Mode sombre

Nous n’avons pas l’habitude à Libres Commères d’assurer la promo pour des artistes et des expositions. On a fait quelques exceptions pas plus tard que la semaine dernière quand le projet lui-même nous semble avoir de l’intérêt par rapport à notre démarche de sortie du capitalisme. Autrement dit, l’artiste intégré dans la société libérale ne nous intéresse pas. En revanche, celui qui, toute affaire de talent mise de côté, n’y trouve pas toute sa place trouve justement grâce à nos yeux. Estelle Cermelli est de ces artistes qui ne cherchent pas à exposer au Salon du Lions Club et à séduire le portefeuille du bourgeois. Ses oeuvres sont à vendre mais elle ne dépend pas matériellement de la vente de ses dessins. Tant mieux pour elle, tant mieux pour son art. Elle expose actuellement au café culturel Au Détour à Dole et y travaille de temps à autre. Je suis donc allé la voir alors qu’elle crayonnait sur la petite scène du café dans la splendide lumière post-méridienne. On s’était déjà croisé car elle lit régulièrement Libres Commères. Estelle travaille en ce moment sur un grand dessin à propos de l’intelligence artificielle (notre illustration). Bon, si elle ne m’avait pas affranchi, je n’aurais pas deviné tout seul de quoi il retourne. Ses dessins (souvent en technique mixte crayon/crayon de couleurs/aquarelle) portent en eux un scénario symbolique qui réclame parfois une petite explication. Autant avoir l’artiste sous la main. Le dessin sur lequel j’ai carrément flashé, c’est « Autant en emporte le paon » (un jeu de mots gracieusement offert par le légendaire Pascal Mathieu). Il est exposé dans la salle du haut de Au détour. Si vous allez ce samedi soir 12 mai assister à la soirée-philo de Mathéis Nelle « Le temps est sorti de ses gonds », vous pourrez voir l’original. Si vous n’avez ni le courage d’attendre ni celui de vous déplacer pour élever votre esprit avec un philosophe en veste de couleur, rendez-vous sur le site d’Estelle. Ce paon est une pure merveille graphique d’une part et politico-symbolique d’autre part. Arrêtez-vous sur les détails de la queue de l’oiseau, de sa patte appuyée contre le cadre, de sa gorge auquel la reproduction ne rend pas justice. Si ce dessin n’a pas été vendu depuis 2017, ce n’est sans doute pas un hasard puisqu’il dénonce le monde de l’argent. C’est d’une noirceur à couper le souffle. Et superbement encadré. En dehors de cela, Estelle fixe ses intuitions sur le papier: elle peint des poumons à l’aquarelle six mois avant l’arrivée du Covid, annonce à sa manière les grands incendies australiens, file la métaphore dans des fresques psychédéliques. Bref, ça vaut l’immersion en apnée. Et dès qu’Estelle sera à nouveau à Au Détour pour travailler, on vous fera signe la veille sur FB, histoire que vous puissiez aller l’écouter vous raconter son art, la voir dessiner et constater que les artistes ne sont pas tous des branleurs superficiels comme Jeff Koons. Certains dessinateurs descendent au fond de la mine et y passent de longues heures à oeuvrer. L’expo court jusqu’au 30 mai.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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