Mode sombre

Dans cet article du Monde Diplomatique de décembre 2022, David Garcia montre les effets calamiteux de la politique énergétique de l’Union européenne (UE).

Au-delà des sanctions qu’elle a prises contre la Russie (notamment pour complaire aux États-Unis) et qui se sont retournées contre elle, la libéralisation du marché de l’énergie poursuivie depuis un quart de siècle pour des raisons purement idéologiques est catastrophique pour les européens.

Programmée dès l’Acte unique européen de 1986 et mise en œuvre à partir de 1996, cette destruction dogmatique des monopoles publics menée au nom de la concurrence par la Commission européenne avec la complicité des gouvernements nationaux devait apporter efficience, innovation et prix bas. Comme l’avaient annoncé quelques analystes immunisés contre le fanatisme libéral, le désastre est complet.

En dix ans, les prix ont augmenté de 60%, et cette hausse s’accentue avec le conflit en Ukraine : les prix pour livraison début 2023 ont été multipliés par dix en un an. Pourtant, aucun État de l’UE ne remet en cause le dogme concurrentiel, et encore moins la Commission, qui, hermétique à la réalité, invoque la guerre pour arguer d’une simple crise passagère.

L’État français joue un rôle actif dans cette obstination funeste. Il a annoncé en juillet dernier son intention d’étatiser (et non nationaliser comme le laissent entendre les communicants et leurs relais médiatiques) en prenant le contrôle de 100% d’EDF, ce qui lui permettra de démanteler le groupe (comme le prévoyait le projet Hercule) en le vendant à la découpe : les secteurs rentables pour engraisser le privé, et les déficitaires payés par les contribuables.

Alors qu’EDF connaît des déficits abyssaux, ses concurrents privés se portent à merveille, dorlotés par l’État. Ainsi, la loi NOME (Nouvelle organisation du marché de l’électricité) de 2010 oblige EDF à céder à prix coûtant un quart de sa production nucléaire aux soi-disant « fournisseurs alternatifs » (plutôt des spéculateurs parasites en fait). Et début 2022, Macron décidait d’augmenter ce volume de 20%. L’objectif de ce dispositif ubuesque nommé ARENH (accès régulé à l’électricité nucléaire historique) est de faire baisser par une logique de marché les prix qui ont fortement augmenté… à cause du marché !

La nature même de l’ARENH favorise la spéculation. Certains fournisseurs réservent chez EDF un certain volume à 42 €/MWh et le revendraient 4 à 10 fois plus cher. Comment ? En déclarant un certain nombre de clients pour bénéficier de l'ARENH, mais plutôt que de servir lesdits clients, le fournisseur s’arrange pour les faire fuir (par des tarifs prohibitifs, et en allant même jusqu’à conseiller de retourner chez EDF !) pour revendre au prix fort sur le marché de gros l’électricité achetée à bas coût. Ces pratiques sont illégales, mais les instances de contrôle nationales et européennes laissent faire, soutenant idéologiquement la logique concurrentielle.

Les industries, grandes consommatrices d’électricité, disent elles-même que l’ouverture à la concurrence a été une catastrophe totale qui a fragilisé l’approvisionnement sans rien apporter, et certains réclament le retour des tarifs réglementés (supprimés en 2015), mais les règles du marché européen l’interdisent.

Plutôt que de revenir à la seule solution qui fonctionne, à savoir le monopole public, les apôtres du tout-marché cherchent des bricolages technico-bureaucratiques toujours plus invraisemblables pour ne pas se renier. Au vu de la puissance et l’omniprésence de l’idéologie néolibérale sous nos latitudes, cet Absurdistan électrique semble avoir encore de beaux jours devant lui.

Doc Diplo.


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