Mode sombre

Samedi, c’était la Percée du vin jaune à Voiteur. On est au pied des falaises de marne bleue, il fait crachin, c’est le Jura et on est bien. 

Arrivés à 9h00, il n’y a pas encore grand monde. On trouve une place sur un banc (mais pas ceux de devant s’il vous plaît, qui sont réservés au gratin, à la crème et aux gros bonnets), et en quelques minutes, c’est plein à craquer sous la nef. L’allée principale doit être dégagée pour des raisons de sécurité, et on peut supposer que ce n’est pas si souvent que la petite église de Voiteur refuse l’entrée à de valeureuses ouailles. À ma droite, deux petites nanas bon chic bon genre qui lorgnent sur un petit chou en bure blanche portant le crucifix. L’une d’elle, la voix émue : « Je voudrais que mon fils ressemble à ça ! » Arrive donc la procession avec ses fanions folkloriques, ses enfants de chœur, ses froufrous, et surtout le saint Tonneau, porté telle une relique sacrée. L’évêque en personne est venu bénir le précieux liquide. Une dame, derrière moi, chante avec une ferveur intense – fichtre, elle connaît toutes les paroles par cœur ! Une autre dame, à ma gauche, venue de Lyon, soupire dès que sonnent les premières syllabes du Gloria in excelsis deo : « C’est pas avec des chants en latin qu’on va ramener des ouvriers. » Le psaume du jour parle de la vigne. Pas dur, il y a plus de quatre cent quarante passages qui traitent de la vigne, nous assure l’évêque (bigre, les prophètes de l’Ancien Testament étaient donc inspirés par la boisson !). L’idée, c’est que nous sommes tous des pieds de vigne : le vigneron qui prend soin de ses ceps, c’est une parabole pour dire qu’il faut prendre soin les uns des autres. À la fin du prêche, la Lyonnaise touchée par la grâce se tourne vers moi, le visage radieux et le regard humide : « La paix du Christ avec vous. » J’ai hâte de boire.

À l’extérieur, changement d’ambiance. Le vin coule, le morbier fond, un DJ mixe dans une cabane, une mamie déchire, la fanfare guette les malheureux qui se soulagent, et des copains montrent leurs fesses à la caméra consentante de Quotidien (parce que c’est un rituel chez Quotidien, notamment lorsque leurs journalistes se rendent au Hellfest). Les dégustations commencent. Avec l’entrée à 22 euros, on a le droit à dix dégustations, dont quatre de vin jaune et une de Macvin, et honnêtement on ne se sent jamais floué, les vins sont délicieux et les verres généreusement remplis. Pour patienter dans les files d’attente, il y a toujours un copain qui a une bouteille à vider ou un bout de comté à partager. D’une certaine manière, c’est l’eucharistie qui redémarre (à défaut d’une chenille). Les visiteurs qu’on croise viennent de Franche-Comté, de Bourgogne, de Bâle, de Drôme, de Marseille, il y a même un groupe de Polonais. Une belle communion. À la fin de l’après-midi, un rayon de lumière perce les nuages, c’est le Saint-Esprit qui illumine nos verres.

Retour en bus, des navettes régulières pour Lons, puis retour en train. Le chaos. L’ambiance est alcoolique, malsaine, un type m’oblige à écouter ses blagues antisémites, un autre tire sa cigarette, un troisième propose du poppers, je m’évade. Dans le wagon suivant c’est encore pire, un couple s’embrouille, va faire ta vie ailleurs toi, la fille accablée pleure sur son siège, casse son verre, revient à la charge, mais t’es qu’un enculé, espèce de bâtard, t’as toujours été un enculé avec moi, et lui avec sa colossale finesse, bah t’as qu’à baiser un autre mec, cinq minutes après le mec s’embrouille avec un autre mec (qui l’a mal regardé), je vais te casser la gueule, et tout ça me conduit à reconsidérer la phrase de la Lyonnaise : « La paix du Christ avec vous. »

La Percée c’était bien, mais j’ai hâte de rentrer.

De notre envoyé spécial, Mathieu M.


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