Y a-t-il un Malet dans la salle?
On a appris récemment que l’ancienne salle dite des Commards est aujourd’hui rebaptisée salle Malet du nom de la rue éponyme et très mal éclairée après 22h00. J’ai d’abord pensé à commettre une boutade avec Gad Elmaleh mais après réflexion, je me suis résolu à vous conter en moins de 5000 signes l’épopée rocambolesque de Charles-François de Malet, cet officier général et conspirateur célèbre (ici, célébré!) qui, le 23 juin 1754, naquit à Dole pour être fusillé à Paris le 29 octobre 1812, à 68 ans, ce qui est un âge assez raisonnable pour se faire cribler de balles quand on est militaire de carrière. Républicain pendant la Révolution, Charles-François refuse de cautionner le coup d’Etat du 18 brumaire, puis le consulat à vie. Pas du genre à cacher ses opinions, l’anti-bonapartiste tombe en disgrâce et est muté à Bordeaux, ce qui constitue une punition quand on est plutôt macvin. Pas rancunier, le pouvoir lui accorde la Légion d’honneur (commandeur, s’il vous plait), mais il se contente d’accuser réception de la rosette pour reprendre de plus belle ses diatribes contre le tyran impérialiste. En 1807, Malet est destitué sans solde, fait moins le malin et se met à conspirer sec. De 1808 à 1812, il complote contre l’Empereur avec une bande d’amis mais il est dénoncé et apprenant que sa femme a été arrêtée à sa place, Malet vient se constituer prisonnier après avoir calculé qu’il ne s’exposait pas à grand chose alors que Madame plutôt gironde risquait nettement plus gros. En prison, on a rarement l’occasion de faire autre chose que de comploter et le 23 octobre 1812, notre homme est aussi prêt pour prendre le pouvoir que ne l’a jamais été Marine Le Pen. Napoléon vient de partir pour la Russie où l’arrière-arrière-arrière-puissance-3-grand-tante de Vladimir Poutine s’apprête à émigrer au Canada pour ouvrir une guinguette de restauration-rapide. Transféré dans une maison de santé, Malet a constitué un gouvernement d’opérette avec des demi-sels. Son aide de camp n’est autre que le caporal Rateau, ce qui laisse augurer de la suite malheureuse de l’embrouille. Le faux commissaire de police Bontreux, aujourd’hui encore en poste à Dole, l’accompagne également. Tous trois, ils se présentent en pleine nuit à la caserne Popincourt dont le colonel Soulier est le taulier : « Bonsoir, je suis le général Charles-François Malet et voici mes amis Rateau et Bontreux. Désolé de vous déranger si tard mais comme l’Empereur a péri sur le front russe, le Sénat vient de licencier sa clique et de nommer un gouvernement provisoire, lequel m’a investi, moi Charles-François Malet, du commandement de Paris. » C’est tellement gros que ça passe et le colon pas forcément très réveillé met immédiatement son régiment à la disposition du général. Celui-ci refait le coup avec la 10e cohorte de la Garde nationale et envoie des détachements s’emparer du Trésor, de la Banque, de la Poste et de l’Hôtel de Ville. Il libère une paire d’amis républicains et en nomme vite fait deux autres ministre de l’intérieur et préfet de police. L’insurgé se porte à l’état-major, place Vendôme, chez Hulin, le commandant de la première division militaire et lui annonce que « bon, ben, voilà, je suis… voir plus haut » et hop, comme Hulin tique, Malet lui fracasse la gueule d’un coup de pistolet. L’audacieux putsch est sur le point de réussir quand les dits Laborde et Doucet se précipitent sur Malet, le ligotent et le ramènent en prison. Traduit devant une commission militaire, il fait le cake. Ainsi quand le président du tribunal Dejean lui demande les noms de ses complices, sa répartie fuse: « La France entière, et vous-même si j’avais réussi ». Il est condamné à mort parce que Dejean n’a aucun sens de l’humour. Conduit à la plaine de Grenelle, Malet accueille la mort avec un sang-froid héroïque qui me fout les poils. Il commande lui-même le feu avec une voix de stentor. Autour de lui, sa quinzaine de compagnons tombent comme des mouches. Lui seul reste debout, tout ensanglanté et pas beau à voir mais debout. Il n’a tout de même pas le culot de réclamer une seconde décharge et c’est le chef de peloton qui s’en charge. Est-ce l’agacement, la danse de Saint-Guy ou les fusils tordus mais toujours est-il que Malet résiste à la deuxième salve. On s’aperçoit alors qu’on l’a bêtement ficelé à un poteau, on le détache et on l’achève à coups de baïonnettes. Dole reconnaissante lui dédie une petite rue tristounette et l’équipe de Jean-Baptiste Gagnoux (maire LR de 2017 à 2027) lui accorde une salle où se sont produits Bernard Friot, Dominique Voynet ou encore Aya Nakamura (date à venir). Fontenay-le-Comte, une bourgade vendéenne d’à peine 14000 âmes, a, elle aussi, voulu rendre hommage au turbulent général en lui accordant un tronçon de voirie de 70 mètres qui débouche tout de même sur la rue de la République. Et la question se pose plus bouillante que jamais : y a-t-il un Malet pour sauver la République?
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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