Mode sombre

L’idéologie, c’est le discours que tient toute organisation pour assurer sa pérennité et naturaliser son existence : le régime actuel est en place parce que sa naissance remonte à la nuit des temps et ne peut donc être envisagé autrement. Dans le cadre d’une entreprise, l’idéologie prend souvent la forme d’un récit des origines avec un fondateur visionnaire, un management éclairé et un salariat reconnaissant. Si la mayonnaise prend, ce dernier peut même devenir le meilleur porte-parole du discours mélioratif et chanter les louanges du bienfaiteur patronal de son propre chef. C’est le cas d’un employé du groupe Solvay à la retraite qui voue une admiration sincère à Ernest Solvay. Il n’a pas besoin d’en rajouter dans le bouquin qu’il vient de lui consacrer, un ouvrage financé par la boite et distribué à l’interne : Solvay est un exemple édifiant de réussite humaine et humaniste, scientifique et intellectuelle. Philanthrope et réformateur, on ne peut rien lui reprocher tellement il a dépensé pour assurer la paix sociale, le bien-être et la sécurité de ses employés, leur épanouissement en dehors de leur activité de production. C’est carrément paternaliste mais lorsque l’employeur paie bien, on aurait mauvaise grâce à cracher dans la saumure. Aujourd’hui encore, travailler chez Solvay est la garantie d’un bon salaire. Vaste consortium chimique, dont l’un des fleurons classé Seveso seuil haut est implanté à portée d’explosion de chez nous, le groupe pèse très lourd dans l’économie mondiale et fabrique des substances que vous retrouvez un peu partout, dans vos smartphones, vos télévisions, vos emballages et bientôt dans vos batteries de voiture. 

Le site Internet de Solvay France est un modèle du genre. Une petite visite s’impose : https://www.solvay.fr/ et n’oubliez pas l’onglet « développement durable ». Vous y découvrirez que Solvay est grand partenaire de la fondation Ellen Mac Arthur aux côtés de BlackRock, Danone, Google, Philips, H&M, ScJohnson, Renault ou Unilever, que du beau monde pour une organisation qui oeuvre pour l’économie circulaire sous le sourire d’une gentille navigatrice reconvertie. Solvay rêve d’atteindre la neutralité carbone avant 2050 et des tas d’autres objectifs tout aussi louables. Ilham Kadri, l’actuelle Chief Executive Officer, partage-t-elle l’engagement humaniste et la foi scientiste du fondateur du groupe? Il n’y a qu’à l’écouter : « L'engagement de Solvay en matière de développement durable est fort et va au-delà de la simple réduction de notre impact environnemental : il s'agit aussi de capitalisme responsable et de la création d'une vie meilleure pour nos employés et la société en général. Que ce soit en créant des produits qui améliorent la santé, la sécurité et la qualité de l'air, en prenant soin des employés pendant la crise du Covid-19 ou en développant des solutions d'économie circulaire, nous voulons être un catalyseur pour permettre un avenir plus durable. » On a vraiment envie de la croire. Et on se demande bien pourquoi ces satanés journalistes de la RTBF, des compatriotes du père fondateur pourtant, sont allés fouiller dans les poubelles du groupe pour en sortir de pareilles horreurs. « Solvay et les PFAS: la pollution invisible » est un documentaire qui usent de musiques angoissantes pour diffuser des révélations qu’on ferait mieux de garder secrètes pour n’affoler personne et mourir idiot avec nos cancers de partout. On n’est d’ailleurs pas obligés de regarder cet abominable documentaire beaucoup trop documenté pour être complotiste et on peut rester du côté lumineux de la science et de la performance durable en compagnie de la charmante directrice générale avec son discours lénifiant mais tellement rassurant. Le capitalisme responsable d’autre chose que de la dégradation de la planète, c’est tout à fait possible. Le développement durable avec de fausses bonnes idées comme les batteries électriques, c’est tout à fait envisageable. Cela dit, si on veut réindustrialiser la France comme c’est tout à fait souhaitable pour rétablir une certaine autonomie dans la production et une souveraineté nationale face aux Américains, il va tout de même falloir qu’on fasse des choix pas toujours agréables. Mais s’il faut ramener des équipements industriels sur le territoire, ce n’est pas aux capitalistes qu’il va falloir donner les clefs. Sinon on est bon pour fabriquer des batteries sans lendemain comme à Tavaux. Produire chez nous, oui, mais produire ce dont on a vraiment besoin et pas des innovations hasardeuses et tape à l’oeil. Ernest Solvay vouait un véritable culte à la science. Il n’a malheureusement pas laissé de conscience dans le business.

Il  y a du neuf chez nos collègues de France 3 BFC et ça n'a rien de rassurant.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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