Mode sombre

« C’est l’honneur de l’Europe de faire ça », voilà la phrase qui clôturait la conférence tenue par SOS Méditerranée, au Détour, le vendredi 15 mars 2024. Durant la soirée, Fabienne Lassalle, Directrice Générale adjointe de l’ONG, a diffusé trois courts-métrages et a animé une série de questions-réponses avec le public présent pour l’occasion. 

Personnellement, je ne suis pas certaine d’avoir envie de m’inscrire dans cette Europe-là. Sur le papier, c’est vrai que c’est beau. D’ailleurs, la première des quatre valeurs universelles, défendu par l’Union Européenne est la Dignité humaine. Si on fait un bref récapitulatif, cela signifie qu’elle défend le « droit à la vie », le « droit à l’intégrité physique et mentale de la personne », le « droit de ne pas subir de torture, de peines ou de traitements inhumains ou dégradants »… Pourtant, comme l’a souligné Fabienne Lassalle lors de la conférence, l’Europe ferme ses frontières et laisse périr des centaines de migrants dans les eaux salées de la Méditerranée. Pire elle crache carrément sur le principe cité plus haut en refusant de défendre les personnes victime de torture, et dont l’intégrité physique et mentale est chaque jour menacée.

La première vidéo diffusée au cours de la soirée replaçait le contexte historique de la création de cette association civile de sauvetage en mer. En 2013, le 3 octobre, suite au drame de Lampedusa qui a vu le décès de 366 migrants au large de l’île Italienne, l’Europe s’insurge et crie « plus jamais ça ! ». De là, l’Italie lancera l’opération Mare Nostrum permettant de surveiller les eaux territoriales du pays et d’organiser des manœuvres de sauvetage pour venir en aide aux embarcations en difficulté et sauver le plus de vies possibles. Ce dispositif, salué pour son efficacité et son humanité a eu une durée de vie éphémère. En effet, très rapidement, dès novembre 2014, devant l’absence de soutien du restant des pays de l’union (notamment, soutien financier), l’Italie stoppe son programme qui sera progressivement remplacé par Frontex dont la principale mission est la protection des frontières extérieures. L’Europe se recroqueville sur elle-même, militarise ses frontières et sous-traite leur contrôle aux gouvernements Libyen, Tunisien et depuis peu, Egyptien. Toutefois, malgré un investissement financier conséquent de la part de l’Union européenne, les traversées à l’aide d’embarcation de fortune se poursuivent et même, s’accélèrent. 

Comme d’autres ONG de sauvetage en mer, SOS Méditerranée continuent la lutte et ce, malgré la diabolisation et la criminalisation croissante de ses actions. Des lois et des décrets sont pris en Italie pour limiter leur pouvoir d’agir. Le dernier en date est le « décret Piantedosi » qui compromet la bonne application du cadre juridique maritime international concernant la recherche et le sauvetage en mer. Simultanément, les autorités italiennes assignent des ports de débarquement de plus en plus éloignés des points de sauvetage, obligeant les navires à dépenser davantage de carburants (pour exemple, le coût pour une journée de mer pour l’Ocean Viking s’élève à 24000€) mais également, limitant l’accès aux soins à un équipage et à des hommes, des femmes et des enfants éprouvés par les épreuves qu’ils viennent de traverser. La Méditerranée centrale se voit de plus en plus vidée des navires de sauvetage alors que les traversées se révèlent de plus en plus meurtrières. 

Ces réformes sont déshumanisantes et contre-productives mais aussi inefficaces. C’est l’impossibilité pour les personnes d’accéder à des itinéraires de voyages sûrs et légaux qui les contraints à emprunter des routes risquées et dangereuses. Le Pacte migration et asile adopté en février par la commission des Libertés civiles du Parlement européen, mais aussi, les mesures prises individuellement par les pays de l’Union européenne aggravent les drames qui se jouent aux frontières. Aujourd’hui, au lieu d’établir une réponse adéquate aux besoins humanitaires, l’Europe réagit en neutralisant celles et ceux qui tentent de sauver des vies, en totale contradiction avec le devoir d’assistance qui s’impose en vertu du droit international. Pourtant, l’Union européenne a démontré, depuis ces deux dernières années, qu’elle était capable de respecter les droits et d’accueillir dans la dignité lorsque les réfugiés ont la « bonne » couleur de peau.

Alors, où est l’honneur de l’Europe dans tout ça ?! Est-ce l’honneur d’instrumentaliser la migration pour favoriser la déshumanisation, le soutien aux gouvernements autoritaires et de faire le lit de l’extrême--droite ?! Fabienne Lassalle a diffusé une dernière vidéo en montrant la vie à bord de l’Ocean Viking et évoque les stratégies mises en place pour regonfler l’estime des réfugiés, leur redonner un semblant de dignité (ex : rasage pour les hommes) et pour leur permettre de bénéficier d’une bulle d’air, hors du temps, avant leur longue traversée administrative une fois les pieds posés sur la terre ferme.

Colette

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