Mode sombre

Sous pression de l’ONU et des associations de familles qui dénoncent le non-respect par la France des droits des personnes en situation de handicap, le gouvernement multiplie depuis quelques années des plans nationaux en faveur de leur inclusion en milieu scolaire ordinaire. Emmanuel Macron en a même fait un fer de lance de sa précédente campagne présidentielle. L’école inclusive est, selon son propos, l’une des priorités du gouvernement. Pourtant, nous sommes en droit de nous questionner : Tous les enfants sont-ils scolarisables, et à quel prix ? N’est-ce pas un leurre que de laisser croire à des parents que leurs enfants, en accédant à une scolarité adaptée, pourront enfin être inclus dans la société ?

Des changements notoires s’opèrent en terme de scolarisation. Jusqu’à aujourd’hui, les enfants en situation de handicap pouvaient, soit bénéficier d’une scolarité adaptée au sein des établissements scolaires, avec, dans la mesure du possible, des enseignants spécialisés soit, s’ils présentaient des troubles psychiques ou des déficiences trop invalidantes, d’une scolarité adaptée à la nature et au degré de leur handicap au sein d’établissement de soins spécialisés. Malheureusement, les places sont rares dans ces établissements spécialisés, et de nombreux enfants se retrouvent à domicile avec des parents victimes d’une double peine : l’isolement et la précarité socio-professionnelle. 

Quels sont donc les changements annoncés ? Le passage à une scolarité à la carte, soi-disant adaptée aux besoins de chacun (d’après le vernis qui nous est déversé) au sein des établissements scolaires, entraîne une fermeture progressive des établissements médico-sociaux, tout en prônant une ouverture sur l’extérieur. Plutôt qu’une présence dans les murs des institutions, les professionnels de l’éducation et du soin interviendront hors les murs et iront en soutien aux enseignants, aux enfants et aux familles. 

Certes, il est évident que plus nous la côtoierons chaque jour, plus la différence à l’autre sera respectée. Bien sûr que la différence est enrichissante et permet de changer le regard porté les uns sur les autres. Mais, sont-ce vraiment ces valeurs humanistes qui guident les politiques actuelles et non pas des considérations financières ?

Une réorganisation importante s’opère dans les établissements médico-sociaux qui se préparent à changer leur modèle d’intervention. Alors, pourquoi le corps enseignant semble-t-il en avoir si peu conscience ? Peut on réellement faire l’école inclusive sans les personnels de l’école, voire, contre eux ? Il ne faut pas se leurrer, les arguments mis en avant aujourd’hui par les acteurs de terrain (les gestionnaires d’établissements notamment) sont purement économiques. Il nous est rapporté l’augmentation des coûts de l’énergie et la consommation excessive des bâtiments. L’école connaît, depuis des années, des fermetures de classes et donc, des lieux inutilisés, chauffés à vide. Ne serait-ce pas l’occasion de savoir, enfin, comment occuper ces lieux, en proposant des espaces pour les structures médico-sociales pour accueillir les enfants en situation de handicap ? Et ainsi, résoudre des problèmes de gestion administrative (« les communes sauront enfin à qui envoyer la facture ») ?

A cette réorganisation fonctionnelle s’ajoute une restructuration financière. En effet, une nouvelle réforme de tarification sera déployée sur l’ensemble du territoire à compter de 2025, cette dernière portant le doux nom de SERAFIN-PH. Comme pour la T2A (dans les établissement sanitaires), les professionnels du médico-social seront sommés de remplir des grilles pour déterminer le nombre d’actes réalisés auprès de chaque enfant/famille accompagnés, et le temps passé à accomplir chacun de ces actes. A chaque acte correspond des tarifs de prestations prédéfinis nationalement. Comment ne pas voir l’écueil possible, où les établissements médico-sociaux, pour éviter le déficit, ajusteront le contenu de leurs prestations en fonction de coût de revient et de son tarif, avec, à terme, la dégradation de la qualité du service rendu ?

Que se passera-t-il demain pour les enfants qui ne peuvent pas, intégrer ces établissements scolaires ? La réponse apportée est simple et d’une froideur extrême. « Les parents les récupèreront chez eux ! ». Quant aux enfants « scolarisables », ils intègreront des classes spécialisées inclusives dans les établissements scolaires ou des classes ordinaires déjà surchargées. Aucune réduction d’effectifs n’est prévue. Ils se retrouveront alors au sein de groupes déjà trop nombreux, aux besoins déjà trop variés auxquels s’ajouteront les leurs. Qu’adviendra-t-il alors ce cette belle idée de respecter chacun dans ses différences, de changer le regard de la société ? L’estime d’eux-mêmes, pour ces jeunes, ne s’en trouvera -t-elle pas encore plus dégradée ?

Pour sûr, si nous interrogeons individuellement les enseignants et les professionnels du secteur médico-social, le principe d’inclusion est accueilli favorablement. Mais ce qui est décrié, c’est l’augmentation importante de la charge de travail que représente la mise en place d’adaptations et ce, à moyens constants, sans formation supplémentaire pour affronter ces changements que représente l’accueil d’enfants en situation de handicap au sein d’une classe 

Croire que l’école inclusive se limite à la seule présence de moyens humains (AESH) et de locaux dans les établissements scolaires, en déstabilisant le secteur médico-social, est une erreur stratégique. La question de l’école inclusive nécessite une refonte globale du système. Elle interroge l’accessibilité aux savoirs pédagogiques, la finalité et les moyens alloués aux écoles bien au-delà du champ du handicap et de la seule compensation par l’intervention du secteur médico-social. Il est nécessaire de se donner le temps long, indispensable pour mener à bien cette réflexion collective. 

Censée favoriser la socialisation et l’apprentissage, l’inclusion dans un milieu qui n’est pas adapté peut avoir comme conséquence un mal-être important chez les personnes en situation de handicap, comme pour les personnes en contact avec ces derniers, avec des répercussions négatives sur le long terme. Si on en regarde l’étymologie, ce mot « inclusion » vient du latin inclusio qui prend le sens d’enfermement.

 A méditer…

Colette.


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