays des hommes intègres ». Le reportage n’en fait pas un dieu, un prophète ou un héros mais Sankara est un incorruptible, un exemple à méditer, une source d’inspiration pour tous ceux qui ont envie de changer les choses en grand mais sans passer par les institutions qui bloquent tout changement radical et conséquent.
En 1980, en Haute-Volta, à la surprise générale et sans effusion de sang, un coup d'État fomenté par de hauts gradés de l’armée, renverse le président de la République. Le colonel Saye Zerbo prend le pouvoir et Sankara est nommé en 1981 secrétaire d’État à l’information: il cherche à créer les premiers médias indépendants pour enquêter librement et dénoncer la corruption endémique dans le pays. En 1982, Sankara démissionne en pleine période de troubles sociaux. Le lendemain de sa démission, on l’envoie quand même ouvrir officiellement le FESPACO, le Festival international du cinéma africain. Pour la première fois, Sankara est invité à parler en direct à la radio et la télévision d’État. Il s’adresse alors aux jeunes et aux ouvriers et prononce ces mots qui vont emballer la foule: « « Il n’y a pas de cinéma sans liberté d'expression et il n’y a pas de liberté d'expression sans liberté tout court. Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple. » Les colonels le feront arrêter, on tentera de l’assassiner mais il est déjà trop tard: Sankara va faire connaitre sur la scène internationale son petit pays sans même un accès à la mer avec un PIB ridiculement bas. Il va soulever un immense espoir parmi ceux qui n’ont rien à perdre, se faire un nom parmi les chefs d’État des pays non-alignés. L’épisode 3 notamment révèle quelques idées que Sankara a mis en oeuvre. Le coup du marché interdit aux femmes un jour par semaine pour obliger les hommes à aller faire les courses pour bouffer: c’est couillu dans un pays figé par le patriarcat ! Sankara ose beaucoup de choses: « Notre Maison blanche se trouve dans le Harlem noir », déclare-t-il en 1984 à New York. Ou alors ma préférée: « Un militaire sans formation politique est un criminel en puissance ». Tous les slogans et les punchlines ne sont pas aussi inspirés mais ça a fonctionné du tonnerre de Zeus sur une large frange des Burkinabés: « À bas les maris violents ! à bas les mâles dominants! ».
Ça dure cinq heures mais ça s’écoute comme on se goinfre de séries délayées. Sauf que là on ressort avec une furieuse envie d’en savoir plus sur le personnage. Thomas Sankara n’est pas mort pour rien. En fait, Sankara n’est pas mort. Faute de s’en rendre compte, le ridicule président Macron vient d’en faire les frais. Mais ce piètre diplomate a beau se faire étriller à chacun de ses voyages en Afrique, il continue à jouer au colon. Je n’imagine même pas le costard que Sankara lui aurait taillé. Mais d’autres s’en sont donné à coeur joie. Non, décidément, Sankara n’est pas mort. Et c’est bon que ce soit sur une radio du service public qu’on nous le rappelle. Je doute que Vincent Bolloré aurait laissé passer un tel reportage.
Et pour réentendre cette voix fraiche et juste.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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