Mode sombre

14 juin 2023, tranquillement installée, avec un verre à la main, à la terrasse d’une amie. Son petit blondinet s’approche et récite fièrement une chanson apprise à l’école. Tout content de sa prestation, il se met en tête de l’écrire. Ce p’tit bonhomme, haut comme trois pommes, est allé visiter aujourd’hui la classe de CP et veut nous montrer à quel point il a grandi (enfin… surtout que sa maman l’accepte…). Armé d’une feuille et d’un crayon il revient donc les yeux emplis d’espoir. Il commence alors à griffonner ce qui aurait dû être « Entrez Mesdames et Messieurs / Voici les artistes / Qui nous épateront les yeux ». Mais, très vite, il nous demande comment orthographier chaque mot pour que son écrit soit digne des attendus académiques. A chaque erreur, le visage se décompose, les joues rougissent alors que les larmes ruissellent et les poings se crispent. Nous voilà donc à essayer de le raisonner (et chacun sait que l’émotion n’est pas raisonnable) pour limiter la crise qui pointe son nez.

Six mois ont passé, je suis toujours à me demander pourquoi cet enfant de cinq ans s’est mis dans cet état alors qu’il aurait dû simplement prendre plaisir (ou pas…) à aligner des voyelles sur du papier quadrillé. L’éducation préscolaire n’avait-elle pas pour but de donner le goût de l’école à l’enfant ?Au lieu de cela, elle s’est progressivement « primarisée », mettant au second plan la prise de plaisir par le jeu, le développement de l’imaginaire, le plaisir de la découverte par l’exploration sensorielle et l’éveil corporel. J’entends, régulièrement, des collègues me dire que le but de la maternelle est l’apprentissage de la « posture  d’élève ». Mais qu’est-ce donc que cette posture ?! Hé bien, que « leurs » élèves restent assis sans broncher durant l’activité, qu’ils se tiennent en rang deux par deux, sans bouger une oreille. Et surtout !!! Qu’ils lèvent le doigt pour ne pas intervenir de manière totalement anarchique. En somme, de bons petits soldats, disciplinés, qui ne dérogent pas aux normes établies…

La maternelle est le premier lieu de socialisation extra-familiale, et devrait permettre à ces jeunes enfants de vivre des expériences enrichissantes et variées pour qu’ils développent leurs habiletés dans la gestion de leurs émotions, dans leur relation à l’autre et dans leur individualisation. Mais, comment laisser l’expression à l’émotion et faire émerger son individualité lorsque nous demandons à l’élève de lever le doigt avant d’ouvrir la bouche ou lorsqu’il doit rentrer dans les critères de réussite définis par l’Éducation nationale ? La relation à l’autre peut ainsi être vécue comme répressive et conformiste. Pas étonnant alors que dans les cours de récréation, les enfants n’aient pas les codes relationnels adaptés. Ils utilisent à leur tour, la violence quotidiennement vécue (et voilà que j’te pousse et hop, voilà que j’te tape un coup derrière la tête pour t’exprimer mon mécontentement). En septembre, se sont tenues les « Journées nationales : Ecole inclusive ! Ecole pour tous » à Lyon. Durant ce colloque, il a été rapporté que 50 à 60 % des élèves de maternelle / primaire présentaient des troubles du comportement et des habiletés sociales, ce qui interroge sur la définition des troubles du comportement. Ne serait-ce que parce que nous regardons les jeunes selon le prisme de l’élève en oubliant l’enfant ?

Après le constat accablant de la hausse de la criminalité dans les écoles, le gouvernement propose des mesures pour remédier à cette délinquance en couche culotte : Des dispositifs d’autorégulation où les enfants vont apprendre à maitriser leurs pensées, leurs émotions et leurs comportements. Et mieux encore, des cours d’empathie pour les plus grands. Alors qu’il serait préférable de s’interroger sur le fonctionnement actuel de nos enseignements et sur les choix faits en matière « d’encadrement ». Aujourd’hui, malgré l’interdiction d’avoir plus de 24 élèves en grande section maternelle, il n’est pas rare de voir des classes de 30 à 35 élèves (bah oui, avec les classes à double ou triple niveaux, on fait ce qu’on veut en termes d’effectifs). Le suivi individualisé est de fait impossible, et les enseignants se forcent à suivre les « programmes », plutôt qu’à adapter leur accompagnement à chaque enfant. 

A partir de la rentrée 2024, « l’École pour tous » devrait débouler dans les établissements scolaires (j’y reviendrai dans un futur article). Alors que nous demandons aux enseignants d’accueillir… enfin… d’inclure (sans formations supplémentaires, sans moyens humains et financiers additionnels) des enfants présentant des troubles des apprentissages et/ou des déficiences intellectuelles, l’école de l’exclusion et de l’individualisme a encore de belles années devant elle.

Colette.


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